Werther de Goethe, la seconde traduction par Georges Deyverdun

En 1776, c’est la deuxième fois que le roman Die Leiden des jungen Werthers, publié en allemand, sans nom d’auteur, à Leipzig, en septembre 1774, est traduit en français, sous le simple titre de Werther, sans indication ni de « Souffrances » ni de « Passions ».

On sait que cette oeuvre de Johann Wolfgang von Goethe [1749-1832], parue anonymement, un roman par lettres, d’un peu plus de deux cents pages, qui s’achève mélodramatiquement par le suicide de Werther, héros romantique par excellence emporté par la tempête de sa passion, connaît d’emblée un grand succès, lié à la célébration, à la critique ou à la moquerie dont il est immédiatement l’objet.

NOMBREUSES ÉDITIONS ALLEMANDES DE 1775.
Plusieurs éditions allemandes voient le jour dès 1775. Faisant suite à sa première édition [qui connaît deux tirages], une seconde édition est publiée par l’éditeur Johann Friedrich Weygand [1743-1806], à Leipzig. Avec un quatrain édité sur la page de titre, pour chacune des deux parties, destiné à atténuer les reproches d’incitation au suicide.
Mais il y a également d’autres éditions, plus ou moins autorisées.
À Biel, en Suisse [Heilman], dans la cadre d’une édition complète des œuvres de Goethe en trois volumes, où Werther occupe le deuxième volume.
À Berlin [Christian Friedrich Himburg], également dans la cadre d’une édition complète des œuvres de Goethe en trois volumes, où Werther occupe le deuxième volume.
À Berne [Beat Ludwig Walthard].
À Strasbourg et Hanau [s. n.].
À Freystadt [sans doute en sous-main de l’éditeur Weygand].

PREMIÈRE TRADUCTION EN FRANÇAIS.
Une première traduction en français est parue au début de l’année 1776, à Erlangen, chez l’éditeur Wolfgang Walther [1774-1806], due à la plume du baron Carl Sigmund von Seckendorf [1744-1785], ancien lieutenant-colonel, et chambellan à la cour de Weimar.
https://www.textesrares.com/pages/livres-du-xviiie-siecle/goethe-werther-premiere-traduction-en-francais-1776.html

  1. TITRE DE LA SECONDE TRADUCTION.
    La seconde traduction en français, par Georges Deyverdun [1734-1789], fait l’économie de la traduction précise du titre allemand Die Leiden des jungen Werthers, en évitant d’opter soit pour des « Souffrances », soit pour des « Passions », et en se contentant d’un sobre Werther, nom du jeune héros, emporté par la poussée incontrôlée de ses sentiments.
Illustration de la page de titre de la première partie

Werther, traduit de l’allemand.°
[A Maestricht : Chez Jean-Edme Dufour & Philippe Roux, Imprimeurs & Libraires, associés. In-12, VIII-201+230 pp., M. DCC. LXXVI. (1776)].
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1510376t

Deux parties en un seul volume. Chaque partie porte, sur sa page de titre, une illustration gravée de Daniel Chodowiecki [1726-1801].

On trouve parfois cet ouvrage édité en volumes séparés : 201 pages pour le premier volume ; 230 pages pour le second volume.

LE CONTENU DE L’OUVRAGE.
Contient :
Préface du traducteur [I-V].
Préface de l’auteur [VII-VIII].


Première partie : Lettre I (page 1) en date du 4 mai 1771-Lettre XXXVI (page 201), en date du 10 septembre 1771.
Chaque partie a sa propre numérotation.


Deuxième partie : Lettre XXXVII (page 1) en date du 20 octobre 1771-Lettre LXXV (page 129) en date du 17 décembre 1772°.
Plus un texte de près de soixante-dix pages (pages 132-201), intitulé « L’Éditeur au Lecteur » fournissant des informations complémentaires par le supposé éditeur, ainsi que le texte d’une dernière lettre de Werther [Lettre LXXVI] en date du 20 décembre 1772.

À la fin de l’ouvrage [à partir de la page 203 jusqu’à la page 230] Observations du traducteur sur Werther, & sur les Écrits publiés à l’occasion de cet Ouvrage.

LES DEUX ILLUSTRATIONS DE DANIEL CHODOWIECKI.
Le soin apporté à rendre attrayante l’édition se manifeste par le choix d’une page de titre illustrée, pour chacune des parties.

La première illustration, joliment dessinée, représente Werther, l’épée au côté, entrant dans la pièce où se trouve Charlotte, avec autour d’elle, tout un groupe d’enfants, ses sœurs et ses frères, auxquels elle donne du pain.
Elle fait précisément référence au texte de la lettre X, en date du 16 juin 1771, page 51 de l’édition ; au moment où le héros Werther voit Charlotte pour la première fois : « […] Je traversai la cour, montai l’escalier, & en entrant dans l’appartement, je vis six enfants, dont le plus âgé n’avait qu’onze ans, qui s’agitaient autour d’une jeune fille bien faite, vêtue d’une simple robe blanche avec des nœuds de rubans d’un rouge pâle : elle tenait un pain bis à la main, leur coupait des tranches de pain et de beurre, en proportion de leur âge & de leur appétit, & les leur distribuait d’un air tendre et gracieux ».

Illustration de la page de titre de la seconde partie.

La seconde illustration, particulièrement austère à l’opposé de la première, représente la chambre vide de Werther : double fenêtre, tableau, bureau-écritoire, deux fauteuils, les rideaux du lit tirés.
Pour le lecteur qui abordant la lecture de la deuxième partie, devine la fin tragique du roman, cette illustration, au-delà du rapport direct avec le texte, représente le lieu imaginaire et maintenant désolé, où aura vécu le héros, avant qu’il ne mette fin à ses jours.

LE GRAVEUR DANIEL CHODOWIECKI.
Daniel [Nikolaus] Chodowiecki [1726-1801]. Issu d’une famille de négociants polonais de Danzig [aujourd’hui Gdansk].
S’établit à Berlin en 1743. S’intéresse aux miniatures, à la peinture, puis se consacre, à dater de 1758, essentiellement à la gravure pour l’illustration d’ouvrages scientifiques, d’almanachs et de livres. Les principaux libraires-éditeurs font appel à lui pour illustrer leurs publications concernant J. J. Rousseau, Sterne, Lessing, Goethe, Schiller, Smollet, etc.
Pour cette édition de Werther, ont fait appel à lui l’imprimeur d’origine française Jean-Edme Dufour [1728-1789], associé à Maestricht avec son confrère suisse, l’imprimeur Philippe Roux.
Membre [1764], recteur [1786], directeur de l’Académie de Berlin [1797].

L’IMPRIMEUR-LIBRAIRE JEAN EDME DUFOUR.
Après une première formation dans une librairie parisienne, Jean Edme Dufour [1728-1789] est ensuite [1762] correcteur de Jean-François I Bassompierre [1709-1776], imprimeur-libraire de Liège.
En 1766, s’installe à Maastricht, comme libraire, et en 1771 comme imprimeur faisant fonctionner cinq presses. Publie un catalogue de ses ouvrages, la plupart en français, et le diffuse à sa clientèle internationale répartie dans toute l’Europe.
A des démêlés avec les autorités au sujet de l’impression de livres prohibés. Est déclaré en faillite à deux reprises, en juin 1773 et en juillet 1782.
De 1775 à 1789, travaille en association avec Philippe Roux, actif à Maastricht depuis 1737.

OBSERVATIONS SUR LES ÉCRITS PUBLIÉS AU SUJET DE WERTHER.
Dans la partie intitulée « Observations du traducteur sur Werther, & sur les Écrits publiés à l’occasion de cet Ouvrage » Georges Deyverdun expose une recherche qui n’a été faite par aucun autre traducteur de Werther en langue française. À savoir la recension de sept ouvrages de langue allemande, parmi la multitude de ceux qui sont parus en 1775, c’est-à-dire dans l’année unique qui sépare la publication de Die Leiden des jungen Werthers [1774] et la traduction de Georges Deyverdun [1776].
À chaque fois est formulée une appréciation sur la critique formulée dans l’œuvre citée.

Ainsi sont passés plus ou moins rapidement en revue :
De Friedrich Nicolai [1733-1811].
Leiden und Freuden Werthers des Mannes voran und zuletzt ein Gespräch.
[Souffances et joies de l’homme Werther, précédé et suivi d’un entretien].
[Berlin : Bey Friedrich Nicolai. In-8, 60 p., 1775].

D’Isaac Daniel Dilthey [1752-1793].
Werther an seinen Freund Wilhelm, aus dem Reiche der Todten.
[(Lettre de) Werther à son ami Wilhelm, du royaume des morts].
[Berlin : Bey G. L. Winters Witwe und Erben. 165 p., 1775].

De Johann August Schlettwein [1731-1802]
Briefe an eine Freundinn, über die Leiden des jungen Werthers.
[Lettres à une amie sur les Peines du jeune Werther].
[Carlsruhe : Maklott. In-8, 60 p., 1775].

De Johann Melchior Goeze [1717-1786].
Kurze aber nothwendige Erinnerungen über die Leyden des jungen Werthers.
[Avertissement court, mais nécessaire, sur les malheurs du jeune Werther].
[Hamburg. 1775].

De Johann Christian Ribbe [1755-1828]
Uber die Leiden des jungen Werthers, Gespräche.
Entretiens sur les malheurs du jeune Werther.
[Berlin : bey George Jacob Decker. In-8, 76 p., 1775].
Avec en exergue une phrase de Rousseau.

De Christian Garve [1712-1798].
Über die Leiden des jungen Werther. Aus einem Briefe
[Sur les Souffrances du jeune Werther. À partir d’une lettre].
Insérée dans le Philosophe du monde [1775] de Johann Jacob Engel [1741-1802].

Et was über die Leyden des jungen Werthers – Mogenfie doch reden, was Kümerts mich.
[Quelque chose sur les malheurs du jeune Werther, etc. qu’ils parlent, que m’importe ?].
« C’est un Discours lu dans une société de Gens de Lettres, par un jeune homme sensible. Admirateur passionné des Ouvrages de Mr. Goethe, et sur-tout de celui-ci, il en relève les beautés, et s’échauffe contre les critiques ».

GEORGES DEYVERDUN.
[Jacques] Georges Deyverdun [1734-1789]. Né à Lausanne, où il se noue d’amitié avec le futur historien anglais Edward Gibbon [1737-1794], Deyverdun s’expatrie en Prusse comme précepteur en 1761 dans plusieurs familles aristocratiques.
En 1765, avec le soutien de Gibbon s’établit en Angleterre en étant gouverneur d’enfants de grandes familles, tout en participant aux recherches et aux publications de son protecteur, et en effectuant avec ses élèves plusieurs voyages en Europe.
De retour en Suisse en 1772, Georges Deyverdun s’établit à Lausanne. Il y fonde une « Société littéraire », active plus particulièrement en 1772-1773 et en 1780-1783.
Il signe des articles, dans la revue Mélanges helvétiques des frères Bridel. Et publie, en 1786, Caroline de Lichtfield, le premier roman d’Isabelle de Montolieu [1752-1831].

RÉÉDITIONS DE LA TRADUCTION DE GEORGES DEYVERDUN.
Éditée la première fois en 1776, l’ouvrage dans la traduction de Georges Deveyrdun, est réédité à nouveau à Maestricht, chez Jean Edme Dufour & Philippe Roux, en 1784.
Puis à nouveau en 1791, et sans tenir compte de la nouvelle édition allemande du Werther de Goethe, remaniée et complétée en 1787, parue à Leipzig chez Georg Joachim Göschen.
Nouvelle édition en 1792, toujours dans la traduction de Georges Deyverdun, paraissant à Maestricht, chez J. P. Roux, qui a succédé à Jean Edme Dufour, décédé en 1789. L’ouvrage paraît en même temps en France, à Grenoble [J. L. A. Giroud, Imprimeur-libraire, Place aux Herbes].
Puis en 1793, cette fois à Lille [C. F. J. Lehoucq, Libraire, rue des Buisses].

Ces éditions successives reprenant la traduction de Georges Deyverdun, sous le titre Werther, s’entrecroisent avec les rééditions de la traduction de Philipe François Aubry
[1744-1812, publiée la première fois en 1777, à Manheim, sous le titre Les Passions du jeune Werther.
Quant aux Souffrances du jeune Werther, ouvrage traduit par Sigmund von Seckendorf [1744-1785], publié la première fois en 1776, elles ne semblent pas avoir fait l’objet d’une quelconque réédition.

DE NOUVEAUX TRADUCTEURS.
Enfin, mais seulement à partir de 1800, de nouveaux traducteurs proposent leurs textes. Traductions françaises qui finissent par tenir compte de la nouvelle édition allemande de 1787 de Die Leiden des jungen Werthers.

C’est L. C. de Salse, avec l’édition parue en 1800 à Bâle [De l’imprimerie de J. Decker. Se trouve : à Paris, chez Ch. Pougens, quai Voltaire, n° 10 et chez Maradan, rue du Cimetière St André-des-arts, n° 9 ; à Strasbourg, chez Levrault ; à Lyon, chez Bruyset aîné & Cie. Deux volumes, XIV-187+212 pp., 1800].

C’est Charles Louis Sevelinges [1763-1831], en 1804 [A Paris : Chez Demonville, Imprimeur-libraire, rue Christine, n° 12, XXVI-125 p., an XII, 1804]. Réédité en 1825.

C’est Henri de La Bédoyère [1782-1861], également en 1804 [A Paris : chez Colnet ; Fain ; Mongie ; Debray. In-12. An XII (1804)]. Reprise en 1809, et remaniée en 1845.

C’est Pierre Leroux [1797-1871], parue anonymement en 1829 [Paris : au Bureau de la Bibliothèque choisie, rue du Coq Saint-Honoré, n° 13. NNN, 214 p., 1829], réédité ultérieurement à de nombreuses reprises : 1839 ; 1841 ; 1842 ; 1843 ; 1845 ; 1850 ; 1852 ; etc.