Portrait de l’homme au luth

Peint entre 1630/1640, ce tableau de l’Ecole française, présentant tout à la fois, de côté, un personnage austère et, au centre de la toile un luth de très grande taille, ne manque pas de provoquer toute une série d’interrogations. Peut-être, de manière détournée, une célébration de la mélancolie ?

UNE DESCRIPTION.
Un homme, un luth.

Un homme argumentant. Tenant dans sa main droite un étui d’écriture dont le couvercle, posé sur la table, est retenu par la minceur d’un fil.
Un luth retourné, qu’il convient, pour protéger ses doubles cordes et sa chanterelle, de faire reposer en partie sur une boîte ovale, en os ou peut-être en ivoire.

Sur la nappe frangée aux plis réguliers, un livre entrouvert, sans doute un recueil de partitions. Un encrier. Un porte-plume posé presque de face.

Tout en haut, sur une étagère à peine visible, un ouvrage d’où pend un signet et dont la couverture baille vaguement.
En dessous, fixé sur une planche oblique, une lettre repliée avec ses cachets de cire rouge.

UN PEINTRE.
Du peintre, aujourd’hui on ne sait plus rien. On a cru d’abord, qu’il s’agissait de Diego Veslaquez [1599-1660]. Puis le tableau, encore à la fin du XIXème siècle, était attribué à l’École flamande.
Aujourd’hui on parle de l’École française.
La date proposée pour cette huile sur toile [137 X 184], d’un auteur inconnu, est 1630/1640.
C’est le Musée Rath, Musée d’Art et d’Histoire de la Ville de Genève, qui est maintenant propriétaire de l’oeuvre, intitulée Portrait de l’homme au luth [ou plus anciennement L’Homme à la mandoline]. Ceci à la suite d’un don effectué en 1887, par la famille Brière, comme l’indique le catalogue du Musée, édité en 1906.

UN VISAGE.
Visage régulier aux pommettes bien marquées, nez long et fort, cheveux abondants mais grisonnants, barbe pointue taillée à la Van Dyck. L’homme qui a dépassé la cinquantaine, décentré sur notre droite, vraisemblablement debout, nous regarde de face, sans complaisance.
Un large col blanc, sans doute empesé, avec, selon la mode du temps, un grand rabat aux pointes très écartées, recouvre la haut d’un pourpoint coloré qu’on aperçoit à peine.
Sur le bras gauche, tendu vers l’avant, un peu en arrière de la manchette blanche en baptiste, est replié un vaste et épais manteau de drap noir.

DES QUESTIONS EN SUSPENS.
Mais cette large main entr’ouverte, dont l’extrémité se situe au point médian du tableau, que signifie-t-elle ? Quel objet pourrait-elle tenir ? Que désigne-t-elle ?
Peut-être cette lettre, dont on ne connaîtra jamais ni l’auteur ni le destinataire. Peut-être ce livre, dont on ne sait ni le titre ni à quelle page est placé le signet.
Que contient la boîte oblongue sur laquelle repose le manche de l’instrument.
Sur quelle pièce musicale le recueil de partition est-il ouvert ?

Quel morceau, quel joueur ?

PLUS MYSTÉRIEUX ENCORE.
Il faut se reporter au site du Musée d’Art et d’Histoire de la Ville de Genève, en utilisant ce lien :
https://collections.geneve.ch/mah/oeuvre/portrait-de-lhomme-au-luth/1887-0002

Il y est affirmé un autre mystère !
D’évidence, la nappe, aux plis réguliers, est posée sur une longue table. Oui, mais voilà, le rédacteur inconnu de la notice muséale affirme : < La table n’est pas une table : une légère saillie sur son angle droit révèle qu’il s’agit d’un instrument à cordes, lui aussi rendu muet par le tissu qui le recouvre >.

Comment savoir ?

CÉLÉBRATION D’UN JOUEUR.
Décidément on ne sait rien du peintre, ni du personnage qu’il a voulu représenter.
Que l’instrument avec sa volumineuse caisse de résonance aux côtes vernies, soit placé au centre de l’oeuvre, conduirait à estimer que le tableau est la célébration mélancolique d’un joueur de luth.
Aussi certains ont-ils voulu voir en ce tableau un hommage posthume au joueur de luth Jacques Gaultier, emprisonné un moment à Londres pour avoir tenu des propos désobligeants à l’égard du roi Charles 1er.

Une notice rédigée en anglais, concernant ce Jacques Gaultier [orthographié parfois Gautier], déclare qu’après avoir fui la France en 1617, étant impliqué dans un meurtre, et s’être réfugié en Angleterre, ce courtisan est admis comme musicien de la cour d’Angleterre jusqu’en 1649.
En 1627, Jacques Gaultier a été incarcéré dans la Tour de Londres, et torturé, pour avoir tenu des propos insultants à l’égard du roi Charles I, son protecteur le duc de Buckingham et la reine Henrietta Maria, à laquelle il enseignait le luth.
Il semble être revenu en faveur autour de 1629, date à laquelle, tandis qu’il est à la Cour, il pose pour le peintre portraitiste hollandais Ian Lievens [1607-1674], qui séjourne en Angleterre de 1630 à 1635.

En-deça, ou au-delà de ces suppositions, le mystère reste entier.