Cousin, Victor (1792-1867), sollicitation pour un voyage en Italie

En 1820, le projet déclaré de Cousin est d'aller travailler à la Bibliothèque Ambrosienne [Milan], à la Bibliothèque Saint-Marc [Venise], à la Bibliothèque Florentine [Florence],  à la Bibliothèque Vaticane [Rome] afin de parfaire le travail pour lequel il est déjà « missionné » : éditer les manuscrits grecs de Proclus [412-485], philosophe alexandrin.
Cousin a déjà effectué deux séjours à l'étranger. Tous deux en Allemagne. Le premier, fin juillet-mi novembre 1817, conçu d'abord comme un voyage d'agrément, mais qui deviendra vite un voyage d’études. Un second, l'année suivante, en 1818, à peu près aux mêmes dates. À chaque fois Cousin veille à rencontrer les personnalités et les philosophes qui comptent outre-Rhin, parmi une vingtaine d'entre eux : Creuzer, Goethe, Hegel, Jacobi, Schelling, Friedrich Schlegel, Schleiermacher, Tennemann, etc.

Mais le voyage en Italie dans l'été 1820, ne s'effectue pas, cette fois, aux frais de Cousin. Il prolonge une « mission » déjà effective. Mieux, il va permettre au professeur de philosophie, bientôt banni de l'enseignement de la Faculté des Lettres par le ministère Richelieu [février 1820-décembre 1821], puis touché par la  suppression de l'École normale par le ministère Villèle [décembre 1821-janvier 1828], de se donner une nouvelle légitimité : celle de philologue.

ÉDITER PLOTIN, UNE MISSION OFFICIELLE.
On sait que, du 15 août 1815 au 13 septembre 1819, c'est Pierre Paul Royer-Collard [1763-1845] qui est le Président de la Commission de l'Instruction publique de cinq membres [Royer-Collard ; Cuvier ; Sylvestre de Sacy ; Frayssinous ; Guéneau de Mussy], qui a été mise en place au début de la seconde Restauration, pour décider de tout ce qui concerne l'enseignement.
On connaît les liens qui unissent cette importante personnalité d'une cinquantaine d'années avec le jeune philosophe Victor Cousin, qu'il a désigné en fin 1815, comme étant son suppléant dans la chaire d’Histoire de la philosophie moderne à la Faculté des Lettres.
C'est aussi, grâce à Royer-Collard que Cousin collabore, à partir de janvier 1817, au très prestigieux et respecté Journal des Savants, ainsi qu'aux Archives philosophiques [juillet 1817-décembre 1818].

Tout laisse penser que c'est également, avec son appui, que Cousin obtient, fin 1818, du Ministère de l'Intérieur [qui a sous son autorité l'Instruction publique] une mission officielle pour publier les manuscrits inédits de Proclus [412-485], philosophe néo-platonicien, originaire de la Lycie, né à Byzance, et appelé parfois Proclus le Diadoque, autrement dit le successeur.
Il s'agit d'une édition savante, puisqu'il revient au jeune professeur d'en « éditer » le texte grec et d'en fournir une traduction en latin.

Dans un premier temps, il est avéré que Cousin a seulement pour ambition de publier une édition s'appuyant sur les quatre manuscrits de la Bibliothèque royale [aujourd'hui Bibliothèque Nationale de France], identifiés sous l'appellation Parisini Graeci 1810, 1835, 1836, 1837.
D'ailleurs il convient de noter que déjà Cousin avait suffisamment avancé son travail, pour signer, dès le 1er janvier 1820, la Préface générale au premier tome des Oeuvres de Proclus, et quelques mois après, au 1er juillet 1820, la Préface du deuxième tome.

Mais, en cours de route, prenant connaissance de l'existence d'autres manuscrits dans les bibliothèques italiennes, Cousin cherche à obtenir une mission afin de pouvoir se rendre en Italie, et relever les autres leçons, qui pourront lui servir dans les quatre prochains tomes à paraître [le sixième et dernier tome paraîtra seulement en 1827].

DEMANDE DE SUBVENTION POUR SE RENDRE EN ITALIE.
Fin juin, début juillet 1820, Cousin prend contact avec François Joseph Grille [1782-1853], chef du bureau des Beaux-arts et des Sciences, de la troisième division du Ministère de l'Intérieur, depuis 1812.

Il lui adresse une lettre officielle, en date du lundi 3 juillet 1820.

« Monsieur,
Le gouvernement français, en daignant me charger de publier les manuscrits inédits de Proclus, philosophe alexandrin, m’a imposé par là le devoir de ne rien négliger qui puisse contribuer au succès de l’importante entreprise confiée à mon zèle. Or, une étude attentive des manuscrits que renferme la Bibliothèque du Roi m’a convaincu que, suffisant à la rigueur pour l’édition que je propose, ils avaient besoin cependant d’être comparés avec les nombreux et rares manuscrits que possèdent la Bibliothèque ambrosienne de Milan, celle de Saint-Marc à Venise, la Florentine, et le Vatican. Je m’offre donc au ministère pour aller en Italie exécuter ce pénible travail, et je mets à sa disposition et mon temps et le peu de force que j’ai, ne demandant rien autre chose que ce qui est strictement nécessaire aux frais du voyage et du séjour.
L’édition totale des manuscrits aura six volumes. Le ministre a alloué 1000 écus pour chaque volume. La somme nécessaire à mon voyage serait si peu de chose comparée à la somme totale consacrée à l’édition entière, qu’il serait fâcheux que, faute d’un tel sacrifice, l’édition ne fût pas ce qu’elle peut être.
En effet, il me semble que cinq cents ou six cents fr. par mois suffisent aux besoins de l’entreprise, et trois mois ou quatre au plus me mettront en possession des précieuses variantes et scholies des bibliothèques italiennes.
Je n’attends pour partir que les ordres du ministère, et je les attends avec la confiance respectueuse que m’inspirent son goût éclairé pour les entreprises utiles et laborieuses, et l’expérience de sa bonté.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur, avec le plus parfait dévouement,
Votre très-humble serviteur.

V. Cousin.
Ce 3 juillet 1820.
Rue du Cherche-Midi, n°12.

François Joseph Grille déclarera, en 1853, avoir soutenu auprès de Joseph Jérôme Siméon [1749-1842] le ministre de l'Intérieur de l'époque, la démarche de Cousin sollicitant une subvention.

SOURCE.
Le texte de cette lettre est publiée par François Joseph Grille, dans un de ses livres de souvenirs, intitulé : Le bric-à-brac : avec son catalogue raisonné [Paris : Ledoyen. Deux volumes in-18. 1853]. On y trouve également un portrait très acerbe de Cousin.
La lettre ne figure pas dans Adolphe Franck [1809-1893] : M. Victor Cousin, sa vie et sa correspondance [Paris : Hachette. Trois volumes in-8, 1895].