Le 23 août 1837, Victor Cousin signe l’Avertissement d’un livre intitulé : École normale. Réglements, programmes, rapports. L’ouvrage paraît à Paris, chez L. Hachette, libraire de l’Université royale de France. In-8, 224 p., 1837. V. Cousin, justifiant la publication de ce recueil, y compare notamment le système français et prussien d’éducation.
L’AUTEUR.
Victor Cousin [1792-1867] est alors pair de France [nommé en octobre 1832], membre du conseil royal d’Instruction publique [nommé en août 1830] et directeur de l’École normale depuis le 14 septembre 1835, en succédant à Joseph Daniel Guigniaut [1794-1876], qui a été directeur de l’Ecole de 1830 à 1835.
Victor Cousin abandonnera la direction de l’ École en étant nommé ministre de l’Instruction publique [1er mars-29 octobre 1840] dans le second gouvernement Thiers.
Cousin est un ancien élève de l’École, où il a été désigné comme élève de la première promotion [1810].
Après avoir été le suppléant de Pierre Paul Royer-Collard [1763-1845], dans la chaire d’Histoire de la philosophie moderne [novembre 1815] à la Faculté des lettres de Paris, puis son adjoint [mars 1828], il a été nommé titulaire de la chaire d’Histoire de la philosophie ancienne en septembre 1830.
Il est élu membre de l’Académie française en 1830, et membre titulaire de l’Académie des Sciences morales et politiques reconstituée, en 1832.
AVERTISSEMENT.
L’administration de l’école normale sentait depuis longtemps le besoin d’avoir sous la main, et réunies, toutes les pièces qui lui sont à chaque instant nécessaires et qui doivent la diriger, c’est-à-dire les trois règlements d’admission, de discipline et d’études, les programmes autorisés par le conseil royal, pour les diverses conférences des sciences et des lettres, enfin les règlements de la licence ès-lettres et ès-sciences à laquelle préparent les deux premières années de l’école, et celui de l’agrégation à laquelle la troisième année aboutit. L’objet direct de cette publication est de satisfaire ce besoin.
En voyant et en relisant sans cesse la règle qui nous est imposée à tous, nous apprendrons et à la mieux comprendre et à la pratiquer avec une fidélité scrupuleuse. Je me flatte donc que ce petit recueil ne sera point inutile à l’ordre, et qu’il accroîtra, s’il est possible, notre respect à tous, maîtres et élèves, pour la constitution de l’école.
Il est vrai que ce recueil aura pour effet d’introduire l’oeil du public dans l’école normale. Mais loin de redouter une certaine publicité pour nos travaux, je la recherche, je l’appelle. Un peu d’estime ne s’y peut attacher qu’autant qu’ils seront connus ; et il est impossible d’être un grand établissement national, en restant un mystère pour tout le monde. Sans doute, notre juge est d’abord le ministre et le conseil, dont les yeux sont sans cesse ouverts sur nous. Mais ne travaillons-nous pas aussi pour toute l’Université ? Et puisque nous formons des sujets pour les collèges royaux et communaux, les directeurs de ces établissements ne peuvent-ils pas avoir d’utiles remarques à adresser au directeur de l’école normale ? En Allemagne, il n’y a pas une grande école qui, de loin en loin, ne publie un rapport, non-seulement sur ses règlements, mais sur ses travaux et sur les résultats qu’ils produisent : et ce rapport entre dans des détails de choses et de personnes qui mettent à nu l’état de l’école. J’ai suivi de très-loin cet exemple ; et je n’ai point hésité à publier ici deux pièces qui mettront à même de juger du véritable état de l’école normale : 1° mon rapport de la fin de l’année scolaire 1836, tel qu’il a été lu, à la rentrée de l’école, devant le ministre, devant l’école entière assemblée, et devant l’élite des fonctionnaires de l’Université et des professeurs de Paris ; 2° le rapport de MM. les présidents des différents concours d’agrégation, concours où nos élèves paraissent, chaque année, avec des succès inégaux, tantôt avec des triomphes, tantôt avec des revers, que révèlent les rapports de MM. les présidents.
Ainsi, ce recueil expose non-seulement ce que l’école doit être, mais ce qu’elle est, non-seulement sa constitution, mais les résultats qu’elle donne ; et c’est par ces résultats, sachons-le bien, maîtres et élèves de l’école normale, que l’autorité et le public nous jugeront.
Enfin, pourquoi ne le dirais-je pas ? l’instruction publique est la grand affaire du dix-neuvième siècle, et de toutes parts on me demande des renseignements précis sur l’école normale de Paris. Je réponds ici à cette demande qui m’est venue de Munich et de Berlin, de La Haye et d’Edinburgh, de Saint-Pétersbourg et de Philadelphie.
Déjà la nécessité d’écoles normales pour l’instruction primaire pénètre dans tous les esprits. Je ne doute pas que bientôt ceux qui s’occupent sérieusement de l’organisation de l’instruction publique, ne reconnaissent cette même nécessité pour l’instruction secondaire. Il n’y a encore que deux pays en Europe qui aient senti ce besoin, et qui l’aient satisfait, la Prusse et la France, c’est-à-dire les deux pays où l’instruction secondaire est le plus fortement constituée. En Prusse, il y a quatre écoles normales secondaires, sous le titre de Séminaires pour les écoles savantes (Seminarien für gelehrte Schulen) ; et j’ai donné ailleurs le règlement de l’un de ces quatre séminaires, celui de Berlin. Il serait curieux de comparer le règlement de ce séminaire avec celui de l’école normale de Paris, ainsi que le règlement prussien sur les examens des candidats à l’enseignement, avec le règlement français des concours de l’agrégation. Ce n’est point ici le lieu d’instituer en détail cette comparaison, qui ne serait rien moins que celle des deux systèmes d’instruction secondaire de la Prusse et de la France. Du moins les pièces qui peuvent servir de base à ce parallèle sont maintenant entre les mains du public ; et les divers gouvernements, qui reconnaîtront que, pour l’instruction secondaire comme pour l’instruction primaire, le point essentiel est la préparation et la formation de bons maîtres, pourront choisir entre le mode prussien et le mode français, ou peut-être même, par des emprunts judicieux faits à l’un et à l’autre, les améliorer tous les deux.
Je ne crois pas céder à un sentiment patriotique en affirmant ici que la constitution de l’école normale de Paris est meilleure que celle du séminaire de Berlin. D’abord ce séminaire est un externat ; et il est étrange que la Prusse, qui dans l’instruction primaire admet le système d’écoles normales à pensionnat, témoin les deux grands établissements de ce genre à Postdam et à Berlin, ne le pratique pas pour l’instruction secondaire. Ensuite, le plan des études est très-imparfait : l’enseignement des sciences n’y est pas assez distinct de l’enseignement des lettres ; au lieu d’établir des points de contact entre ces deux enseignements, on les a presque confondus. Enfin, les autre écoles normales secondaires de la Prusse ont chacune trop peu d’élèves ; et elles devraient se fonder en une seule grande école normale, celle de Berlin, qui pourrait alors contenir une trentaine d’élèves, nombre nécessaire pour qu’il y ait dans une école un peu de mouvement et de vie. Cette concentration, sans augmenter les dépenses, permettrait d’ordonner plus régulièrement les études du séminaire, d’y former des divisions distinctes, de mieux établir et de mieux graduer l’enseignement. Et pour cette gradation, qu’il me soit permis de proposer ici l’habile répartition des études de notre école normale française en trois degrés distincts, correspondant à trois années : la première où les jeunes maîtres sont encore considérés comme des élèves dont on révise et dont on améliore l’instruction ; la seconde, où leurs premières études ayant été réformées et améliorées, on les considère comme de jeunes savants, dont on pousse les connaissances assez loin en chaque genre, selon la vocation que chacun d’eux a montrée, et comme s’ils devaient être un jour des savants de profession aussi bien que des professeurs ; la troisième, où on les considère comme de futurs maîtres destinés à enseigner telle ou telle branche d’études, et qui alors y sont préparés spécialement.
Mais le séminaire de Berlin se recommande par un mérite que je ne veux point affaiblir, et qui lui donne un singulier avantage sur l’école de Paris, je veux dire le caractère pratique, et, comme on dit en Allemagne, l’esprit pédagogique. On s’occupe surtout à Berlin de former des professeurs ; et par professeur on n’entend pas seulement un maître chargé d’enseigner telle ou telle branche des connaissances humaines, mais chargé surtout de conduire et de développer l’âme et l’esprit des jeunes gens confiés à ses soins. Voilà pourquoi les jeunes séminaristes sont aussi bien exercés à l’art de pédagogie [die Poedagogik] qu’à celui de l’enseignement [die Didactik] ; et pour cela ils sont employés tour à tour, et pendant assez longtemps, dans les divers gymnases de Berlin. Là ils font des leçons dans les différentes classes ; là encore on les forme à la discipline, en les employant comme maîtres surveillants ; et même on les exerce plus particulièrement au gouvernement moral de la jeunesse, en confiant à leurs soins, pendant quelque temps, les élèves les plus négligents et les plus indociles, pour qu’ils apprennent à les dompter et à les ramener à l’ordre et à l’étude. J’ai exposé ailleurs tous les détails de cette forte et habile préparation. Elle se rattache à la grande idée de l’harmonie de l’éducation et de l’instruction. Puisse cette idée se répandre peu à peu parmi nous ; et puissé-je moi-même, avec le temps, l’introduire de plus en plus dans la direction de l’école normale !
Mais enfin, telle qu’elle est, telle qu’elle paraîtra dans ce recueil, l’école normale est dans un état satisfaisant. Elle a sans doute bien des progrès à faire encore ; mais ces progrès ce n’est pas à des théories abstraites, ni surtout à de brusques changements, c’est au temps seul, c’est à l’expérience, à de lents et insensibles perfectionnements, qu’elle les doit emprunter. Tel a été jusqu’ici, tel demeurera l’esprit de mon administration.
A l’Ecole Normale, ce 23 avril 1837.
Le Pair de France, membre du Conseil royal de l’instruction publique,
directeur de l’Ecole Normale,
V. COUSIN.