Ernest Bersot (1816-1880), l’École normale et le bassin aux Ernest

Comme toute grande institution, dont l’accès est limité par un concours marqué du sceau de l’excellence, l’École normale supérieure produit des traditions qui perdurent  et un jargon qui évolue. Au centre de ces traditions et de ce jargon, autant dire au centre de l’École, se tient le Bassin aux Ernest.

 
PHOTO 01. UNE PHOTOGRAPHIE D’ERNEST BERSOT.
En 1882, deux ans après la mort de Bersot, atteint d’un cancer de la mâchoire, Edmond Scherer fait paraître chez Hachette : Un Moraliste. Études et pensées d’Ernest Bersot, précédées d’une notice biographique par Edmond Scherer. Avec une photographie de M. Bersot [Paris : Librairie Hachette et Cie. 79, boulevard Saint-Germain. In-8, LXXXVIII-382 p., 1882]. Réédité, à l’identique : 1886, 1893, 1899, 1904.
C’est cette photographie, signée A. Fontaine, avec la date de 1866, qui est reprise ici.
Héliogravure Dujardin. Imp. Ch. Chardon Paris.
 
 
NOTICE BRÈVE SUR LE PROFESSEUR ET MORALISTE ERNEST BERSOT [1816-1880].
Né le 22 août 1816, à Surgères [Charente-Inférieure, aujourd’hui Charente-Maritime] ; mort le 1 février 1880, à Paris.
 
1.
Maître d’études au collège royal de Bordeaux [1833-1836], où il a effectué ses études ; ancien élève de l’École normale [1836-1839], dont la promotion est composée de seize élèves ; agrégé de philosophie [1839] comme unique reçu au concours ; professeur de philosophie au collège royal de Rennes [1839].
 
2.
Secrétaire de Victor Cousin [1792-1867] en 1840, à l’époque où ce dernier est Ministre de l’Instruction publique, dans le second ministère Thiers [mars-octobre 1840]. Est nommé agrégé suppléant à Paris. 
 
3.
Après la chute du ministère Thiers, Bersot est nommé professeur de philosophie au collège royal de Bordeaux [septembre 1840], dans la chaire qui a été occupée antérieurement par Paul Jean Ladevi-Roche [1794-1871]. Mais est amené à demander un congé à la suite d’une polémique suscitée par le clergé local, tandis qu’Abel François Villemain [1790-1870] est pour la deuxième fois ministre de l’Instruction publique [29 octobre 1840-décembre 1844].
 
4. 
Prépare son doctorat et présente ses thèses, latine : De Controversis quibusdam Anaxagorae doctrinis ; et française : Doctrine de saint Augustin sur la Providence [Paris, 24 août 1843] qui sont éditées [Paris : Joubert, libraire-éditeur, rue des Grès, 14. In-8, IV-255 p., 1843]. 
 
5. 
Muté comme professeur suppléant de philosophie à la Faculté des Lettres de Dijon [1843-1844], auprès de Joseph Tissot [1801-1876], chargé de cours [1836-1839], professeur titulaire [1839-1870]. 
Enfin nommé professeur au collège [puis lycée] de Versailles [1845-1851], alors qu’Achille de Salvandy est à nouveau ministre de l’Instruction publique depuis le 1er février 1845.
Apporte, avec quelques articles, sa collaboration à Amédée Jacques [1813-1865], ancien élève de l’École normale, qui vient de créer, avec Émile Saisset [1814-1863] et Jules Simon [1814-1896], la revue mensuelle La Liberté de penser [décembre 1847-novembre 1851].
 
6.
Refusant de prêter serment, après le coup d’État de décembre 1851, est considéré démissionnaire et doit quitter l’enseignement. 
Grâce à Saint-Marc Girardin [1801-1873], critique littéraire et titulaire de la chaire de Poésie française à la Faculté des Lettres de Paris [18 novembre 1833 au 1er avril 1873], Ernest Bersot entre en 1859 au Journal des Débats où il exerce continûment une activité de critique philosophique et littéraire. 
Plusieurs ouvrages rassemblent ses chroniques : Littérature et morale [Paris : Charpentier. In-12, II-365 p., 1861] ;  Questions actuelles [Paris : Didier. In-18, IV-404 p., 1862] ;  Essais de philosophie et de morale [Paris : Didier et Cie. 2 volumes, VI-532-548 pp., 1864] ; Libre philosophie [Paris : Germer Baillière. In-8, 169 p., 1868] ; Études et discours [Versailles : Cerf et fils. In-8, 466 p., 1879] ; Conseils d’enseignement, de philosophie, de politique [Paris : Hachette. In-16, 100 p., 1879].
 
8.
Après deux tentatives infructueuses en 1865, où il est supplanté par Auguste Cochin [1823-1872], dans la section de Morale, puis par Charles Lévêque [1818-1900] dans la section de Philosophie, Ernest Bersot est élu triomphalement à l’Académie des Sciences morales et politiques [par 30 suffrages sur 31 votants], dans la section de Morale [fauteuil 3], le 23 juin 1866, en remplacement de l’homme politique et ambassadeur Gustave de Beaumont [1802-1866].
Après sa mort [1880], Bersot est remplacé par le professeur de philosophie Émile Beaussire [1824-1889], élu le 22 mai 1880.
 
9.
En octobre 1871, Ernest Bersot est nommé directeur de l’École normale supérieure où il succède à l’Inspecteur général Francisque Bouillier [1813-1899], directeur de 1867 à 1871, alors que Jules Simon [1814-1896], au sein du gouvernement de la Défense nationale, est le nouveau ministre de l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts [4 septembre 1870-18 mai 1873]. Bersot est en fonction comme directeur de l’École, d’octobre 1871 jusqu’à sa mort survenue le 1er février 1880.
Il est alors remplacé par l’historien Numa Denis Fustel de Coulanges [1830-1889], nommé directeur de l’École le 17 février 1880, restant en poste jusqu’en octobre 1883.
 
L’ÉDIFICATION DU BASSIN AUX ERNESTS
C’est, semble-t’il, au cours de la direction d’Ernest Bersot que le bassin a été construit, au milieu de la cour principale [la Courô], avec le jet d’eau central, et qu’il reçoit, sous forme de poissons rouges, ses premiers occupants.
On raconte que, par sympathie pour leur directeur, les élèves de l’École donnèrent à ces poissons l’affectueux surnom d’Ernest, et le bassin devint tout naturellement le « Bassin aux Ernest ».
 
Mais d’autres versions, fondées ou non, sont proposées. On se réfère parfois au prénom Ernest, de l’historien Ernest Lavisse [1842-1922], directeur de l’École normale supérieure de 1904 à 1919, qui aurait installé les cyprinidés en question.
 
Ou, encore, on explique le terme d’ErNeSt par simple congruence avec l’acronyme ENS.
 
DANS LE LEXIQUE DE LA VIE NORMALIENNE
Aussi le terme « Ernest » [toujours au singulier] est-il entré dans le lexique de base de la vie normalienne, au même titre que Hypoconscrit, Conscrit, Vieux con, Archicube, Caïman, Tala, Méga, Bocal, Tapir, etc..
Et peut, selon des termes relativement ambigus d’un récent Bocal [journal des élèves], se définir ainsi : « Ernest (Asexué). Ceux que tu déranges quand tu tombes dans la fontaine. Dieux pour certains-es, incongruité darwinienne pour d’autres, on te laissera faire ta propre idée lors de ton ernestisation ».
Certains affirment aussi que l’Ernest tourne, dans le bassin, toujours dans le sens rétrograde, autrement dit anti-trigonométrique, ou encore dextrorsum.
 
L’ERNESTISATION
Il s’agit d’une immersion forcée, de jour comme de nuit, dans le Bassin aux Ernest. Elle se produit notamment le jour de la proclamation des résultats du concours d’entrée, et vise plus particulièrement les conscrits/tes. 
On rapporte qu’elle se produisait jadis lorsque des normaliens, unissant leurs efforts, parvenaient à s’emparer d’un polytechnicien en grande tenue, aventuré par erreur dans l’École.
C’était l’époque, déjà lointaine, où les locaux de l’X se situaient rue Descartes, sur la Montagne Sainte-Geneviève relativement proche du 45 rue d’Ulm.
 
D’une manière plus moderne, en accord d’une part avec la révolution scientifique et technique et d’autre part avec l’informatisation généralisée, il a été élaboré, depuis 1997, un fichier informatique pouvant recueillir, de tout membre de la communauté normalienne, ses vœux d’ernestisation, autorisant ainsi, jour après jour, d’une manière certaine, un « classement des Ernestisables ». [cf.http://www.normalesup.org/~ramanana//ecole/bassin/]. 
 
PHOTO 02. LE BASSIN EN SEPTEMBRE.
Un bassin circulaire au centre d’une vaste cour carrée aux allures de jardin d’un cloître laïque. Un maigre jet d’eau lançant avec peine son mince filet. Bouquet de bambous, quelques nymphéas. On aperçoit à peine, dans l’eau, les tâches rouges des poissons. 
 
PHOTO 03. JEAN EFFEL ET LES POISSONS ROUGES.
Sur cette affiche du dessinateur Jean Effel [1908-1982], composé pour un des Bals de l’École Normale Sup, celui de 1946, les « Ernest », au premier plan, sont eux aussi de la danse, tout comme ces malicieux personnages qui, tout en swinguant dans le plus simple appareil, semblent à peine sortis de la série de la Création du monde. 
 
PHOTO 04. ORPHÉON ET RENCONTRE MUSICALE.
La Cour aux Ernest est aussi parfois l’occasion, à l’heure du Pot, de rencontres musicales à peine improvisées, que les gouttelettes du jet d’eau, dispersées au vent d’automne, ne risquent guère d’interrompre.
 
PHOTO 05. LE TROMBONE ET LES ERNESTS.
On sait que le mage Orphée charmait les bêtes sauvages avec sa lyre à sept cordes. Ici une normalienne, jouant en solo du trombone à coulisse, comme on le voit d’une façon indiscutable réussit à faire monter à la surface les Ernest, qui n’en reviennent pas.