La mort du philosophe et moraliste Ernest Bersot

Ernest Bersot [1816-1880], meurt le 1er février 1880, dans ses appartements de l’École normale supérieure dont il est le directeur, depuis 1871. En 1865 s’est déclaré un cancer au visage. Et dans les premiers mois de de 1879, ce dernier poursuivant ses ravages, perfore la joue, envahit les gencives et les nerfs des os maxillaires. Dans une souffrance sans trêve, Ernest Bersot sait que la fin est proche. Paul Reclus [1847-1914], son médecin témoigne des derniers moments.

“Puis il s’occupa de ses oeuvres : “J’écrivais à Scherer le mot de Voltaire : On n’arrive pas à la postérité avec un lourd bagage. Voltaire pouvait se permettre quatre-vingts volumes. J’ai peur que deux ne soient trop pour moi. Cependant, pour me survivre encore quelques années, j’ai pensé que de mes livres on pourrait tirer deux petits volumes : l’un aurait trait aux questions d’enseignement, et l’autre, qu’on intitulerait “un moraliste”, serait un recueil de mes meilleurs articles. M. Scherer les choisirait : je le charge de ce soin et je prie dans ma lettre M. Délerot et vous de l’assister dans cette tâche.”

“Ce jour-là, contre son habitude, il me parla peu de ses élèves : “Je puis mourir tranquille, je sais du ministre que le choix de mon successeur sera bon.”

“On vint l’avertir que le diner était servi. Nous nous rendîmes dans la salle à manger, mais il n’avait pas faim et demanda qu’on lui portât pour la nuit un bouillon dans sa chambre. Après quelques minutes d’une conversation tout intime, où il fut question de sa nièce, de sa soeur et des amis qui l’avaient visité dans sa réclusion des six derniers mois, je me levai pour partir ; je voulais revenir dans la soirée. “C’est inutile, demain seulement vers midi ; je me sens déjà beaucoup mieux.” Je le quittai, du reste, sans appréhension immédiate : j’avais trouvé sa voix un peu altérée et sa respiration plus pénible, mais son entrain paraissait si naturel et sa causerie si facile que je ne pouvais croire à l’imminence du danger. Sa famille arriva et lui tint compagnie jusqu’à près de dix heures. Elle le trouva plus gai que d’habitude ; il voulait leur laisser un souvenir paisible et doux. Au départ, il ne leur donna ni un serrement de main, ni un baiser de plus.

“Je n’étais pas sans inquiétude, et le matin, vers sept heures, lorsque le jour se levait à peine, j’arrivais à l’école avec M. Minière. La crise avait éclaté pendant la nuit, plus violente et plus prompte que je ne l’avais supposé. Le larynx, à peu près obstrué, laissait à peine passer un peu d’air et notre pauvre ami luttait contre l’asphyxie : il ne répondit pas à notre appel : il avait déjà perdu connaissance. J’envoyai immédiatement chercher M. Broca. – J’avais bien promis d’éloigner les amis et les proches, mais non le médecin ; d’ailleurs, dans cette grave conjoncture, je voulais l’avis de mon maître. En moins d’une heure il était là et toute idée d’intervention fut rejetée d’un commun accord. Les lésions du côté du pharynx étaient telles que la trachéotomie aurait prolongé de quelques jours tout au plus, non l’existence, mais l’agonie de M. Bersot.

“M. Broca nous quitta : son hôpital le réclamait. Il devait revenir vers une heure. Nous nous assîmes au pied du lit, désolés de notre impuissance ; du moins notre ami n’avait plus le sentiment de la douleur et ce fut notre consolation. Que l’aspect de cette chambre était triste ! Dans les vastes appartements de l’école M. Bersot avait choisi une petite chambre adossée à son cabinet : il y avait fait installer les meubles témoins de sa pauvreté à Versailles : une commode, un secrétaire, un lit sans rideaux. C’est là qu’il couchait depuis neuf ans et que maintenant il allait mourir. Les symptômes étaient stationnaires ; toujours le même étouffement, la même inspiration sifflante ; nous le regardions en silence, tandis que non loin de nous s’agitaient des élèves, des amis, qui ne se doutaient pas de ce deuil prochain et vivaient confiants dans le mieux apparent de la veille. La demeure de la famille qui, le soir, l’avait laissé si calme, est à quelques pas seulement : je faillis violer ma promesse et les faire tous appeler, mais le spectacle était trop navrant, et nous pensâmes qu’il valait mieux rester seuls à en ressentir la tristesse. Vers midi, la respiration se ralentit ; à une heure,  on percevait à peine sous le doigt la légère ondulation de son pouls ; elle disparut bientôt ; la figure jusqu’alors un peu rouge, devint d’une blancheur de cire ; le coeur avait cessé de battre.”

 

Cité dans Un Moraliste. Études et pensées d’Ernest Bersot, précédées d’une notice biographique par Edmond Scherer. Avec une photographie de M. Bersot [Paris : Librairie Hachette et Cie. 79 boulevard saint-Germain. In-8, LXXXVIII-382 p., 1882]. Page LXXXIV sq.

 

ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES.

[1816-1880]. Né le 22 août 1816, à Surgères [Charente-Inférieure, aujourd’hui Charente-Maritime] ; mort le 1er février 1880, à Paris.

 

Études au lycée de Bordeaux.

1836. École normale.

Ancien élève de l'École normale [1836]. La promotion est composée de Jacques Michel Adert ; Ernest Bersot ; Auguste Daunas ; Charles Delatour ; Charles Delzons ; Hilaire Garsonnet ; Guiselin ; Louis Lacroix ; Victor LouisPierre Olivaint ; Jean Peyrot ; Victor Pitard ; Portelette ; Alfred Rouvray ; Charles Hippolyte Verdière ; Charles Zévort. Modeste ;

 

1839. Agrégation de philosophie.

Agrégation de philosophie en 1839. Cette année, sous la présidence de V. Cousin, il y a un seul reçu à l’agrégation de philosophie : Ernest Bersot. S’étaient présentés la même année, mais ne sont pas reçus : Claude Auguste Daunas [1814- ?], élève sortant de l’École normale, qui sera reçu en 1840 ; Anthelme Gunet [qui avait déjà échoué en 1838] et qui sera reçu en 1841 ; Charles Jourdain [1817-1886], qui sera reçu en 1840 ; Auguste Walras [1801-1866], qui sera reçu en 1840.

Étaient membres du jury, à côté de V. Cousin : Jean Jacques Séverin de Cardaillac [1766-1845], inspecteur de l’Académie de Paris ; Jean Philibert Damiron [1856-1863], professeur à la Faculté des lettres de Paris, Jules Barthélemy Saint-Hilaire [1805-1895], professeur de philosophie ancienne au collège de France ; Nicolas Bouillet [1798-1864], professeur de philosophie au collège Henri IV

 

1843. Doctorat ès-lettres.

Doctorat ès-lettres avec une thèse : Doctrine de saint Augustin sur la liberté et la Providence [Paris, août 1843]. Ce livre est présenté en hommage à l'Académie des sciences morales et politiques, par V. Cousin, dans la séance du 26 août 1843. La thèse latine porte sur la doctrine d’Anaxagore : De Controversis quibusdam Anaxagoroe doctrinis [In-8, 37 p., 1843].

Maître d’études au collège de Bordeaux [1833-1836]. Professeur de philosophie au collège de Rennes [1839]. Agrégé suppléant à Paris, devient en 1840, le secrétaire particulier de V. Cousin, alors ministre de l’Instruction publique. Professeur de philosophie au collège de Bordeaux [1841].

Dès qu’il est docteur, malgré son souhait de rester à Bordeaux, où il est en butte à la réaction cléricale, est nommé professeur suppléant à la Faculté des lettres de Dijon [1843-1844]. Professeur de philosophie au collège de Versailles [1845-1852]. Il refuse de prêter serment au Second Empire.

 

1859. Critique philosophique et littéraire au Journal des Débats.

Le refus de serment le contraint à démissionner. Ernest Bersot collabore à différents journaux et vit de cours particuliers. Saint Marc Girardin [1801-1873], pour lequel il préfacera un ouvrage sur Jean-Jacques Rousseau [Jean-Jacques Rousseau. Sa vie et ses ouvrages. Paris : Charpentier. 2 volumes 1875], lui confie la rubrique littéraire et philosophique du Journal des Débats [1859].

 

1866. Élection à l’Académie des sciences morales et politiques.

Alors critique philosophique et littéraire au Journal des Débats, Ernest Bersot est élu le 23 juin 1866, comme membre titulaire à l’Académie des sciences morales et politiques, section de morale [fauteuil 3], en remplacement de l’ancien ambassadeur Gustave de Beaumont [1802-1866], décédé le 30 mars 1866.

Sur 31 votants Ernest Bersot obtient 30 suffrages, 1 billet blanc. Constant Martha [1820-1895] placé en deuxième rang n'obtient pas un seul suffrage.

Constant Martha [1820-1895] sera élu, le 1er juin 1872, à l’Académie des sciences morales et politiques, section de morale [fauteuil 1], en remplacement d’Augustin Cochin [1823-1872], décédé le 15 mars 1872.

Cette élection d’E. Bersot, dans la section de morale, fait suite à plusieurs essais infructueux auprès de la section de philosophie, notamment en 1864. E. Bersot s’était aussi présenté  sans succès dans la section de morale, face à Augustin Cochin [1823-1872], le 11 février 1865.

Après sa mort le 1er février 1880lor Ernest Bersot , alors  directeur de l’École normale supérieure, est remplacé par le professeur de philosophie Émile Beaussire [1824-1889], élu le 22 mai 1880.

 

1871-1880. Directeur de l’École normale.

Alors que Jules Simon [1814-1896] est ministre de l’Instruction publique, des cultes et des beaux-arts [4 septembre 1870-18 mai 1873], Ernest Bersot est nommé en octobre 1871, directeur de l’École normale supérieure, où il succède à l’Inspecteur général Francisque Bouillier [1813-1899] .

Après son décès, est remplacé par l’historien Numa Denis Fustel de Coulanges [1830-1889], nommé le 17 février 1880 et qui restera en fonction jusqu’à octobre 1883.