Debs, Auguste, et l’enseignement de la philosophie dans les années 1840

Dans ses Mémoires d'un critique [1896], Jules Levallois [1829-1903] consacre un chapitre à Auguste Debs [1813-1849], qui a été son professeur de philosophie au collège royal de Rouen. On y trouve une description chaleureuse du style et des thèmes d'enseignement d'un ancien élève de l'École normale, un peu avant les années 1850.
Dans le chapitre III de ses Mémoires d'un critique, publié en 1895, Jules Levallois [1829-1903] consacre un chapitre à Auguste Debs [1813-1849], qui a été en 1849 son professeur de philosophie au collège royal de Rouen.

Ancien élève de l'École normale [1834-1837], agrégé de philosophie en 1838, Auguste Debs a été nommé au collège royal d'Orléans en 1839, en remplacement de Francisque Bouillier [1813-1899], resté deux ans à Orléans, qui vient d'être promu à la toute récente Faculté des Lettres de Lyon.
C'est vers la fin de sa carrière, qu'Auguste Debs, après plusieurs postes d'enseignement, Orléans, Grenoble, Amiens, est nommé en remplacement de Charles Bénard [1807-1898], au collège royal de Rouen. Auguste Debs y décède dans sa trente-sixième année.

[PORTRAIT D'AUGUSTE DEBS].
" Il nous enseignait la placide philosophie écossaise de Dugald Stewart et de Thomas Reid, à laquelle il ajoutait deux parties nouvelles : L'esthétique et la pédagogie. La psychologie, qui commençait à poindre alors, avait en lui un sectateur zélé. " Vous, Debs, vous serez orientaliste ", lui avait dit Victor Cousin à l'École normale ; et comme Debs s'obstinait à rester psychologue, il fut promené de collège en collège, ballotté de disgrâce en disgrâce.
Du reste, c'est moins par son enseignement officiel qu'il agissait sur nous que par sa conversation familière. Il nous recevait volontiers le jeudi. Je le vois encore dans son petit jardinet de la rue du Maulévrier, avec sa figure émaciée de Christ d'Emmaüs ; j'entends sa voix grave, pénétrante, que la toux venait quelquefois interrompre.
 
[LE COURS COMME CONVERSATION FAMILIÈRE].
Quelles étaient ces conversations ? Je puis au moins en donner une idée, ayant eu le soin d'en noter quelques-unes sur le moment même. Voici, par exemple, le sommaire de ce qu'il nous disait le 18 février 1849 : Influence diverse de la température sur les nerfs. – Phénomènes nerveux. – Impuissance à descendre une montagne. – Anecdote d'un professeur d'Orléans. – Pascal au pont de Neuilly. Combien Pascal était nerveux. Cette disposition ne laissa pas que d'influer puissamment sur ses écrits. – Les Pensées de Pascal. Prosper Faugère, Victor Cousin. Mutilations exercées par ce dernier sur un manuscrit de Jouffroy. – Victor Cousin, nature dominatrice. Caractère équivoque de sa philosophie. – Les philosophes français au XIXème siècle en dehors de l'école éclectique. – Les Saint- Simoniens. Premier essai de philosophie socialiste. Ce sont eux qui ont vulgarisé dans l'histoire la loi du progrès. Leurs bizarreries. La foi nouvelle aura-t-elle un culte? M. Debs pense que oui. Culte de la Raison sous la première République. Quel sera le culte nouveau? Fêtes nationales, réunion des foules.
La puissance du catholicisme réside dans son culte. Le clergé, de gré ou de force, se trouve mêlé à tous les moments solennels de notre vie : baptême, mariage, obsèques.
Des sources de la religion : l'Évangile, la Judée. Quel fruit on retirerait de la Bible si la plupart du temps on ne la lisait avec des idées préconçues. La Bible est l'expression complète du peuple hébreu comme philosophie, poésie et histoire. – La Genèse. La femme de Loth. Ruth (idylle), Déborah, Judith, Esther (légende, roman national), les Rois, le Lévitique, les Nombres (partie historique). Les interpolations d'Esdras. Combien peu nous connaissons ce monde biblique. Qu'étaient en réalité les Prophètes? Des chefs de club peut-être.
 
[UNE PAGE D'UN JOURNAL D'ÉCOLIER].
J'ai tenu à détacher telle quelle, sans aucun retranchement ou embellissement, cette page d'un journal d'écolier, laquelle ne s'attendait pas à recevoir tant d'années après les honneurs de la publicité. Toutes les analyses, toutes les dissertations du monde ne sauraient égaler la valeur d'un semblable document, rédigé de première impression, sans aucune arrière-pensée. Oui, voilà, non pas ce qu'on nous enseignait, mais ce que l'on disait devant nous et avec nous, en plein milieu du XIXème siècle, ce qui ne s'en gravait que mieux et plus profondément dans nos jeunes âmes.
Ce mouvement n'était point particulier au petit coin de province où nous vivions. Partout un grand travail ou, si l'on veut, une indéfinissable fermentation s'opérait dans les esprits.

NOTICE BRÈVE SUR AUGUSTE DEBS.
[Charles] Auguste Debs
[1813-1849].
Né le 14 décembre 1813, à Strasbourg ; mort en 1849, à Rouen .
1834. ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE NORMALE.
Après de premières études faites à Strasbourg, puis élève du collège royal de Saint-Louis à Paris, Auguste Debs est reçu major à l'École normale en 1834, comme élève boursier à part entière.
Sont reçus au concours d'entrée, dans l'ordre alphabétique : Eugène Baret [1814-1887], futur Inspecteur général de l'Instruction publique pour l'enseignement primaire [1878-1880] ; Francisque Bouillier [1813-1899], futur directeur de l'École normale ; Henri Joseph Chevriaux [1816-1883], futur Inspecteur de l'Académie de Paris ; Auguste Debs [1813-1849], futur professeur de philosophie au collège royal de Rouen ; Jean Jacques Guillemin [1814-1870], futur recteur ; Pierre Hamel [1815- ], professeur à la Faculté des Lettres de Toulouse ; Désiré Henne [1812-1869], futur recteur départemental ; Antoine Macé de Lépinay [1812-1891], professeur d'histoire à la Faculté des Lettres de Grenoble ; Charles Picquet [1814-1874], Inspecteur d'Académie ; Alexis Pierron [1814-1878], professeur au lycée Louis-le-Grand ; Léon Puiseux [1815-1889], futur Inspecteur général de l'Instruction publique, pour l'enseignement primaire ; Pierre Gabriel François Révol [1813-1847], professeur au collège royal de Nîmes ; Rudolph [1810- ], professeur au lycée de Strasbourg ; Jean Louis Taulier [1816-1896], professeur au lycée de Lyon.

RÉPÉTITEUR D'ALLEMAND.
Alors qu'il est élève de deuxième année, de la section lettres, Auguste Debs, qui a vécu dans son enfance à Strasbourg, est chargé d'assurer un cours élémentaire d'allemand à ses condisciples [section lettres et sciences mélangées], à raison d'une heure et demie par semaine. Ceci en conformité avec le règlement de 1834, qui avait créé pour les langues vivantes des conférences libres, où les élèves qui en étaient capables servaient de maître à leurs camarades.
1838. AGRÉGATION DE PHILOSOPHIE.
Au sortir de l'École normale, en 1837, Auguste Debs échoue à l'agrégation de philosophie, mais il y est reçu l'année suivante, en 1838, alors que Théodore Jouffroy, et non pas Victor Cousin est président du jury.
Sont reçus cette année, dans l'ordre de classement  : Auguste Debs [1813-1849] ; Charles Jeannel [1809-1886] ; Auguste Morelle [vers 1809-1887].

MAÎTRE SURVEILLANT.
Après l'agrégation, Victor Cousin retient Auguste Debs comme maître surveillant à l'École normale : Auguste Debs y est maître surveillant en 1838-1839, en même temps que Delaprovostaye [1835-1839] qui prépare l'agrégation de sciences physiques près les Facultés. Debs continue son enseignement d'allemand.
Après cette année passée comme maître surveillant, Auguste Debs est nommé enseignant à Blois [1842].
C'est à partir de 1841 [1841-1843] que sera nommé à l'École normale, avec Adolphe Régnier [1804-1884], le premier maître de conférences d'allemand ; et à partir de 1845 [1845-1849] que sera nommé, avec F. Churchill, le premier maître de conférences d'anglais.

1844. DOCTORAT ES-LETTRES.
Docteur ès-lettres [Paris, août 1844] avec une thèse latine qui porte sur la vie et les œuvres de Jordano Bruno : Ph. Jordani Bruni Nolani vita et placita [Amiens : impr ; de E. Yvert, in-8, 131 p., 1844].
La thèse française a pour titre : Tableau de l'activité volontaire pour servir à la science de l'éducation, in-8, 196 p. [thèse qui ne semble pas avoir été éditée].
JULES LEVALLOIS.
Jules [Prosper] Levallois. Écrivain, journaliste et critique littéraire, né le 10 mai 1829, à Rouen ; mort le 14 septembre 1903, à Pontaubault [Manche], quelques années [1855-1859] secrétaire de Charles Augustin Sainte-Beuve [1804-1869], où il succède à Octave Lacroix [1827-1901] et précède A. J. Pons [1829-1884] et Jules Troubat [1836-1914].
Selon Troubat, l'ultime secrétaire de Sainte-Beuve, ce dernier parlant de Jules Levallois, disait " Il faut quelquefois que je reçoive des avis… j'ai eu pour secrétaire Levallois… il m'en donnait… c'est un homme distingué… il est bon d'avoir près de soi des esprits d'un jugement sûr ".
Jules Levallois a fait ses études comme boursier au collège royal de Rouen, où Auguste Debs était son professeur de philosophie.

Mémoires d'un critique [sur titré <Milieu de siècle>]. Souvenirs anecdotiques sur J. Michelet, Ch. Baudelaire, Sainte-Beuve, Barbey d'Aurevilly, Jules de Goncourt, George Sand, Edmond About, Gustave Flaubert, etc., etc., etc. [Paris : A la librairie illustrée. In-12, XIX-314. 1895]. Réédité en 1896.