Sudre Alfred, un auteur classique de l’anticommunisme

L'essayiste français Alfred Sudre (1820-1902) publie en novembre 1848, quelques mois après la Révolution de février et de juin, une Histoire du communisme ou réfutation historique des utopies socialistes. Il s’inscrit ainsi dans le mouvement de l’idéologie dominante de l’époque qui éprouve l’urgent besoin, après avoir écrasé dans le sang les participants aux Journées de Juin 1848, de proposer, au titre de justification, des "réfutations" du communisme, présenté comme une menace permanente contre l'ordre social.

Le titre complet de l'ouvrage est : Histoire du communisme ou réfutation historique des utopies socialistes par M. Alfred Sudre [Paris : Victor Lecou, éditeur, rue du Bouloi, n°10. VIII-532 p., 1848]. Avant-Propos.
Numérisé : Gallica BNF.
TÊTES DES CHAPITRES.
Les titres des chapitres, de l'édition de 1848, sont les suivants : La Révolution de Février et le communisme ; Le communisme de Lacédémone et de la Crète ; Le communisme de Platon ; De la propriété à Rome ; Le christianisme ; Des communautés ascétiques ; Des hérésies qui passent pour avoir professé le communisme ; Les anabaptistes, 1ère période ; Les anabaptistes, 2ème période ; Les anabaptistes, 3ème période ; L’Utopie de Thomas More ; Bodin, Campanella ; Le communisme et le socialisme au XVIIIè siècle [Morelly, Mably ; Rousseau ; Brissot de Varville, recherches philosophiques sur le droit de propriété et le vol] ; La révolution française ; Conjuration de Babeuf ; Owen, Saint-Simon, Charles  Fourier ; Cabet, le Communisme icarien ; M. Louis Blanc, l'organisation du travail ; M. Proudhon ; Conclusion.
SUCCÈS ÉDITORIAL ET RÉÉDITIONS.
L'ouvrage, revêtant l'apparence scientifique d'un livre d'historien, et proposant d'une manière encyclopédique une histoire des origines à nos jours, connaît d’emblée un certain succès. Après 1848, il est réédité à plusieurs reprises. 
Et surtout, le 5 juillet 1849, Alfred Sudre reçoit, pour son livre, une consécration morale et financière, en se voyant attribuer le prix Montyon de l’Académie française, d’un montant de trois mille francs, décerné chaque année « pour l’ouvrage le plus utile aux mœurs ».
1849.
Réédité en 1849, avec la Préface datée du 1er novembre 1848, et un texte complémentaire de la préface daté du 10 juillet 1849.
Et deux nouveaux chapitres : l'un concernant Pierre Leroux ; l'autre « la secte des millénaires ». 
1850.
Réédité à deux reprises, comme troisième et quatrième édition.
Histoire du communisme ou réfutation historique des utopies socialistes par M. Alfred Sudre. Ouvrage qui a obtenu en 1849 le grand prix Montyon décerné par l'Académie française [Paris : Victor Lecou, éditeur, 10 rue du Bouloi. In-8, 536 p., 1850] Avec un Avant-Propos de la quatrième édition, datée du 10 janvier 1850. Et l'Avant-Propos de la première édition, datée du 1er novembre 1848. Notes. Table des matières.
Numérisé : Hathi Trust.
1850.
Une contre-façon belge en 1850 [Bruxelles : Auguste Pagny, éditeur. 65 rue du Marais  VIII-356 p., 1850].
Avec comme page de titre : Histoire du communisme ou réfutation historique des utopies socialistes par M. Alfred Sudre. Ouvrage qui a obtenu en 1849 le grand prix Montyon, décerné par l'Académie française.
Numérisé : Hathi Trust.
Une autre édition, en contrefaçon :
Histoire du communisme ou réfutation historique des utopies socialistes par M. Alfred Sudre. Ouvrage qui a obtenu en 1849 le grand prix Montyon, décerné par l'Académie française. Édition d'après la quatrième de Paris. Revue et augmentée [Bruxelles : Société typographique belge. 1850].
1856.
Une cinquième édition en 1856, chez Guillaumin et Cie [Paris, Guillaumin et Cie, Libraires, 14 rue Richelieu. Éditeurs du Journal des Économistes, de la collection des principaux Économistes, du dictionnaire de l'Économie politique, etc. Rue Richelieu, 14 In-8, VIII , 490 p., 1856]. Notes. Table des matières. Errata.
Numérisé : Hathi Trust.
Gilbert Guillaumin [1801-1864] est, à l’époque, l’éditeur spécialisé des sujets se rapportant à l’économie, par l'édition du Journal des Économistes, du Dictionnaire de l’économie politique, et de nombreux ouvrages d'auteurs favorables au libre-échange et résolument hostiles au protectionnisme et au socialisme. Plusieurs auteurs édités par Guillaumin sont en rapport avec l’Académie des Sciences morales et politiques, notamment dans sa collection intitulée Bibliothèque des sciences morales et politiques : Henri Baudrillart [1821-1892], Adolphe Blanqui [1798-1854], Michel Chevalier [1806-1879] ; Léon Faucher [1803-1854], Joseph Garnier [1813-1881], Léonce de Lavergne [1809-1880], Jean-Baptiste Say [1767-1832].
Contient l'Avant-Propos de la quatrième édition, datée du 10 janvier 1850. ainsi que l'Avant-Propos de la première édition, datée du 1er novembre 1848. 
2010.
Réédité en 2010, sous un titre modifié sur la couverture : Histoire du communisme avant Marx [Paris : Éditions du Trident, 39, rue du Cherche Midi. In-8, 459 p., 2010]. 
LE RELAIS INSTITUTIONNEL DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES.
Un des relais institutionnels de cette tentative de réfutation du communisme est l’Académie des Sciences morales et politiques, qui s’est engagée, à la demande expresse du général Eugène Cavaignac [1802-1857], à la rédaction de brochures populaires, sous la forme académique de Petits Traités pour mettre « la science au service de la société et de la civilisation menacées par de fausses et dangereuses doctrines ».  
Le général Eugène Cavaignac [1802-1857], ministre de la Guerre à qui a été confié le soin de la répression, chef de l'exécutif depuis le 28 juin 1848 [jusqu'au 20 décembre 1848], avec le titre de président du Conseil des ministres, a en effet convié les membres de l'Académie des Sciences morales et politiques à le rencontrer le dimanche 16 juillet, pour mettre au point la réponse appropriée de l'Académie aux évènements de février et juin 1848.
Une séance extraordinaire de l'Académie se tient dès le lundi 17 juillet 1848 pour transmettre à l'ensemble des membres la demande pressante faite par Eugène Cavaignac.
C'est dans ce cadre que paraissent douze titres de Petits traités, publiés dans le tome VII, des Mémoires de l’Académie des Sciences morales et politiques de l’Institut de France [Petits traités]. Paris : librairie de Firmin Didot frères, imprimeurs de l’Institut, 1850 ; mais surtout sous forme de brochures édités par Pagnerre, vendus 40 centimes chacun [60 à 100 pages, de format in-18, paraissant tous les quinze jours, livrés gratuitement par l'Académie. Puis répandus par l'éditeur, à 1 fr.].
Victor Cousin [1792-1867] ; Jules Barthélemy-Saint-Hilaire [1805-1895] ; Philibert Damiron [1794-1862] ; Louis Francisque Lélut [1804-1877] ; Charles Théodore Troplong [1795-1869] ; Joseph Marie Portalis [1778-1858] ; Charles Dupin [1784-1873] ; Louis Villermé [1782-1863] ; Hippolyte Passy [1793-1880] ; Adolphe Blanqui [1798-1854] ; Adolphe Thiers [1797-1877] ; François Auguste Alexis Mignet [1796-1884] apportent leurs contributions.
JANVIER 1859. LIVRE EN HOMMAGE ET RAPPORT À L'ACADÉMIE.
À partir du moment où l'ouvrage est édité chez Guillaumin et Cie, Alfred Sudre peut espérer engager une démarche visant à terme l'élection à l'Académie des Sciences morales et politiques.
D'autant qu'Alfred Sudre a déjà été en relation avec la section d'Économie politique et de statistique de l'Académie des Sciences morales et politiques, en participant en 1845, mais sans suite, à un concours visant à « Déterminer, d'après les principes de la science et les lois de l'expérience, les lois qui doivent régler le rapport proportionnel de la circulation en billets avec la circulation monétaire ».
Ainsi, dans la séance du samedi 29 janvier 1859, par l'intermédiaire d'Hippolyte Passy, est offert à l’Académie : Histoire du communisme ou réfutation historique des utopies socialistes par Alfred Sudre [Paris. In-12, 1856]. 
Hippolyte Passy [1793-1880], correspondant [1833], puis membre de la Section d’Économie politique [depuis le 7 juillet 1838], ancien ministre des Finances [1848-1849], fait un « rapport verbal » sur l'ouvrage. 
Rapport publié dans Séances et travaux de l’Académie des Sciences morales et politiques. Année 1859. Tome 47, pages 310-311. 
JUIN 1859. LECTURE DU MÉMOIRE SUR LES RACES HUMAINES.
Quelques mois plus tard, dans les séances du samedi 4 et du samedi 25 juin 1859 ; puis du samedi 2 et du mercredi 27 juillet 1859, Alfred Sudre est admis à lire lui-même devant l'ensemble de l'Académie un Mémoire : D’une nouvelle philosophie de l’histoire. La doctrine des races humaines.
 
Publié dans Séances et travaux de l’Académie des Sciences morales et politiques. Année 1859. Tome 48, pages 321-359 ; tome 49, pages 137-151 et 347-377 ; tome 50, pages 59-85 et pages 199-220.
Le texte est publié également sous forme d'un article dans la Revue Européenne : lettres, sciences, arts, voyage, politique : 15 août, 1er et 15 septembre 1859 ; pages 383-404 ; 621-639 ; 827-848.
Numérisé : Hathi Trust.  
1860. ÉCHEC À L'ÉLECTION DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.
Cependant, malgré cette communication à l’Académie, l'économiste Alfred Sudre [1820-1902] se présentera vainement à l’Académie des Sciences morales et politiques,  le 18 février 1860 pour la succession d’Alexis de Tocqueville [1805-1859]. 
En réalité Alfred Sudre, étant placé par la section de Morale, seulement en troisième ligne, avec trois autres candidatures ex aequo, n'a évidemment aucune chance d'être élu.
Rappelons les données de cette élection du 18 février 1860. Le fauteuil 1 de la section de Morale de l'Académie des Sciences morales et politiques, s'étant libéré par le décès d’Alexis de Tocqueville, survenu le 16 avril 1859, la section de Morale présentait au premier rang Jules Simon [1814-1896], au deuxième rang ex æquo Adolphe Garnier [1801-1864] et Th. H. Barrau [1794-1863], au troisième rang et ex æquo Émile Saisset [1814-1863], Paul Janet [1823-1899], Henri Baudrillart [1821-1892], Alfred Sudre [1820-1902].
Sur 36 votants, au premier tour : Adolphe Garnier obtient 17 suffrages, Jules Simon 14 suffrages, Henri Baudrillart 3, Émile Saisset 2. 
Aucun des candidats n’ayant obtenu la majorité absolue, il est procédé à un deuxième tour de scrutin : Adolphe Garnier et Jules Simon obtiennent chacun 18 suffrages. 
Au troisième tour de scrutin, sur 37 votants Adolphe Garnier obtient 19 voix, Jules Simon, 18. 
Adolphe Garnier, ayant obtenu au troisième tour la majorité relative des suffrages est élu membre de l’Académie, dans la section de Morale.
UN PROBLÈME QUI N'EST PLUS TOUT À FAIT À L'ORDRE DU JOUR.
En fait, en 1860, nous sommes très loin des menaces d'une « République rouge » [selon l'expression de Victor Cousin] des premiers mois de 1848. En son temps l'Académie des Sciences morales et politiques avait payé son dû aux auteurs qui s'étaient mis en avant dans le combat idéologique contre le communisme, aussi bien à ceux membres de l'Académie qui avaient soutenus la cause, qu'à ceux qui, extérieurs, bénéficiaient du soutien de l'institution.
Parmi la trentaine de publications liées aux questions du socialisme une place particulière peut-être faite à l'ouvrage de Louis Reybaud [1799-1879] Études sur les réformateurs ou socialistes modernes, publié initialement en 1840, bénéficiant d'un prix Montyon de l'Académie française d'un montant de cinq mille francs [1841], qui connaît une sixième édition en 1848, et qui permet à Louis Reybaud d'être élu à l’Académie des Sciences morales et politiques en décembre 1851 ; les deux opuscules d'Adolphe Thiers, parus en 1848 sur De la Propriété, ou en 1849 Du communisme ; ou encore la brochure du théoricien suisse du libéralisme Antoine Elisée Cherbuliez [1797-1869] : Le socialisme c'est la barbarie. Examen des questions sociales qu'a soulevées la révolution du 24 février 1848 [Paris : Guillaumin. In-8, 48 p., 1848].
1848. LA CONDAMNATION DU COMMUNISME PAR ADOLPHE FRANCK.
Adolphe Franck [1809-1893], en tant que philosophe et membre de l'Académie des Sciences morales depuis janvier 1844 avait tout de suite apporté sa contribution dans un copieux article publié le 15 septembre 1848 dans le numéro 10 de la revue La Liberté de penser [1847-1851] fondée par Amédée Jacques : Études sur le socialisme. Le communisme jugé par l’histoire [pages 307-339].
Numérisé : Gallica BNF.
Sur ce thème Adolphe Franck intervient le 8 et le 16 septembre 1848 à l’Académie des sciences morales et politiques.
Publié dans les Comptes rendus des Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques. Année 1848. Tome 14, pages 187-226.  
L'article est repris sous forme de brochure : Études sur le socialisme. Le Communisme jugé par l'histoire, par Ad. Franck, membre de l'Institut (Académie de Sciences morales et politiques) [Paris : Joubert, libraire-éditeur. Rue des Grés, 14, près de la Sorbonne. In-8, 35 p., 1848]. 
Réédité en 1849, comme deuxième édition augmentée d’une notice sur la vie et le système politique et social de Mabl , par le même : Le Communisme jugé par l'histoire, par Ad. Franck, membre de l'Institut (Académie de Sciences morales et politiques) [Paris : Joubert, libraire-éditeur. Rue des Grés, 14, près de la Sorbonne. In-18, 71 p., 1849]. [Paris : Joubert. In-12, 98 p., 1849]. 
Réédité, comme troisième édition, en 1871 : Le Communisme jugé par l'histoire depuis son origine jusqu'en 1871, par Ad. Franck, membre de l'Institut. Professeur au Collège de France [Paris : Librairie E. Lachaud, éditeur. 4, place du Théâtre-Français. Succursale à Versailles, place Hoche, 6. In-12, 99 p., 1871].
1849. ADOLPHE GRÜN, LE VRAI ET LE FAUX SOCIALISME.
Dans les premiers mois de 1849, le journaliste et publiciste Alphonse Grün [1801-1866], directeur du Moniteur universel, avait fait paraître une brochure sur : Le communisme et son histoire, sur titré Le Vrai et le faux socialisme, par Alph. Grün, avocat, rédacteur en chef du Moniteur universel [Paris : chez Guillaumin, Libraire, rue Richelieu, 14. In-12, 56 p., 1849].
Numérisé : Gallica BNF.
Numérisé : Google Books.
L'opuscule reprend les articles insérés dans le Moniteur des  5, 8, 14, 19 mars et 7 avril 1849, écrits à l'occasion du livre d'Alfred Sudre : Histoire du communisme
Dans la séance du samedi 21 avril 1849 Adolphe Franck [1809-1893] présente cet ouvrage et en fait un Rapport verbal.
Publié dans les Comptes rendus des Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques. Année 1849. Tome 15, pages 377-378.
Dans sa conclusion Adolphe Franck écrit : « Le nom du socialisme restera flétri dans l’histoire comme celui de l’athéisme, du matérialisme, de l’épicurisme, comme un signe funeste autour duquel s’est rallié un jour tout ce qu’il y a dans le cœur humain de passions violentes et immondes ».
En 1851, Alphonse Grün fait paraître De la Moralisation des classes laborieuses, par Alph. Grün. Avocat, Rédacteur en chef du Moniteur universel [Paris : chez Guillaumin et Cie. Rue Richelieu, 14. In-12, 93 p., 1851].
Numérisé : Gallica BNF.
Reprises d'articles insérés successivement dans le Moniteur, à partir du 28 avril 1851. 
Quelques années plus tard, sans rapport avec les sujets précédents, Alphonse Grün  signe une Vie publique de Michel Montaigne, étude biographique [Paris : Librairie d'Amyot, Éditeur. 8, rue de la Paix. In-8, 414 p., 1855] dont Adolphe Franck fera un rapport verbal, publié dans les Comptes rendus des Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques. Année 1855. Tome 34, pages 309-311. 
Mais tout cela, comme pour Alfred Sudre, est également sans aucun débouché sur une élection au sein de l'Académie des Sciences morales et politiques.
SOURCE.
Gustave Vapereau. Dictionnaire universel des contemporains. Paris. 1893