Calchas le devin, gravé dans un miroir étrusque

Alors que Tirésias et Mopsos font partie du cycle thébain, le devin Calchas fait partie du cycle troyen. C’est grâce à l’Illiade d’Homère, et aux références d’Hésiode, que son nom est célèbre dans toute l’Antiquité, de l’Anatolie à l’Italie. Aussi son image figure-t-elle au revers de nombreux miroirs, objets précieux de toilette féminine.

MIROIR RÉFLÉCHISSANT.
Il s’agit d’une des faces incisée [postérieure, ou revers] d’un miroir poli réfléchissant [face antérieure, ou droit], en bronze fondu, d’un diamètre 14,8 cm

Exhumé [sans doute un peu avant 1835] du site de Vulci, antique cité-état étrusque qui se trouve au nord de l’Italie sur le territoire de Montalto di Castro, dans la province de Viterbe, faisant alors partie de l’État pontifical.

Miroir à manche, daté de la fin du Ve siècle av. J.-C. [420/430].
Exposé, dans la salle III, consacrée aux bronzes, du Musée Grégorien-Étrusque, l’un des musées du Vatican, créé en 1837, et situé, à l’intérieur de la Cité Vaticane, dans le Petit Palais du Belvédère, ancienne demeure du pape Innocent VIII.

UN MIROIR POUR LA VIE.
Le miroir poli en bronze, à manche d’ivoire ou de bois, est un ustensile de toilette coûteux, réservé aux femmes des familles les plus fortunées.
L’objet, unique, est offert au moment du mariage, et gardé tout au long de la vie. Au décès de sa propriétaire il est placé dans la tombe, à côté des restes incinérés. En même temps que des amulettes, des perles, des bagues, des bracelets, des colliers, des peignes, des fibules, des fioles et des flacons conservant onguents et parfums, des coupes et des vases.

CALCHAS LE DEVIN.
L’inscription sur la droite donne le nom de Calchas [Xάλχας].
Selon la tradition, le devin Calchas est le fils d’un devin troyen du nom de Thestor, personnage des temps héroïques, d’une lignée affirmant remonter jusqu’à Apollon, dieu qui, parmi une soixantaine d’épithètes, est proclamé : dieu de la divination, pythien ou tout-voyant.
Cependant, Homère dans l’Illiade, malgré l’origine troyenne de Calchas, en fait un personnage au service des Achéens. Alors même que dans la distribution traditionnelle du rôle des Dieux, Apollon est favorable aux Troyens.

DESCRIPTION.
Toute la scène, tournée vers la droite, est gravée de profil.
A moité vêtu de l’himation, simple étoffe de laine jetée sur l’épaule gauche puis repliée sur l’avant-bras, le devin, nettement penché face à la table de sacrifice, < dans une posture traditionnelle de l’haruspice étrusque >, examine avec attention, soupesé dans sa main gauche, le foie d’un jeune animal fraîchement sacrifié.
Mais ce qui frappe surtout, ce sont des ailes immenses, plus vastes que le torse, épousant en partie la forme circulaire du miroir.
Ainsi que les jambes nues dont les pieds sont fortement plantés sur les deux rochers à fleur de sol.
Dessin symbolique qui représente le devin, dont la barbe épaisse témoigne d’un âge mûr, comme un intermédiaire privilégié. Capable tout à la fois d’entrer en communion avec le ciel, univers lumineux de l’au-delà, et d’entrer en communion avec le monde souterrain, univers obscur de l’en-deçà.
Sur le sol, un peu à gauche, un oenochoé, témoignant d’une récente libation liée au sacrifice.
Examiné minutieusement et soupesé dans la main, le foie. Sur la table, les poumons, autre viscère noble, un < ekta >, qu’il faudra interpréter, comme pourraient l’être aussi le cœur, les reins ou la rate [à l’opposé des intestins, non nobles, et séparés des nobles par une membrane].

CALCHAS, DANS UN PREMIER TEMPS, AU SERVICE DE PRIAM.
Dans un premier temps, le devin Calchas est au service de Priam, roi mythique de Troie. À ce titre, au début de la guerre, il est envoyé en Grèce, à Delphes, sanctuaire du Dieu Apollon, au pied du Mont Parnasse, pour consulter la Pythie au sujet du devenir de Troie.
C’est alors que le jour du sacrifice, Calchas aperçoit cet évènement étonnant : un < horrible serpent au dos rouge > dévore huit jeunes oiseaux et leur mère, réfugiés vainement dans les branches d’un platane.
Calchas ne manque pas d’interpréter : Tout comme ce serpent a mangé les petits passereaux et leur mère – ainsi les Achéens combattrons en nombre égal d’années, puis la dixième, la ville immense de Troie sera prise.
Choisissant le camp victorieux, Calchas décide alors de mettre ses compétences divinatoires au service des Achéens.

CALCHAS CONSEILLE À AGAMEMNON DE SACRIFIER SA FILLE IPHIGÉNIE.
Alors que les cents vaisseaux des rois grecs coalisés contre Troie après avoir fait escale à Aulis, sur les rivages de la Béotie, sont désireux de reprendre la mer, un vent du nord, venu de Strymôn, se lève et annonce une tempête ! La flotte bloquée ne peut repartir.
Calchas consulté déclare à Agamemnon, roi de Mycènes, que pour obtenir les vents que les dieux lui dénient, il doit apaiser la colère d’Artémis, sœur d’Apollon, dont il a tué dans un bois consacrée à la déesse un cerf [ou selon d’autres versions une biche], en faisant sacrifier sur l’autel d’Artémis, à Aulis, Iphianassa [Iphigénie], une de ses filles.
Agamemnon s’y résigne. Le sacrifice accompli, et Iphigénie sauvée in extremis par la déesse Artémis pour devenir sa prêtresse, les bateaux peuvent poursuivre leur route.

CALCHAS A PRÉDIT LA VICTOIRE FINALE.
Lorsque les Grecs, las d’une guerre interminable qui s’étale sur neuf ans, songent un moment à lever le siège, Ulysse leur rappelle l’extraordinaire évènement à la suite duquel Calchas, tout au début, sur le site du temple de Delphes, a deviné la durée et l’issue de la guerre qui sera menée par les Achéens contre les Troyens, à la suite du rapt d’Hélène par Pâris.
Ainsi l’issue de la guerre ne doit plus faire de doute. Galvanisés à nouveau, par le rappel qu’Ulysse fait de cet épisode, les Grecs reprendront le combat.

CALCHAS INTERPRÈTE DE LA COLÈRE D’APOLLON.
Alors que pendant neuf jours d’affilée, < les mules, les chiens et les hommes du camp des Grecs > sont victimes de la peste, signe du courroux d’Apollon décochant ses flèches, Achille demande qu’on consulte un devin.
Alors se lève Calchas, < le plus illustre des augures, devin plein de sagesse et de bienveillance qui connaît le passé, le présent et l’avenir >. Celui-là même qui a deviné la durée de la guerre, et qui a permis aux vaisseaux grecs de gagner le large.
Calchas explique qu’Apollon venge son prêtre et sacrificateur, Chrysès venu pourtant avec de riches présents, qu’Agamemnon n’a pas craint d’outrager, en refusant d’accéder à sa demande [lui rendre sa fille Cryséis] et allant même le menaçer.
< Il faut, dit Calchas, rendre cette jeune vierge aux yeux d’ébène à son père chéri >
Agamemnon, roi de Mycènes, finira par rendre Cryséis à son père, mais obtiendra en contrepartie, par la menace, la jeune Briséis, attribuée initialement, dans le partage du butin, < au divin Achille >.
On connaît la suite : de dépit Achille se retire sous la tente, et malgré toutes les supplications, ne reprendra tardivement le combat, qu’à la mort de son compagnon Patrocle, tué par Hector.

UN AUTRE MIROIR AVEC UNE SCÈNE IDENTIQUE.
Un autre miroir, avec une scène identique, provenant soit de Vulci, soit de Préneste, dans la province du Latium, < miroir piriforme sur manche en soie, gravé au revers > est exposé en France à Toulouse, au Musée Saint-Raymond.
On sait qu’il a fait partie de collections privées : collection de l’antiquaire numismate et sigillographe Jules Charvet [1824-1882] ; collection Edward Barry [1809-1879], professeur d’Histoire [1840-1874] à la Faculté des Lettres de Toulouse.

UNE MORT ANNONCÉE.
Sans doute inspiré par un démon, au sens grec du terme [δαίμων], lorsqu’il interprète les signes, le devin n’en est pas moins un être humain, donc mortel.
Plusieurs versions circulent quant à la mort de Calchas, qui surviendra finalement sur le chemin du retour vers la Grèce, après la prise de Troie.
Son destin, lui avait t’on dit, était de mourir, si jamais il rencontrait un devin plus fort que lui. Ce que bien sûr il estimait impossible.
Aussi, selon une version d’Hésiode, rapportée par Strabon, accepte-t’il de participer à une sorte de tournoi contre le devin Mopsos, fils de Tirésias, voyant Thébain. Et s’étonnant devant lui, au spectacle d’un figuier, que celui-ci si petit semble porter un si grand nombre de fruits, pose la question à la réponse impossible : combien de figues ?
Contre toute attente Mopsos donne la bonne solution. Mopsos est le plus fort. Calchas en meurt de dépit.
Dans une autre des multiples versions, c’est Calchas qui triomphe tout d’abord, au sujet des vendanges d’une vigne. Mais qui, éclatant de rire devant l’échec manifeste de Mopsos, en vient, lui Calchas, à s’étouffer, et à mourir, conformément au destin de chacun.

SOURCE.
• L’image du miroir sur lequel Calchas interroge le foie d’un animal sacrifié pour en tirer des augures est reprise de : https://agorha.inha.fr/ark:/54721/137ae75c-e2ec-4dba-b8c2-e2520c54c85c
En liaison avec gallica.bnf.fr. Domaine public.

• Les miroirs étrusques et prénestins par Roger Lambrechts. Université de Louvain.
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/02/Miroirs.html

• Sur la mort de Calchas : Christine Huzinger. L’énigme de Calchas. Un étonnement fatal. [Gaia. Revue interdisciplinaire sur la Grèce ancienne].
https://www.persee.fr/doc/gaia_1287-3349_2015_num_18_1_1652