La mort du philosophe Jean Philibert Damiron, 1862

Jean Philibert Damiron [1794-1862], ancien titulaire de la chaire d’Histoire de la philosophie moderne à la Faculté des lettres de Paris [1845 à 1856] ; membre depuis 1836, de l’Académie des sciences morales et politiques, section de philosophie ; ami de toujours de Victor Cousin, dont il a été l’élève à l’École normale, meurt dans la fin d’après midi du samedi 11 janvier 1862. 

Dans une lettre, en date du lundi 13 janvier 1862, rédigée à Paris, le jour même des obsèques, et adressée à V. Cousin, É. Saisset fournit des détails.

« Paris, lundi soir, 13 janvier 1862

Mon cher maître,

Nous venons de remplir un devoir bien douloureux, en conduisant au cimetière Montmartre votre fidèle disciple, votre cher camarade et ami, M. Damiron. C’est M. Lélut qui a porté la parole au nom de l’Institut. Désigné tardivement par le doyen, j’ai dû, en quelques heures, me recueillir et tracer à la hâte quelques pages, où il y a un désordre et une émotion trop aisés à expliquer. Que n’étiez-vous là pour rendre à M. Damiron un témoignage digne de lui ! J’en ai exprimé le regret en votre nom, bien sûr de répondre à vos sentiments.

M. Damiron s’est éteint sans agonie, sans la moindre douleur. Il revenait de l’Académie, où il avait achevé d’une voix assez ferme la lecture de son mémoire sur Condillac. Il rentre chez lui, passe dans son cabinet, et s’y assied un livre à la main. Un quart d’heure après, on frappe à sa porte, on entre, on le trouve sans souffle et sans voix, les mains paisiblement jointes, comme celle d’un homme qui s’est endormi en lisant. Le visage seul portait un caractère extraordinaire. La bouche était très ouverte et tous les traits frappés d’une sorte de décrépitude. On a envoyé chercher un médecin, qui a essayé une saignée ; mais le sang n’a presque pas coulé, et le sentiment n’est pas revenu. On parle d’apoplexie pulmonaire.

J’ai remarqué, aux obsèques, sans parler de M. Mignet et de M. Lélut, j’ai remarqué M. le duc de Broglie, M. Vitet, M. Villemain, extrêmement abattu ; beaucoup d’autres personnes notables ; tous les visages étaient empreints d’une sincère émotion.

J’ai eu plusieurs fois de vos nouvelles, mon cher maître, grâce à l’obligeance de l’excellent docteur Bertrand de Saint-Germain. Combien je serais heureux d’apprendre par lui et par vous, que l’air de la Provence a guéri votre gorge et rétabli votre santé !

Veuillez agréer l’expression de mes sentiments de respect et d’attachement.

Em. Saisset.

Rue de Grenelle-Saint-Germain, 82 ».