La Logique d’Aristote mise au concours

En 1835, pour la deuxième fois, Aristote est mis à l'honneur par l'Académie des Sciences morales et politiques. La section de Philosophie, sur la proposition de Victor Cousin, a en effet donné pour thème de concours : l'Examen critique de l' Organum d'Aristote. Le prix sera remis en novembre 1837, à Jules Barthélemy Saint-Hilaire [1805-1895], qui a entrepris parallèlement le considérable travail de traduire la totalité des textes d'Aristote qui nous sont parvenus.

DÉFINITION DU TERME ORGANUM.
On comprend, dira Adolphe Franck dans son livre sur Aristote, sous le nom collectif d' Organum plusieurs traités parfaitement distincts, ou du moins généralement adoptés et reconnus pour tels :Le traité des Catégories, dont le but est de faire connaître les principes généraux de l'intelligence, ou les formes de la pensée ; le traité de l'Interprétation où sont exposées les règles générales et les formes du langage, considérées seulement sous le point de vue de la logique, comme expression des opérations de l'intelligence et non pas des opérations de l'âme en général ; les Analytiques, où l'on trouve toutes les règles et les formes du syllogisme ; les Topiques, ou lieux communs, qui nous représentent dans leur totalité ce que l'on comprend encore aujourd'hui sous le nom de Dialectique, l'art d'interroger et de répondre ; les Arguments sophistiques, où l'on indique àla fois et les principaux sophismes, et les moyens de les résoudre ». CALENDRIER ET MONTANT DU PRIX.
Le sujet : Examen critique de l'Organum d'Aristote, sur proposition de Victor Cousin, est mis au concours le 28 mars et le 4 avril 1835.
Le terme est fixé au 31 décembre 1836 « Les Mémoires doivent être remis à l’Académie avant le 1er janvier 1837 ».

Le montant du prix est fixé à mille cinq cents francs.

C'est le deuxième concours proposé par l'Académie des Sciences morales et politiques, au nom de sa section de Philosophie, depuis 1833. Le premier concours Examen critique de l'ouvrage d'Aristote, intitulé : Métaphysique, avait été proposé en juin 1833, et décerné en avril 1835 à Félix Ravaisson.
 
PROGRAMME.
Le programme est défini de la manière suivante :
1.Discuter l'authenticité de l'Organum et des diverses parties dont il se compose.
2.Faire connaître l'Organum par une analyse étendue, déterminer le plan, le caractère et le but de cet ouvrage.
3.En faire l'histoire ; exposer l'influence de la Logique d'Aristote sur tous les grands systèmes de logique de l'antiquité, du moyen-âge et de la philosophie moderne.
4.Apprécier la valeur intrinsèque de cette logique et signaler les emprunts utiles que pourrait lui faire la philosophie de notre siècle.

Deux mémoires ont été remis.

RAPPORT.
Rapport verbal de Victor Cousin.
Rapport écrit de Philibert* Damiron, lu dans la séance du 4 novembre 1837.

Publié dans les Mémoires de l'Académie royale des Sciences morales et politiques de l'Institut de France. Année 1839. Tome II [deuxième série], pages 43-124
[Paris : de l'Imprimerie de Firmin Didot frères et Cie. Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, n° 56. In-4, 672 p., 1837].

PRIX DÉCERNÉ À BARTHÉLEMY-SAINT-HILAIRE.
Le prix est décerné à « Jules Barthélemy-Saint-Hilaire ».

Mémoire n°2. Manuscrit in-4 de 885 pages. [Archives de l'institut].

Jules Barthélemy-Saint-Hilaire [1805-1895], dans la période 1835-1836, où il prend connaissance su sujet mis à prix par l'Académie des Sciences morales et politiques, est employé au Ministère des Finances, à la Régie des contributions indirectes.
Depuis janvier 1832, il a commencé l'édition et la traduction des Oeuvres complètes d'Aristote par La Politique traduite en français d'après le texte collationné sur les manuscrits et les éditions principales par J. Barthélemy-St-Hilaire [Paris : Imprimé par autorisation du Roi à l' Imprimerie royale. Deux volumes in-8, 1837]. En obtenant, grâce à Victor Cousin, membre de la Commission des impressions gratuites près l'Imprimerie royale, avec Villemain, Vitet, Daunou, Arago, etc., l'impression de son travail par l'Imprimerie royale.  
En 1838, après avoir remporté le prix de l'Académie des Sciences morales et politiques, Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, toujours avec l'appui de Victor Cousin,  est nommé au collège de France professeur titulaire de la chaire Philosophie grecque et latine, chaire qu’il occupe de 1838 à 1852, en remplacement de Théodore Jouffroy [1796-1842], qui a démissionné pour prendre la chaire de Philosophie à la Faculté des Lettres de Paris, rendue vacante par la mort de Pierre Laromiguière.   
Jules Barthélemy-Saint-Hilaire est élu membre titulaire de l'Académie des Sciences morales et politiques, dans la section de Philosophie le 26 mars 1839.

MENTION HONORABLE À JOSEPH TISSOT.
Une mention honorable est décernée à Joseph Tissot, « professeur de philosophie à Dijon ».

Mémoire n°1. Manuscrit in-4 de 251 pages. [Archives de l'Institut].

Joseph Tissot [1801-1876], agrégé de philosophie en 1831. Docteur ès-lettres [Dijon, 1831], avec une thèse latine latine portant sur les notions de droit naturel et l'éthique : De notionibus quibusdam juri naturali et ethicoe communibus ; de systematum utriusque disciplinae speciebus ; inter utramque scientiam differentia. [In-8]. La thèse française a pour titre : Du beau, particulièrement en littérature.  
Professeur de philosophie à Bourges [1834], puis au collège royal de Dijon, chargé de cours de philosophie [1836-1839] à la Faculté des Lettres de Dijon. Puis professeur titulaire de la chaire de Philosophie à la Faculté des Lettres de Dijon [1839-1870]. Doyen de la Faculté des Lettres de Dijon [1868].
Élu correspondant de l'Académie des Sciences morales et politiques, section de Philosophie, le 27 février 1869.

Joseph Tissot [1801-1876] participe à plusieurs concours de la section de Philosophie de l'Académie des Sciences morales et politiques : celui de 1833, sur l'Examen critique de l'ouvrage d'Aristote, intitulé Métaphysique, où  il obtient une mention honorable ; celui de 1835, sur l'Examen critique  de l'Organum d' Aristote, où il obtient une mention honorable ; celui de 1850, sur l'Examen critique des principaux systèmes modernes de Théodicée, où il obtient une mention honorable ; celui de 1866, Exposer la philosophie de Kant, où il reçoit le prix de mille cinq cents francs [partagé avec Théophile Desdouits]  ; celui de 1867, sur la Folie considérée au point de vue philosophique, où il reçoit une médaille de mille cinq cents francs.  

PUBLICATION DE BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE EN LIAISON AVEC SON MÉMOIRE.
Jules Barthélemy-Saint-Hilaire publie son travail en 1838, sous le titre :
De la Logique d'Aristote [Paris : Ladrange. Deux volumes in-8, VI-450+408 pp., 1838].

PUBLICATION DE JOSEPH TISSOT EN LIAISON AVEC SON MÉMOIRE.
Pas de publication.

ADOLPHE FRANCK HORS-DÉLAI POUR CONCOURIR.
C'est sur ce même sujet qu'Adolphe Franck [1809-1893], alors professeur au collège royal de Nancy, depuis 1834, avait cherché à concourir.
Bien que hors délai pour concourir pour l'Académie, V. Cousin l'avait encouragé à publier son texte qui paraît en 1838 : *Esquisse d'une histoire de la logique, précédé d'une analyse étendue de l'Organum d'Aristote, par Ad. Franck, professeur de philosophie [Paris : Librairie classique de L. Hachette. Rue Pierre Sarrasin, n°12. In-8, XV-315 p., M.DCCC.XXXVIII].

Adolphe Franck témoigne de ce soutien de V. Cousin à la fin de sa Préface : « [Cet ouvrage] serait resté longtemps encore sans voir la lumière, si un homme qui a rendu à la philosophie les plus éclatants services, l’un des membres les plus illustres de la savante Académie dont nous avons ambitionné le suffrage, ne nous avait fait espérer qu’il pourra être de quelque profit pour l’enseignement et pour la science. Puisse le public partager son avis et imiter son indulgence ! ».
Soucieux d'appuyer la philosophie sur l'histoire de la philosophie, selon une vue chère à son maître Victor Cousin, l'étude de Franck porte essentiellement sur les ouvrages de logique d'Aristote, mais brosse aussi une description des systèmes logiques de Bacon, Descartes, Kant, Hegel [considérés, avec Aristote, comme les grands maîtres de la logique et de la philosophie].

Adolphe Franck [1809-1893], est d'abord professeur de philosophie au collège de Douai [1832]. Docteur ès-lettres [mai 1832, Toulouse], avec une thèse en latin sur la Liberté [De Libertate], et une thèse en français : Des Révolutions littéraires.
Agrégation de philosophie en août-septembre 1832.
Il connaît, dans l’enseignement secondaire, une carrière professorale rapide qui le rapprochera assez vite de Paris, dans des chaires de plus en plus importantes : professeur au collège de Nancy [1834] ; professeur au collège de Versailles [1838] ; professeur de philosophie au collège Charlemagne [1840].
De 1849 à 1852, Adolphe Franck  supplée Jules Barthélemy-Saint-Hilaire au Collège de France, dans la chaire de Philosophie grecque et latine. Il est chargé de cours au Collège de France pour le Droit de la nature et des gens, en 1854-1855. En janvier 1856 est nommé professeur titulaire [chaire du Collège de France qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 1881]
Élu à l’Académie des Sciences morales et politiques, dans la section de Philosophie, le 20 janvier 1844.

VICTOR COUSIN ET LE RETOUR À ARISTOTE.
Depuis 1820, Victor Cousin a entrepris une série d'éditions savantes : celles des œuvres de Proclus, texte grec et commentaires en latin, six volumes, 1820-1827 ; traduction des œuvres de Platon, en treize volumes [1822-1840], traduction commencée en 1822, et dont le tome huit paraît en 1832 ; enfin, une édition des œuvres de Descartes, en onze volumes, menée à bien de 1824 à 1826.
Quant à l'édition des Oeuvres de Maine de Biran, elle est esquissée en 1832 et se poursuivra jusqu'en 1841.

Avec le premier concours de philosophie de l'Académie des Sciences morales et politiques, qui renoue avec la tradition des prix de l'Institut de France, Victor Cousin cherche à donner une nouvelle orientation aux recherches qu'il patronne.

Depuis 1830, il n'enseigne plus à la Faculté des Lettres, où il se fait remplacer en 1830-1831 par Jean Philibert Damiron [1830-1831], puis l'année suivante, jusqu'en 1838, par Hector Poret [1831-1838].
Il ne conserve son enseignement qu'en troisième année de l'École normale. Et, en 1836, comme en témoigne Jules Simon : « Il ne fit pas autre chose que de lire avec nous le XII ème livre de la Métaphysique d’Aristote. Il fit de même en 1837 ».
De même plusieurs thèses de doctorat soutenues à Paris, à partir de 1836, sont consacrées à Aristote : la thèse latine de M. B. Jullien sur De physica Aristotelis ; la thèse française d' Étienne  Vacherot sur la Théorie des premiers principes d'Aristote. En 1837, la thèse française d' Amédée Jacques, sur Aristote considéré comme historien de la philosophie. En 1839, la thèse latine de Jules Simon De Deo Aristotelis.

En même temps Victor Cousin veille à inscrire La Métaphysique d'Aristote dans le programme du concours d'agrégation.

Aussi peut-on parler, à propos de Victor Cousin « d'un retour à Aristote ». http://pages.textesrares.com/index.php/Philo19/Victor-Cousin-et-le-retour-dAristote.html

SOURCES.
Depuis janvier 1842, soit un peu moins de dix ans après sa reconstitution, sur proposition de François Guizot, et par ordonnance royale de Louis-Philippe du 26 octobre 1832, l'Académie des Sciences morales et politiques, publie chaque année un Compte rendu très détaillé des « Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques ».
Le dépouillement de ces comptes rendus, parus annuellement, rédigés par Charles Vergé et M. Loiseau, puis par Charles Vergé seul, sous la direction de François Mignet, secrétaire perpétuel de l'Académie [Paris : Alphonse Picard, libraire-éditeur, 82 rue Bonaparte], permet d'accéder aux informations concernant l'ensemble des concours proposés régulièrement par les différentes sections [Philosophie ; Morale ; Législation, droit public et jurisprudence ; Économie politique et statistique ; Histoire générale et philosophique].

D'autre part, en décembre 1901, l'Académie des Sciences morales et politiques a fait paraître, sous le titre Concours de l'Académie, la liste intégrale des « sujets proposés, prix et récompenses décernés, liste des livres couronnés ou récompensés », pour la période 1834-1900 [Paris : Imprimerie nationale. in-8, 260 p., décembre 1901]. avec une Table des rapporteurs, une Table du nom des auteurs couronnés, une Table des matières.

C'est à partir de ces deux sources, complétées succinctement d'informations biographiques et bibliographiques, que sont repris les renseignements portant  sur le deuxième concours de Philosophie de l'Académie concernant l'Examen critique de l'Organum d'Aristote.