Honoré de Balzac, Victor Cousin et la pension Lepître

Les connaisseurs de Balzac se souviennent sans doute de la description de la pension Lepître, dans les premières pages du Lys dans la vallée. En sachant aussi que Balzac lui-même, quand il avait quinze ans, l’a fréquenté quelques mois, au début de l’année 1815. Auparavant, Victor Cousin y a été beaucoup plus assidu, puisqu’il est élève de la pension de Jacques François Le Pître pendant cinq ans, tandis qu’il suit l’enseignement du lycée Charlemagne, jusqu’à sa classe de rhétorique.
En 1815, à plus de cinquante ans, Jacques François Le Pître est un personnage pittoresque, au physique un peu ingrat : « Il était, dit Balzac, gros comme Louis XVIII et pied-bot ». Et surtout, il traîne avec lui une sorte d’aura liée à son engagement légendaire pour libérer, de la prison du Temple, la reine Marie-Antoinette.
 
LA PENSION LEPÎTRE.
La pension Lepître, créée en 1804 par Jacques François Lepître [1761-1821], réputé pour son attachement aux idées royalistes, était située, comme beaucoup d’autres pensions, dans le quartier du Marais. Plus précisément dans l’ancien Hôtel du marquis de Joyeuse, 9 rue de Saint-Louis au Maris, rebaptisée rue de Turenne [aujourd’hui 37 et 39 rue de Turenne].
L’établissement fonctionnera jusqu’à l’automne 1815, autrement dit jusqu'à la seconde Restauration. Il sera maintenu, sous le nom de pension Guillet-Lepître, sous la direction d’Isidore Guillet.
Elle reçoit en pension, et fournit, comme son nom l’indique, le dormir et le manger à des élèves qui suivent dans la journée l'enseignement d’un lycée, généralement le lycée Charlemagne tout proche, tout en bénéficiant, à la pension le soir, de cours complémentaires.

La pension est fort réputée, et est comparable, dit le Journal de l’éducation aux meilleures maisons de l’époque : à la pension Butet, rue de Clichy, qui envoie ses élèves au collège Bourbon ; à la pension Parmentier, rue des Postes, voisin du collège Louis-le-Grand.

En 1816, après avoir cédé son établissement, Jacques François Lepître est professeur de rhétorique au collège royal de Rouen, dont l’abbé Beaufils est proviseur. L’abbé Ledrandeville, puis l’abbé Fribault y sont professeurs de philosophie.

VICTOR COUSIN ÉLÈVE DE LA PENSION LEPÎTRE.
En 1805, Victor Cousin [1792-1867] est en classe de cinquième. Il a quatorze ans. Il suit les classes du Lycée Charlemagne, en qualité d'élève externe de la pension Lepître, portant selon l'usage du temps, le nom de son directeur.
Il reste élève de la pension jusqu’en octobre 1810, date à laquelle, tandis qu’il vient de suivre sa classe de rhétorique, il est désigné pour être inscrit dans la première promotion de l’École normale [1810-1812].  

Paul François Dubois [1793-1874], dans son livre de souvenirs [Cousin, Jouffroy, Damiron, publié par Adolphe Lair en 1902] écrit à propos de Victor Cousin, dans cette période  :
« Était-il pensionnaire ou seulement, comme la plupart des enfants du quartier, placé là pendant la journée et suivant les répétitions du lycée en même temps que les pensionnaires, peu importe. Mais, dans cette maison, l’homme que nous avons connu avec ses fièvres de parole, de prédication, de dogmatisme enthousiaste, éclate dans l’enfant, et domine tout autour de lui. Nous avons là-dessus deux témoignages irrécusables, celui de Damiron et celui de Pierre Leroux ; le premier plus jeune de deux années, l’autre tout petit enfant qui s’y rencontrèrent avec lui. L’un et l’autre m’ont bien souvent raconté ces jours de la pension, et Damiron en a consigné les traits ».

HONORÉ DE BALZAC ÉLÈVE DE LA PENSION LEPÎTRE.
Honoré de Balzac [1799-1850], alors qu’il est dans la classe de ses Humanités [classe de seconde], n’a été que quelques mois, à partir de janvier 1815, élève de la pension Lepître.
C’est qu’originaire de Tours, où il est né le 20 mai 1799, le jeune Balzac vient d’arriver depuis peu à Paris, où ses parents se sont installés en novembre 1814, rue du Temple.
Comme Félix de Vandenesse, son héros du Lys dans la Vallée, Balzac est resté six ans interne au collège des Oratoriens de Vendôme [1807-1813]. Après quoi il a passé quelques mois à Paris, comme pensionnaire de l’Institution Ganser et Beuzelin [1813], puis a été scolarisé au collège de Tours [été 1814].

Élève de la pension Lepître en janvier 1815, Balzac ne va y rester que quelques mois. Il retourne à la pension de l’abbé Valentin Ganser [1775-1842], futur proviseur du collège royal de Saint-Louis, sise aussi dans le quartier du Marais, au 7 de la rue de Thorigny, qu’il a déjà fréquenté en 1813. Il y reste jusqu’à son inscription  à la Faculté de Droit [novembre 1816] où il prépare son baccalauréat de Droit.

DESCRIPTION DE LA PENSION PAR BALZAC DANS LE LYS DANS LA VALLÉE.
Alors que deux premières livraisons ont été déjà publiées en novembre et en décembre 1835, dans la Revue de Paris, le roman de Balzac, le Lys dans la vallée paraît comme ouvrage en juin 1836.
Félix de Vandenesse, héros qui a évidemment quelques ressemblances avec Balzac, écrit son histoire à la première personne. Après avoir été externe à Tours, Félix est en pension chez les Oratoriens, puis en 1809, est placé dans la pension Lepître, où il est rétrogradé en troisième :

« Mon père conçut quelques doutes sur la portée de l’enseignement oratorien, et vint m’enlever de Pont-le-Voy pour me mettre  à Paris dans une institution située au Marais. J’avais quinze ans. Examen fait de ma capacité, le rhétoricien de Pont-le-Voy fut jugé digne d’être en troisième. Les douleurs que j’avais éprouvées en famille, à l’école, au collège, je les retrouvai sous une nouvelle forme pendant mon séjour à la pension Lepître. Mon père ne m’avait point donné d’argent. Quand mes parents savaient que je pouvais être nourri, vêtu, gorgé de latin, bourré de grec, tout était résolu. Durant le cours de ma vie collégiale, j’ai connu mille camarades environ, et n’ai rencontré chez aucun l’exemple d’une pareille indifférence. Attaché fanatiquement aux Bourbons, M. Lepître avait eu des relations avec mon père à l’époque où des royalistes dévoués essayèrent d’enlever au Temple la reine Marie-Antoinette ; ils avaient renouvelé connaissance ; M. Lepître se crut donc obligé de réparer l’oubli de mon père, mais la somme qu’il me donna mensuellement fut médiocre, car il ignorait les intentions de ma famille. La pension était installée à l’ancien hôtel Joyeuse, où, comme dans toutes les demeures seigneuriales, il se trouvait une loge de suisse. Pendant la recréation qui précédait l’heure où le gâcheux nous conduisait au lycée Charlemagne, les camarades opulents allaient déjeuner chez notre portier, nommé Doisy ».

JACQUES FRANÇOIS LEPÎTRE.
Jacques François Le Pitre [selon la forme préconisée par la Bibliothèque nationale de France], ou Lepître, selon l’usage le plus fréquent, né le 6 janvier 1764 ; mort le 18 janvier 1821, à Versailles, a été auteur dramatique, professeur de rhétorique et maître de pension.

ÉCRIVAIN DE THEÂTRE.
De 1788 à 1794, il est l’auteur de plusieurs pièces de théâtre :
En 1788, Jacques François Le Pitre fait jouer un opéra-bouffon en 1 acte, intitulé Le bon père, joué à Paris, au théâtre de Beaujolais, le 8 octobre 1788. Le texte de la pièce sera imprimée en 1794.
En 1794, il fait imprimer un opéra-vaudeville en 1 acte, intitulé Le renouvellement du bail, jouée au théâtre de la Cité Variétés, le 29 mars 1794.
En 1794, il fait imprimer une comédie en un acte, mêlée de vaudevilles, intitulée Arlequin imprimeur, ou Pourquoi écoutait-il ? , jouée à Paris, au théâtre de la Cité Variétés, en juin 1794 et imprimée à Paris : chez la Citoyenne Touron. In-8, 47 p., 1794].
En 1803, il fait jouer et publie L'aveugle supposé : comédie en un acte et en vaudevilles par Monsieur Lepitre, representée pour la première fois sur le Théâtre du Vaudeville, le 8 septembre 1803 [Paris : Mme Masson. In-8, 34 p., an XII (1803)].

L’HISTOIRE DES DIEUX EN OUVRAGE SCOLAIRE ;
En 1818, alors qu’il est dans l’enseignement, Jacques François Le Pitre publie un ouvrage scolaire : Histoire des dieux, des demi-dieux et des héros adorés à Rome et dans la Grèce, à l'usage des jeunes élèves, par J.-Fr. Le Pitre  [Paris : H. Nicolle. In-12, IV-184 p., 1814]. Réédité en 1819.

PARTICIPATION A UNE CONSPIRATION EN FAVEUR DE LA FAMILLE ROYALE.
Mais surtout, en 1814, il publie sous le titre Quelques souvenirs ou Notes fidèles sur mon service au Temple, depuis le 8 décembre 1792 jusqu'au 26 mars 1793, et sur quelques faits relatifs au procès de la Reine et à celui des membres de la Commune accusés de conspiration avec la famille royale, par M. L***** [Paris : H. Nicolle. In-8, 92 p., 1814], le récit de sa participation à une conspiration visant à libérer la reine Marie-Antoinette, alors qu’officier municipal il avait été désigné pour garder la famille royale au Temple.
La conspiration ayant été éventée, Jacques François Le Pitre est arrêté, incarcéré à Sainte-Pélagie et jugé par le tribunal révolutionnaire.
Le texte est réédité en 1817, en 1827.

UNE ROMANCE POUR MADAME ROYALE, DAUPHINE DE FRANCE.
Libéré, et la situation politique ayant changé, Jacques François Le Pitre peut continuer à agir en conformité avec ses sentiments royalistes. Il rapporte aussi, dans ses Quelques souvenirs, qu’il a composé une romance destinée à Madame, autrement dit à Marie-Thérèse Charlotte Bourbon, future duchesse d’Angoulême, et participé, en août et septembre 1795, aux séances musicales de < la rotonde du Temple >.

Jacques François Le Pitre rapporte ainsi les choses : « À peine Mme Cléry […] eut-elle appris que Madame se promenait le soir, qu’elle s’empressa de louer dans une maison, appelée la rotonde du Temple, deux chambres dont les croisées donnaient sur le jardin, la rue qui sépare étant fort étroite. De là, on découvrait, on entendait parfaitement. On porta une harpe dans la pièce que nous nommions la salle du concert ; et la première fois on chanta des morceaux qui n’avait point un rapport direct avec la situation de Madame. Pour le concert suivant, je composai la romance intitulée Les Regrets, dont Madame Cléry fit la musique ».

Cet épisode lui vaut d’être présenté en 1814, à la duchesse d’Angoulême, Marie-Thérèse de France, fille aînée  de Louis XVI et de Marie-Antoinette, lorsqu’elle revient en France à la suite de la première Restauration.

AUTRE PUBLICATION.
Sur la mort du Cit. Desault, par le cit. Le Pitre [s.l. s. n.-1795]

c JJB, 01_2012