Cousin et les mystères de l’Académie française

En 1844, sous le pseudonyme d'Arthur de Drosnay, paraît, d'Arthur Barbat de Bignicourt [1824-1888], un livre d'anecdotes, intitulé "Les petits mystères de l'Académie française : révélations d'un envieux." Il y trace, à charge, les portraits des quarante académiciens : successivement, dans le désordre évoqué du hasard : Ballanche, Cousin, Nodier, Patin, Chateaubriand, etc.

Il fut un temps où le mot à la mode était «Physiologie». Qu'on songe à l'essai de Balzac, paru en 1829, intitulé Physiologie du Mariage, ou méditations de philosophie éclectique, sur le bonheur et le malheur conjugal, publiées par un jeune célibataire.
  
Vers 1840, le nouveau mot à la mode est «Mystère». Mis en avant par le roman d'Eugène Sue, Les Mystères de Paris, publié d'abord dans le Journal des Débats [1842-1843]. 
Arthur de Drosnay, pour justifier son ouvrage, prétexte les confidences supposées de  l'académicien Guillaume Viennet concernant une séance houleuse du Dictionnaire de l'Académie, au cours de laquelle Victor Hugo aurait proposé, soulevant un véritable scandale,  qu'on définisse les mots «mystérisation», «mystériographe», «mystériser». 
Aussi, soucieux lui aussi de suivre la mode, Arthur de Drosnay [alias Arthur Barbat de Bignicourt] se sent, dit-il, dans l'obligation pour sa part, de lever Les petits mystères de l'Académie.
Le titre exact du livre est : Les / petits mystères / de l'Académie française, / Révélations d'un envieux / par Arthur de Drosnay / [Paris : chez Saint-Jorre, Libraire. Boulevard des Italiens, 7 et chez Dentu, libraire, Palais-Royal. Galerie d'Orléans. VII-198 p., 1844].
Le bref chapitre consacré à Victor Cousin, à peu près cinq pages, est plutôt féroce.
[SES TITRES ACADÉMIQUES].
M. Cousin a fait un cours de philosophie à la Faculté des Lettres ; il a traduit, ou du moins a été censé traduire Platon ; il a publié des fragments philosophiques : voilà ses titres littéraires. 
Certes il méritait, après tous ces travaux, d’être nommé de l’Académie. D’ailleurs il représente une école, il en est l’âme : il la rend de plus en plus célèbre tous les jours, à mesure qu’il s’efforce de l’obscurcir, par parenthèse. Tout cela est très bien : il devait être de l’Académie, il en est. 
[UNE FÂCHEUSE PHILOSOPHIE].
Pourtant, c’est une fâcheuse philosophie que la philosophie de M. Cousin. Pour ma part, j’ai l’honneur de la condamner de toutes les forces de ma petite intelligence. Eh bien ! le croiriez-vous ? malgré cela j’ai été obligé, forcé, entendez-vous ? de dire en plein public, à ce M. Cousin lui-même, que sa philosophie était la meilleure philosophie qu’il y ait au monde. Que voulez-vous ? Grâce au régime universitaire de notre gracieux gouvernement constitutionnel, vous savez que nul Français ne peut parvenir à quelque fonction publique que ce soit, sans être muni d’un diplôme de bachelier ès-lettres ; or, comme tous les autres, j’étais venu m’asseoir, il y a quelques années, sur cette terrible sellette de la Sorbonne, et M. Cousin, qui était un de mes examinateurs, me posait nettement cette question positive : “Monsieur, quelle est aujourd’hui la meilleure philosophie ?” 
[CONTRE L'ÉCLECTISME].
Je répondis bravement, non pas que c’était la sienne, c’eût été trop fort, mais que c’était l’éclectisme, ce qui est absolument la même chose. Intérieurement, je ne méprise rien tant au monde que l’éclectisme : mais que voulez-vous ? si je ne disais pas cela, j’étais refusé à mon examen, je n’avais pas mon diplôme de bachelier, je ne pouvais pas faire mon droit : et ma mère tient tant à ce que je représente un jour quelque chose. Bref, ma réponse eut lieu comme je viens de vous le dire ; elle me valut le plus gracieux sourire de M. Cousin, qui, sans me laisser plus longtemps à la torture, passa outre, et s’esquiva doucement en mettant une boule blanche pour moi, en même temps qu’il absorbait une tasse de café, pour lui, dans cette arrière-fabrique de bacheliers que vous connaissez tous, jeunes gars, qui jouissez comme moi de l’avantage de subir des examens. 
Quel régime, quelle constitution ! 
[L'IMPOSITION D'UNE DOCTRINE].
Quel gouvernement que celui où il faut absolument mentir pour être quelque chose !
Dans tous les cas, M. Cousin dans ce moment est quelque chose ; il a été grand-maître de l’Université, il peut le redevenir demain ; ses écrits, sa doctrine se propagent avec d’autant plus de facilité qu’on vient de les imposer aux collèges et institutions, non seulement comme enseignement, mais encore comme récompense, c’est-à-dire que nos fils, nos frères, après avoir bien travaillé pendant des années, après avoir vainement cherché à comprendre cette philosophie, terrible en ce sens qu’elle ose à peine se fonder sur un Dieu, cette philosophie vide et sceptique qui ne guérit aucune plaie du coeur, qui ne donne aucune espérance à l’âme, recevront encore en prix à la fin de l’année, un tome dépareillé peut-être des oeuvres de M. Cousin
…Et nunc applaudite cives !
Vive la Charte !