Claude Joseph Dorat (1734-1780) : La Fable et la Vérité

La Vérité se veut supérieure à la Fable. Mais son caractère altier et sa lumière trop vive effrayent. Pour devenir aimable elle doit accepter les parures de la Fable. Le Temps apporte son concours. Et l’Amour, qui triomphe de tout, dresse son flambeau. 

 
Figure allégorique, dessinée par Clément Pierre Marillier [1740-1808], gravée sur cuivre par Nicolas Delaunay [1739-1792], illustrant le deuxième tome de l’ouvrage de Claude Joseph Dorat [1734-1780] : Fables nouvelles [À La Haye, et se trouve à Paris, chez Monory, rue de la Comédie française. Quatre tomes en deux volumes in-8, XXII [Réflexions préliminaires]-176+132 pp. 1773].
 
Il semble y avoir, en 1773, un second tirage.
 
La pagination du tome deux se fait de manière continue, à la suite de la pagination du premier volume ; soit un total, pour les deux volumes, de 308 pages+3 pages de Table des matières.
L’ouvrage totalise quatre-dix-sept fables, et trois contes.
 
Chacune des fables est précédée d’une vignette et suivie d’un cul-de-lampe. Celles-ci sont dessinées par Clément Pierre Marillier et gravées par de nombreux artistes : J. Arrivet, Pierre Charles Baquoy [1759-1823], Nicolas Delaunay [1739-1792], Pierre Duflos [1742-1816], Emmanuel Jean Népomucène de Ghendt [1738-1815], Yves Marie Le Gouaz [1742-1816], Pierre Adrien Lebeau [1744-1817], Louis Claude Legrand [1723-1807], Jean Jacques André Leveau [1729-1786], Éléonore Lingée [1753- ], Joseph de Longueil [1730-1792], Henri Le Roy, Louis Joseph Masquelier [1741-1811], François Denis Née [1732-1817], Nicolas Ponce [1746-1831], Mme Ponce [1745- ], Jean Baptiste Blaise Simonet [1742-1813].
 
La scène de cette figure allégorique, sous forme d’une grande planche, placée en tête d’un ouvrage de « Fables nouvelles », est évidemment une apologie de la Fable, qui sait rendre aimable le discours de la Vérité.
Mais elle se comprend aussi dans le mouvement plus général des Lumières, à son apogée en France autour de 1770, dans un siècle qui fait confiance au Temps pour repousser les forces de l’obscurantisme.
 
 
 
DESCRIPTION DE LA PLANCHE.
Debout, entièrement nue, la Vérité, dont la blancheur et la grâce fragile attirent le regard, semble jouer avec son miroir à renvoyer sur le Globe terrestre les puissants rayons lumineux qui émanent d’un lointain soleil.
Tandis qu’à l’arrière-plan, le Temps, vieillard ailé tenant sa faux inexorable, apporte son concours. Il souffle sur les brouillards épais et écarte de sa main les sombres nuages qui offusquent la scène.
 
Le centre de la gravure est occupé par une femme au visage plein de douceur, richement parée et dans tout l’éclat d’une beauté épanouie : sa gorge opulente est à peine voilée d’une gaze légère, ses cheveux relevés sont maintenus par une simple couronne de roses. C’est la personnification de la Fable, qui a, pour une fois, retiré le masque derrière lequel elle est accoutumée à se cacher.
A demi-agenouillée, elle tient dans sa main droite un prisme de verre qu’elle interpose sur le parcours des rayons reflétés par la Vérité. On devine que se substituent alors, à la lumière crue initiale, les couleurs chatoyantes et diaprées de l’arc-en-ciel. 
 
Enfin, au premier plan, un Amour, représenté sous les traits d’un angelot, jouant sur les nuages, éclaire la scène de son flambeau.
 
1772. LES « FABLES OU ALLÉGORIES PHILOSOPHIQUES ».
Un an auparavant, en 1772, était paru, de Claude Joseph Dorat, un autre ouvrage, sous le titre : « Fables ou Allégories philosophiques ». Quatre livres en un seul volume, avec un total de quatre-vingt-trois fables, « À La Haye, et se trouve Paris, chez Delalain, rue de la Comédie française ». 
Précédé de vingt-quatre pages de Réflexions préliminaires, dont on retrouve le texte en 1773. 
Seules, quatre ou cinq poésies de 1772, sont reprises en 1773 : Le Loup et l’âne ; Le Lustre et la lampe ;La Linotte ; Le Nain d’Athènes.
 
On trouve déjà dans cet ouvrage la planche avec la figure allégorique de la Vérité et de la Fable, qui sera reprise l’année suivante en 1773, dans les Fables nouvelles. 
Et, page 181, après la Table des fables contenues dans le volume, l’explication des estampes, dont celle de la « grande planche » : 
« Le Tems chasse les brouillards épais qui offusquent la vérité ; elle dirige vers le Globe du monde son miroir étincelant ; la Fable avec son Prisme intercepte les rayons, & tempère leur vivacité ; l’Amour se jouant sur un groupe de nuages, anime la Globe avec son flambeau ».
 
Seule l’explication de cette grande planche, et non des vignettes, se retrouve en 1773, page XXII, après les Explications préliminaires.
 
FABLE I : LA FABLE ET LA VÉRITÉ.
La première poésie qui ouvre les Fables ou Allégories philosophiques prend pour thème un dialogue supposé entre la Vérité qui se veut éternelle et la Fable qui réussit à instruire en souriant et en déguisant.
Finalement la Fable propose à la Vérité un pacte, qui sera accepté : la vêtir et la parer pour la rendre enfin aimable.
 
La Vérité dit un jour à la Fable :
De quel front soutiens-tu que nos droits sont égaux,
J’existe avant les temps : toujours brillante et stable
J’ai vu les élémens s’élancer du cahos,
Tout se détruit, change et succombe ;
À cette loi l’Univers est soumis ; 
Je la brave ; un Empire tombe ; 
Moi, je m’assieds sur ses débris.
Je connois ton pouvoir, je scais ton origine, 
Lui répond la Fable en riant ; 
Elle est très noble assurément ;
Sur les âges elle domine : 
Je ne suis que ton ombre, et le dis franchement ;
Mais je suis une ombre badine.
Ton miroir , par exemple est un meuble effrayant ; 
La foiblesse le craint, l’amour-propre le brise ; 
Moi je corrige en égalant ; 
Tu montres la leçon, & moi, je la déguise.
Le tems ne fut pas trop sensé
De t’avoir ainsi dépouillé : 
Quand l’homme est corrompu, tu dois être voilée.
Ma très-auguste sœur, l’âge d’or est passé.
Ne vas point prêcher ainsi nue,
Si tu prétends grossir ta cour.
Vénus même, Vénus plaît mieux un peu vêtue ; 
La nudité ne sied bien qu’à l’Amour.
Tu menaces ; je ris sans cesse.
Pour instruire l’orgueil, il faut le caresser.
Quand je guéris les cœurs que tu viens de blesser, 
L’homme, ce vieil enfant, me prend pour la sagesse.
Tiens, faisons un pacte en ce jour : 
Unissons-nous pour venger ton injure ; 
Prends-moi pour ta dame d’Atour,
Et charge-moi du soin de ta parure.
 
1776. RÉÉDITION DES FABLES OU ALLÉGORIES PHILOSOPHIQUES.
Les « Fables ou allégories philosophiques » sont rééditées en 1776. Quatre livres en deux  volumes. À Paris, et se vend à Mons, chez Henri Hoyois, Imprimeur et Libraire, rue de la Clef, vis à vis du Patacon. 114+82 pp. 
Mais l’ouvrage paraît sans la grande planche, sans les vignettes et sans les culs-de-lampe gravés.