En mars 1828, le nouveau Grand-Maître de l’Université, A. F. H. de Vatimesnil [1789-1860], âgé de trente-huit ans, rétablit V. Cousin dans ses droits et le nomme professeur-adjoint de la chaire d'Histoire de la philosophie moderne à la Faculté des lettres de Paris. V. Cousin, qui avait été interdit d’enseignement depuis novembre 1820, s’empresse de reprendre ses cours dès le jeudi 17 avril 1828. Il y affirme à nouveau son attachement à l’éclectisme.
JEUDI 17 AVRIL : V. COUSIN REPREND SON ENSEIGNEMENT.
Après l’ordonnance de dissolution de la Chambre, publiée le 5 novembre 1827, puis les élections législatives des 17 et 24 novembre 1827 marquant une poussée des libéraux, qui obtiennent cent soixante-dix sièges, Villèle est finalement poussé à présenter sa démission à Charles X.
Jean Baptiste de Martignac, ministre de l’Intérieur, à la tête d’un gouvernement qui va durer presque un an et demi, du 5 mars 1828 au 8 août 1829, mène une politique « centriste » moins conservatrice. Le ministère des Cultes, confié à Mgr. Jean Luc Frayssinous [1765-1841], est séparé du ministère de l’Instruction publique. Ce dernier est pris en charge par A. F. H. de Vatimesnil [1789-1860].
Une de ses premières mesures, par l’arrêté du 5 mars 1828, nommant Victor Cousin professeur-adjoint de la chaire d'Histoire de la philosophie moderne à la Faculté des lettres de Paris, est de lui permettre de reprendre l’enseignement dont il avait été écarté dans la fin de l’année 1820, par le ministère Villèle. On sait que cette censure exercée contre V. Cousin, alors simple suppléant, était une mesure de rétorsion prise alors que son « patron » Pierre Paul Royer-Collard [1763-1845], titulaire en titre de la chaire,venait de passer dans l’opposition.
En 1828, soit presque huit ans plus tard, à la Faculté des lettres de Paris, Abel François Villemain [1790-1870] avait déjà retrouvé sa chaire d’Éloquence française en janvier 1827 ; François Guizot [1787-1874] reprend ses cours d’Histoire moderne le vendredi 11 avril 1828, et V. Cousin le jeudi 17 avril.
L’ÉCLECTISME : PHILOSOPHIE DU XIX ÈME SIÈCLE.
1818. Dès son cours professé à la Faculté des lettres pendant l’année 1818, pour sa quatrième année d’enseignement, sur le Fondement des idées absolues du Vrai, du Beau et du Bien, V. Cousin dit, dans sa première leçon Du Vrai : « Ce que je recommande, c’est cet Éclectisme éclairé qui, jugeant toutes les doctrines, leur emprunte ce qu’elles ont de commun et de vrai, néglige ce qu’elles ont d’opposé et de faux ».
1826. On retrouve aussi des références explicites à l’éclectisme dans la Préface de la première édition des Fragments philosophiques, en date du 1er avril 1826 : « Le système que nous venons de retracer à la hâte n’est pas autre chose qu’un éclectisme impartial appliqué aux faits de conscience ».
1828. Enfin, dans l’« Avis des éditeurs » rédigé en tête du Cours de philosophie, par V. Cousin, professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Paris. Introduction à l’histoire de la philosophie [Paris : Pichon et Didier, éditeurs, libraires-commissionnaires, successeurs de Béchet aîné, quai des Augustins, n°47. In-8. Pagination multiple, cours par cours, pour les treize leçons. 1828], le rédacteur indique que l’éclectisme est la philosophie du XIXe siècle.
Texte intégral :
« Les leçons faites cette année par M. Cousin sont une vaste introduction au Cours qu’il se propose de faire l’année prochaine. Avant d’entrer dans l’examen d’aucune école philosophique particulière, M. Cousin devait et il a voulu marquer la place de la philosophie dans l’ensemble des connaissances humaines, celle de l’histoire de la philosophie dans l’ensemble de l’histoire générale, et mettre d”abord son auditoire en possession des vues théoriques et historiques qui présideront à son enseignement. Il a donc esquissé à grands traits les caractères qui distinguent les principales époques de l’humanité, toujours en les rapportant aux élémens fondamentaux de notre nature, et aux lois essentielles de l’esprit humain, dont l’expression la plus abstraite est ce qu’on appelle la métaphysique, ou la philosophie proprement dite. Si la philosophie, selon M. Cousin est l’expression la plus élevée et le dernier mot de la société, toute grand époque historique doit avoir sa philosophie ; le dix-neuvième siècle aura donc la sienne. Ce qui la distinguera des autres et lui donnera sa physionomie propre, ce sera l’éclectisme. L’éclectisme, dans toutes les parties de la philosophie : dans la méthode, dans la psychologie, la logique, l’ontologie, etc. ; tel est le système que M. Cousin présente à la jeunesse française. Après avoir démontré l’insuffisance des deux écoles qui se sont partagé le dix-huitième siècle, savoir, le sensualisme en France, représenté par Condillac et ses disciples, l’idéalisme en Allemagne, représenté par Kant et Fichte, M. Cousin établit que l’oeuvre de la philosophie nouvelle sera de chercher la conciliation de ces deux écoles. Cet éclectisme, traité de paix entre les élémens divers de la philosophie contemporaine, M. Cousin le reconnaît et le suit dans toutes les parties de l’ordre social actuel. En politique, par exemple, la Charte est une transaction entre le passé et la société nouvelle, entre l’élément monarchique et l’élément populaire. En littérature, c’est l’accord de la légitimité classique avec l’innovation romantique. Nous n’avons pas besoin de dire avec quelle puissance de dialectique le professeur, dans le cours de ses treize leçons, a déduit les applications de son système philosophique, faisant rentrer toutes les branches de la civilisation dans les cadres de ses classifications, et démontrant la réalité des formules métaphysiques qu’il avait d’abord établies.
Nous continuerons au mois de novembre prochain la publication par leçons de la suite de ce Cours. Un prospectus indiquera les conditions de cette nouvelle souscription ».