Maine de Biran en 1812

En octobre 1812, Maine de Biran [1766-1824], né le 29 novembre 1766 à Bergerac, dans le diocèse de Périgueux [généralité de Bordeaux], a quarante-cinq ans.

Reconnu dans les milieux philosophiques, il a été élu, il y a un peu plus de six ans, alors qu’il réside en Dordogne, correspondant de la Classe d’histoire et de littérature ancienne de l’Institut national [22 novembre 1805].

C’est à nouveau un personnage politique. Après avoir été sous-préfet de Bergerac [Département de la Dordogne] de janvier 1806 à avril 1811, il vient d’être désigné par le Sénat [par un décret d’août 1810] pour siéger au Corps législatif et y représenter le département de la Dordogne, ce qui le conduit à s’installer à nouveau à Paris.

Tout en se consacrant au développement de sa carrière politique [Membre de la commission Laîné, en décembre 1813, il deviendra questeur de la Chambre des députés au moment de la première Restauration] il poursuit ses réflexions philosophiques, et crée autour de lui une petite société de personnalités, qui va fonctionner comme société intellectuelle avec quelques intermittences, de 1812 à 1824.

1. MAINE DE BIRAN, PERSONNAGE POLITIQUE.

GARDE DU CORPS DU ROI.

Première carrière militaire dans les Gardes du corps du Roi, compagnie de Noailles [janvier 1785-mai 1791]. Après la dissolution des Gardes [25 juin 1791], séjourne quelques mois à Paris, fait des mathématiques, fréquente les cours scientifiques du collège de France, de l’École des mines, du Muséum, pour se préparer à une carrière dans le Génie militaire. Mais, après la proclamation de la République, Maine de Biran se retire en province dans son domaine de Grateloup, près de Bergerac, vers septembre-octobre 1792, et laisse passer la période 1793-1794.

1795. ADMINISTRATEUR DU DÉPARTEMENT DE LA DORDOGNE.

Proche des Thermidoriens, il est nommé [14 mai 1795], par arrêté de Pierre Boussion [1753-1828], conventionnel en mission, un des cinq administrateurs du département de la Dordogne [mai-octobre 1795] et réside à Périgueux.

1797. MEMBRE DU CONSEIL DES CINQ-CENTS.

Puis il est élu, par le vote de l’Assemblée électorale du département de la Dordogne [24 Germinal an V-13 avril 1797], membre du Conseil des Cinq-Cents, en même temps qu’André Delpit [1770-1834]. Il réside alors à Paris.

SEPTEMBRE 1797. FRUCTIDORISÉ.

Mais ce mandat est de courte durée [avril-septembre 1797], car à la suite du coup d’État du 18 fructidor An V [4 septembre 1797] les élections de la Dordogne sont annulées.

De retour sur ses terres de Grateloup, il vit de ses revenus fonciers, et commence une carrière philosophique. Il retrouve une fonction politique seulement trois ans plus tard, comme conseiller municipal.

AOÛT 1800. CONSEILLER MUNICIPAL DE SAINT-SAUVEUR.

Un arrêté préfectoral du 31 juillet 1800 [12 thermidor an VIII] nomme Maine de Biran conseiller municipal de la commune de Saint-Sauveur, dans l’arrondissement de Bergerac.

Placé sur une liste de notables, Maine de Biran échoue dans une campagne électorale pour la députation de la Dordogne [novembre 1801].

AVRIL 1802. CONSEILLER GÉNÉRAL DE LA DORDOGNE.

Il est, sur proposition du préfet Léonard Philippe Rivet [1768-1852], nommé, par arrêté du Premier Consul, membre du Conseil général de la Dordogne [3 avril 1802] ; puis par décret impérial Conseiller de préfecture du département de la Dordogne [22 ventôse an XIII-13 mars 1805]. Il réside à nouveau à Périgueux.

1806-1811. SOUS-PRÉFET DE BERGERAC.

Un peu moins d’un an plus tard [31 janvier 1806], il est nommé Sous-préfet de Bergerac. Il le restera jusqu’au début 1811.

En effet il est désigné [9 août 1810] par le Sénat pour siéger au Corps législatif, mais ne résidera à Paris qu’à partir du 8 octobre 1812, en s’installant progressivement au 34 de la rue Cassette. Participera le 14 février 1813 à l’ouverture de la session du Corps législatif.

2. MAINE DE BIRAN, PERSONNALITÉ PHILOSOPHIQUE.

1797-1798. FRÉQUENTATION DU CERCLE D’AUTEUIL.

Après sa « fructidorisation » Maine de Biran reste presqu’un an à Paris et fréquente le salon de Mme Helvétius [1720-1800]. Il y rencontre les «Idéologues » et se lie d’amitié avec toute une série de personnalités : André Marie Ampère, Cabanis, de Gérando, Destutt de Tracy. Il collabore à la revue l’Historien, dirigée par Pierre Samuel Dupont de Nemours [1739-1817].

AUTOUR DE 1800. ABONDANTES LECTURES PHILOSOPHIQUES.

De retour sur ses terres de Grateloup [13 messidor an VI-1er juillet 1798], il se consacre à des études métaphysiques et lit, annote, discute le contenu de nombreux ouvrages : la traduction française de l’Essai sur l’entendement humain de Locke [1632-1704] ; le Traité des animaux, l’Essai sur l’origine des connaissances humaines, et la Grammaire de Condillac [1715-1780]  ; l’Essai analytique sur les facultés de l’âme [1759] de Charles Bonnet [1720-1793] ; l’Essai sur la formation des corps organisés [1756], de l’astronome et mathématicien Maupertuis [1698-1759] ; les Réflexions sur le bonheur [1769] de Louis de Lacaze [1703-1765] ; les Nouveaux éléments de la science de l’homme [1778] de Paul Joseph Barthez [1734-1806], professeur à la Faculté de médecine de Montpellier.

Dans le Carnet de 1811-1812, Maine de Biran commente une phrase de Kant. Il a en mains Johannes Kinker [1764-1845] : Essai d’une exposition succincte de la Critique de la raison pure, traduit du hollandais par J. Le Fèvre. Amsterdam, 1801. [ouvrage présent dans la bibliothèque de Grateloup].

Il lit du littérateur suisse Charles Victor de Bonstetten [1745-1832] les deux volumes des Recherches sur la nature et les lois de l’imagination. 1807 [ouvrage présent dans la bibliothèque de Grateloup].

Lit du philosophe écossais Dugald Stewart [1753-1828] les Éléments de la Philosophie de l’esprit humain, traduit de l’anglais par Pierre Prévost, de Genève. 1808, 2 volumes.

1797. L’INFLUENCE DES SIGNES.

Dès 1797, Maine de Biran cherche à participer au concours proposé par la Classe des sciences morales et politiques de l’Institut national : « Déterminer l’influence des signes sur la formation des idées ». Mais il n’a pas le temps de l’achever dans les délais prescrits. C’est de Gérando qui reçoit le prix le 2 avril 1799 [15 germinal an VII].

1800. PREMIER MÉMOIRE SUR L’HABITUDE.

En 1799-1800, toujours pour la Classe des sciences morales et politiques de l’Institut national il rédige et dépose un Mémoire sur l’Habitude [dit premier Mémoire], mais aucun mémoire n’obtient le prix, qui est prorogé. Cependant le Mémoire de Biran reçoit une « mention distinguée ».

JUILLET 1802. SECOND MÉMOIRE SUR L’HABITUDE.

Il rédige alors [1800-1801] un nouveau Mémoire sur l’Habitude [dit second Mémoire], déposé le 15 nivôse an X [4 janvier 1802]. Six mémoires sont déposés. Alors que Destutt de Tracy et Cabanis sont rapporteurs, Maine de Biran reçoit le prix [15 messidor an X-4 juillet 1802]. Il fait éditer son Mémoire, sans nom d’auteur, en décembre 1802 [Paris : Henrichs, in-8, 402 p., an XI-1803]. C’est, avec l’opuscule sur Laromiguière [Examen des leçons de philosophie de M. Laromiguière, 1817], le seul de ses ouvrages publié de son vivant.

MARS 1805. MÉMOIRE SUR LA DÉCOMPOSITION DE LA PENSÉE.

Il concourt à nouveau pour un prix proposé par la Section d’analyse des sensations et des idées [section 1] de la deuxième classe de l’Institut national des sciences et des arts, « Déterminer comment on doit décomposer la faculté de penser et quelles sont les facultés élémentaires qu’on doit y reconnaître ? » Le deuil qui le frappe [la perte de sa première épouse] l’empêche de déposer  son mémoire. Mais aucun des dix mémoires remis n’ayant obtenu l’agrément, le concours est prorogé, jusqu’en décembre 1804. Maine de Biran envoie son Mémoire [21 décembre 1804-30 frimaire an XIII]. Ginguéné, Grégoire, Boissy d’Anglas, Dupont de Nemours sont nommés pour examiner les travaux. Maine de Biran est couronné [8 mars 1805-17 ventôse an XIII], par l’Institut, plus précisément par la classe de Littérature et beaux-arts [La deuxième classe, comprenant la section Analyse des sensations et des idées, ayant été supprimée à la suite de la réorganisation du 23 janvier 1803-3 pluviôse an XI]. Maine de Biran, qui est venu spécialement à Paris pour faire imprimer son travail, en interrompt soudainement la publication [décembre 1805]

1805. CORRESPONDANT DE LA  TROISIÈME CLASSE DE L’INSTITUT NATIONAL.

Le 22 novembre 1805 [1er frimaire an XIV] Maine de Biran est élu comme correspondant de la troisième classe de l’Institut  national des sciences et des arts [classe d’Histoire et de littérature ancienne], alors que la classe des sciences morales et politiques est supprimée.

On sait qu’une liste des Associés non résidant de l’Institut de 1795 sont nommés correspondants de la troisième classe, par Arrêté consulaire du 28 janvier 1803 [8 pluviôse an XI], soit quarante six personnes, parmi lesquelles [par ordre d’élection] Destutt de Tracy, de Sèze, La Romiguière, Jacquemont, de Gérando, Pierre Prévost, etc.

À partir de 1803 sont élus des correspondants :

En 1803, dix personnalités parmi lesquelles Gottlieb Christoph Harless, Gaetano Marini, Chrétien Louis Joseph de Guignes, Boissy d’Anglas, etc.

En 1804, trois personnalités : de Villers, Christian Friedrich Schnurrer, Francesco Saverio Scrofani.

En 1805, quatre personnalités : Anton chevalier de Klein, Frédéric Jacques Bast, Maine de Biran [élu le 22 novembre 1805], Joseph Mathias Gérard de Rayneval.

1807. LAURÉAT DE L’ACADÉMIE DE BERLIN.

Maine de Biran prend connaissance fin octobre 1805, par l’intermédiaire d’une information insérée dans le Moniteur, du sujet proposé par l’Académie de Berlin : «Y-at-il des aperceptions internes immédiates ? […] ».

La date de dépôt est fixée au 1er mai 1807. Neuf mémoires sont remis à l’Académie de Berlin, dont un de Destutt de Tracy qui participe au concours.

Biran envoie son Mémoire le 4 avril 1807 à son ami de Gérando, alors secrétaire général au Ministère de l’intérieur, pour que le texte soit transmis à l’Académie des Sciences et belles-lettres de Prusse.

Maine de Biran reçoit l’accessit et une médaille [6 août 1807].

1811. MÉMOIRE DE COPENHAGUE.

Maine de Biran prend connaissance par le Moniteur français du 14 mai 1810 du sujet proposé par l’Académie royale de Copenhague sur le thème des Rapports du physique et du moral de l’homme. Le mémoire envoyé par Biran est couronné le 1er juillet 1811. Maine de Biran songe un moment à publier cet ouvrage.

1812. CORRESPONDANT DE L’ACADÉMIE DE BERLIN.

En juillet 1812 est élu Correspondant de l’Académie de Berlin.

III. MAINE DE BIRAN INFATIGABLE.

JUILLET 1798-MARS 1805. RETRAITE À GRATELOUP.

Les deux composantes, personnage politique, personnalité philosophique, ne font pas que se succéder. Certes, c’est dans le creux provoqué par l’annulation des opérations électorales liée au coup d’État du 18 fructidor, que Maine de Biran, après sa fréquentation du cercle d’Auteuil, une fois qu’il est établi dans son domaine de Grateloup, commence à concourir pour les sujets successifs proposés par la deuxième classe de l’Institut national : L’Influence des signes sur la formation des idées [1797-1798], premier Mémoire sur l’habitude [1799-1800], deuxième Mémoire sur l’habitude [1801-1802].

CARRIÈRE POLITIQUE, ACTIVITÉ SOCIALE ET VIE INTELLECTUELLE.

Mais  à partir de 1802 [où Biran est nommé membre du Conseil général], et surtout à partir de 1805 [où Biran est nommé conseiller de Préfecture] puis de 1806 [où Biran est nommé sous-préfet] il continue son activité intellectuelle : Décomposition de la faculté de penser [1804-1805] ; Mémoire pour l’Académie de Berlin [1806-1807] ; Mémoire pour l’Académie de Copenhague [1810-1811].

En même temps il crée la Société médicale de Bergerac [15 février 1807], où il prononce de nombreuses lectures : Mémoire sur les perceptions obscures [15 novembre 1807] ; Observations sur les divisions organiques du cerveau [18 novembre 1808] ; Nouvelles considérations sur le sommeil, les songes et le somnambulisme [19 novembre 1808] ; Discours à la société médicale de Bergerac [15 avril 1810].

Ses activités, en tant que sous-préfet, sont multiples. Il trouve aussi le temps d’adhérer à la Franc-maçonnerie [1809], en participant comme orateur aux travaux de la loge de La Fidélité à Bergerac.

Mais, en même temps, il continue à écrire : on peut estimer à plus de trois mille le nombre de pages noircies par Maine de Biran entre 1798 et 1812, sans compter les agendas, le cahier-journal de 1794-1795, des notes éparses, des esquisses, des brouillons, des minutes, des correspondances variées et parfois régulières, et des fatras de paperasses qui, difficiles à déchiffrer, seront dispersées comme sans intérêt, au lendemain de son décès, le 20 juillet 1824, en son domicile parisien du 86, rue du Bac, où il résidait depuis avril 1817.

1812. UNE PETITE SOCIÉTÉ DE MÉTAPHYSICIENS.

Et, au milieu de toutes ces occupations, alors même qu’il se sent perpétuellement souffrant, avec un sentiment intime et radical de faiblesse, Maine de Biran prend le temps de constituer autour de lui une petite société de métaphysiciens, à laquelle participeront régulièrement ou par intermittence des personnalités comme André Marie Ampère [1775-1836], enseignant à l’École polytechnique ; Victor Cousin [1792-1867], suppléant de Royer-Collard dans la chaire d’Histoire de la philosophie moderne à la Faculté des lettres de Paris ; Gérard Joseph Christian [1778-1832], E. P. H. Duriveau directeur des études à l’École polytechnique ;  Joseph Marie de Gérando [1772-1842], François Guizot [1787-1874], professeur d’Histoire moderne à la Faculté des lettres de Paris ; Pierre Laromiguière [1756-1837] titulaire de la chaire de Philosophie à la Faculté des lettres de Paris; Charles Loyson [1791-1819], Chef de bureau des cultes non-catholiques au ministère de l’intérieur ;  Théodore Maurice [1775-1851], préfet de la Dordogne;  Pierre Paul Royer-Collard [1763-1845], titulaire de la chaire d’Histoire de la philosophie moderne à la Faculté des lettres de Paris ; le diplomate suisse Albert Stapfer [1766-1840] ;  Jean-François Thurot [1768-1832], suppléant de Laromiguière dans la chaire de philosophie à la Faculté des lettres de Paris [1811], futur Professeur de philosophie grecque et latine au collège de France [1814].

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