Ex-libris d’Edmond et Jules Goncourt

Ex-libris : Locution latine formée de l’ablatif pluriel du mot « liber » [livre] et de la préposition « ex » indiquant la provenance. L’ex-libris [mot à mot « des livres de »] est, selon une définition généralement admise, une vignette portant le nom du possesseur, souvent complétée d’un blason, ou d’une devise, ou d’un dessin, que l’on colle sur le contreplat.

ex-bris des frères Goncourt

Ici, pas de blason, pas de devise. Une image. Et un nom. Plus exactement, pas un nom, mais deux prénoms. Pas même deux prénoms, mais seulement leurs initiales.

Signe d’une élégance discrète presque insolente.

Signe d’orgueil aussi, assurés qu’en sont les auteurs conjoints, que leurs initiales, déchiffrées, lues et prononcées par les générations suivantes, suffiront à témoigner de l’immortalité, à laquelle ils ont droit, dans le seul monde qui vaut, le mondes des lettres.

EX-LIBRIS DES GONCOURT.

Deux doigts écartés, aux extrémités posées sur une feuille, pointant les deux lettres : E. J.

Il s’agit de l’ex-libris des frères Edmond [1822-1896] et Jules [1830-1870] de Goncourt, historiens d’art, critiques littéraires et bibliophiles, qui pendant presque vingt-ans ont signés conjointement leurs ouvrages. Et sont devenus célèbres par leur Journal, mémoires de la vie littéraire, entrepris dès 1851 ; et plus encore par le Prix annuel, imaginé en 1884, et fonctionnant encore de nos jours.

L’ex-libris est conçu par Paul Gavarni [1804-1866], dessinateur, aquarelliste et lithographe. Et gravé en eau-forte par l’un des deux frères, le plus jeune : Jules de Goncourt.

LES GONCOURT ET GAVARNI.

La relation des Goncourt avec Gavarni commence en 1852, lorsque ce dernier, gagnant sa vie, avec ses dessins vendus à différents journaux, collabore à L’Éclair, Revue hebdomadaire de la littérature, des théâtres et des arts, paraissant tous les samedis. Seize pages en format in-quarto.

Publication éphémère d’une année, qui commence le 12 janvier 1852. Fondée par le cousin des Goncourt, Pierre Charles Laurent de Villedeuil [1831-1906]. Et cessant de paraître [Numéro L] au 18 décembre 1853.

Les Goncourt fourniront des articles au journal, un grand nombre d’entre eux repris ultérieurement dans un recueil.

• http://www.goncourt.org/leclair.html

1862. DATE PROBABLE DE L’EX-LIBRIS.

C’est d’après un dessin à la plume de Gavarni que Jules de Goncourt grave l’ex-libris [63 x 54 mm] : Éclairée sur la droite, une main, sortant d’une élégante manchette, retient la pointe du graveur. Deux doigts écartés [le médius et l’index] sont posés sur les initiales, E J. qui viennent d’être dessinées.

Le sommet du style forme la lettre G.

SUBTILITÉS.

Selon l’expression de l’éditeur contemporain Auguste Poulet-Malassis [1825-1878], l’image de l’ex-libris est suffisamment parlante < pour se passer de la locution populaire, qui serait sa devise, « les deux doigts de la main » >. Expression de l’entente légendaire entre les deux frères écrivains, l’aîné Edmond né en 1822, et le cadet Jules né en 1830, qui ont commencé à publier ensemble en 1851.

Mais l’image qui s’offre spontanément au regard a ses subtilités. Ainsi en est-il du style, autrement dit de la pointe venant de servir à la gravure en eau-forte, et encore maintenu dans la main avec le pouce invisible et deux doigts repliés. Comme illustration d’une création, non pas achevée, mais en cours, en train de s’accomplir sous nos yeux. 

Également au sommet du stylet, la lettre G, initiale tout à la fois de Gavarni et de Goncourt.

Ainsi en est-il aussi de l’hommage fait à Gavarni, dessinateur de l’ex-libris, dont on peut découvrir le nom dessiné au coin gauche, au bas de la feuille, à demi dissimulé dans l’entrelac des traits figurant le support d’une table.

1873. GAVARNI, L’HOMME ET L’OEUVRE.

Les Goncourt, et Paul Gavarni deviendront des amis très proches. Et à la mort de Gavarni, survenue en 1866, les Goncourt composeront, en hommage à sa vie et à son oeuvre, un ouvrage [Préface datée de janvier 1870], livre qui ne paraît qu’en juin 1873, longue interruption dûe au deuil provoqué par la mort de Jules, survenue en juin 1870, et qui affecte durablement le frère aîné.

Gavarni, l’homme et l’oeuvre. [Paris : Henri Plon. In-8, IV + 432 pp., 1873]. Préface.

Une seconde édition de l’ouvrage des Goncourt, en partie originale, paraît en 1879 : In-12, VIII + 481 pp., 1879. Les passages inédits sont imprimés en italique.

PROJETS PRÉALABLES.

Mais la perfection atteinte dans cet ex-libris ne l’est pas nécessairement sans essais et tâtonnements.

En effet il existe deux esquisses préalables le concernant.

Dans une vacation faite à l’Hôtel des Ventes de Paris, en octobre 2018, par l’étude Giquello et associés, dans le cadre de la cession de la Bibliothèque de Régine et Bernard Loliée, libraire réputé du 72 rue de Seine, il y avait un exemplaire de l’édition originale du livre des Goncourt sur Gavarni, accompagné de documents rares. Comportant, avec de très nombreuses autres gravures, deux études préalables de l’ex-libris disposées sur une même feuille, l’une en dessous de l’autre. Avec le suscription : croquis faits pour mon ex-libris.

À chaque fois index et medius désignent les deux lettres E et J, mais tournées vers le personnage supposé en train de faire la gravure.

Pour l’un des dessins, la composition est plus chargée : d’autres feuilles sont disposées sur la surface du bureau. La pointe d’acier, pour le dessin sur le vernis, tenue dans la main, ne porte aucun signe distinctif à son extrémité. 

Pour l’autre , la composition est des plus simples et se rapproche de la solution finalement adoptée.

Seule, cette dernière assurera le retournement des initiales E et J, afin de les rendre d’emblée parfaitement lisibles pour le lecteur.