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L'Eventail satyrique, fait par le nouveau Theophile,
avec une apologie pour la satyre.
M.DC.XXVIII. (SUITE)

Consolation aux dames sur la reformation
des passemens et habits.

Ces points couppez, passements et dentelles (1),
Las ! qui venoient de l'Isle et de Bruxelles
Sont maintenant descriez, avilis,
Et sans faveur gisent ensevelis ;
Ces beaux quaintins (2), où l'oeil ravy descouvre
Plus de beautez qu'il n'en paroist au Louvre,
Sont despouillez de leurs chers ornemens
On n'y voit plus ces petits regimens,
Ces bataillons, ces mousquets et ces mines
Qui faisoient voir que vous estiez bien fines ;
Tous ces oyseaux, ces amours et ces fleurs,
Où ne restoit que l'aine et les couleurs,
Sont sans pouvoir, sans grace et sans merite,
Depuis que l'ordre à ce luxe est prescrite ;
Ces beaux collets, ces manches, ces abas,
Où un Tartare eust trouvé des appas ;
Tous ces pourtraicts et ces vaines figures
Qui vous gagnoient beaucoup de creatures,
Comme trompeurs, et du tout superflus,
Dames, enfin, ne nous paroissent plus.

Si ces atours avoient une parole
Qu'ils vous diroient en un langage drolle
Cessez, beaux yeux, en vos pleurs vous noyer !
C'est à nous seuls qu'il convient larmoyer
De n'estre plus maintenant en usage,
D'avoir quitté l'air de vostre visage
De ne voir plus l'or de vos blonds cheveux,
Cordages saincts, l'object de tant de voeux ;
De ne toucher à vostre belle gorge,
Dont l'amour faict les soufflets de sa forge,
Et non à vous, qui estes l'ornement
Du plus superbe et riche accoustrement,
Car sans habits, passements et dentelles,
Vous ne laissez de paroistre assez belles.

Mais, dites moy, ce mal que vous plaignez,
Et pour lequel vos veux sont tous baignez,
Vous l'eussiez bien inventé par la mode
Qu'auriez jugé peut estre plus commode,
Mode feconde en mille inventions !
Le seul effroy de tant de nations,
Monstre, prodige, estrange et bien difforme,
Demain pompeuse, aujourd'huy en reforme.
Voulez vous point que vos desseins maudits
Soient observez plustost que les edicts ?

Or je sçay bien que chante vostre plainte.
C'est que jamais vous n'aymez la contrainte,
Et en ce point vostre sexe est si doux,
Qu'il ne se voit qu'aucune d'entre vous
Ait ceste reigle enfrainte d'adventure ;
Vous vous plaisez à gloser la nature,
Faire des loix, corriger l'univers,
Ne vouloir rien, s'il n'est tout de travers ;
Contre le droit vostre desir s'obstine,
Pour l'equité vostre ame se mutine,
Rien ne vous plaist que ce qui vient de loing
Ce qui est cher resveille vostre soin ;
Vous vous portez tousjours à la deffense,
Le bien permis plus souvent vous offense !
Bref, vostre esprit de contradiction
Pour le desordre a de la passion.

Ne pleurez plus, changez de contenance,
Et, sans gronder, reverez l'ordonnance
Qui met la drogue à un malheur fatal,
Et pour le bien ne faites point le mal.
Que si quelqu'un s'apprestoit pour vous rendre
Ce que le roi vous a voulu deffendre,
Devroit on Pas plustost vous consoler ?
D'aise au rebours vous devez bien voler,
,Puisque l'edict maintenant vous delivre
Par chacun an de huict ou neuf cent livres.
Vous tic perdrez vos amples revenus,
D'oresnavant point de maris cornus,
Et, dans Paris, vos filles trop volages
Ne donneront leurs jolis pucelages ;
Vous n'employ'rez les soirs et les matins
A façonner vos grotesques quaintins.
O folle erreur ! ô despence excessive !

Mais, dites vous, nostre beauté si vive,
Sans la faveur de ces riches rabas
Pour captiver n'aura plus tant d'appas,
Et, desormais, n'estant veuës si braves,
Il ne faut plus esperer tant d'esclaves,
Sous nos drapeaux de jeunes combattans.
Or, en ce poinct, dames, je vous attens :
C'est bien trahir la raison et vous mesme,
Et faire un crime egal à un blasphème,
De croire ainsi que soyez sans beauté
Hors la faveur de ce bien emprunté.

Le naturel jamais l'art ne surmonte.
Vous devriez toutes mourir de honte
De profaner ces aymables thresors
Que vous avez et de l'ame et du corps !
Comment veut on qu'une laide se pare,
Si des atours une belle s'empare?
Les ornemens sont pour les seuls deffauts.
C'est attirer de soy mesme ses maux,
C'est offenser le ciel et la nature
De rechercher l'estrangère parure
Si ces atours estoient plus precieux
Ny que la main, ou la bouche, ou les yeux,
Avecques vous elle les eust fait naistre
En tous les lieux où ils souloient parétre.
Trouvez Nous donc un teton plus mignard
Pour estre plein de parure et de fard ?
Un oeil plus doux, une plus belle bouche

Pour les atours qu'auprès d'elle l'on couche?
Si vous gardez encor le souvenir
Du temps auquel on vous pouvoit tenir,
En ce temps là vous estiez sans dentelles
Donc autresfois vous n'avez esté belles.
Tout cet abus gist en l'opinion
Et n'est au vray que pure illusion :
Car dans six mois seroit une folie
De ramener ceste mode abolie.
Telle aujourd'huy qui la raison combat,
Qui semble belle en un simple rabat,
Douce, agreable et humble comme un ange
Avec un autre elle seroit estrange.
Je jure, moy, par le flambeau du jour,
Que jamais tant vous ne donnez d'amour
Qu'en simple habit, ou estant toute nuës :
Deux veritez qui sont par trop cogneuës.

J'advoue bien qu'un subit changement
Peut esbranler un ferme jugement ;
Le mal vous cuit et vous fait de la peine.
Mais qui croiroit guerir une gangrène
Ou un ulcère avecque peu de mal,
Le medecin seroit un animal.
Les vanitez, le luxe et les delices,
Qui, en un mot, sont l'amorce des vices,
Chancres malins corrompent les Citez,
Et salis douleur ne sont point emportez.
Je veux du mal à celles qui, peu sages,
Vont ramenant ces funestes usages
En violant les edicts et les loix,
Ouvrage saine de tant de braves rois ;
C'est à chercher tousjours mille artifices
Pour contenter les yeux et les délices,
Par des couleurs taschant à deguiser
Et des façons qu'on leur laisse adviser,
Qui coustent plus et qui sont moins utiles,
Par où l'abus se glisse dans les villes.

Cecy n'est dit qu'aux vulgaires esprits,
Car je ne croy qu'il y ait du mespris
Dedans vostre aine, ô belle Callirée !
En tous mes voeux sainctement adorée,
Vous ne donnez au change vos regrets.
Voudriez vous enfraindre les arrests,
Vous qui si bien maintenez vostre empire ?
C'est faire un crime alors que je souspire ;
Vous gouvernez, par vos commandemens,
Mon coeur, mon ame et tous mes mouvemens
Bref, vous avez la plus grande puissance
Qu'on puisse avoir sur une obeyssance,
Et ce bel oeil qui me donne la loy
Est mon seigneur, mon monarque et mon roy.
Puis vous sçavez que la vertu est belle
Sans le secours d'une mode nouvelle ;
Que la beauté a trop d'allechemens
Sans l'atirail de ces vains ornemens ;
Que le poison des vertus plus antiques
Gist en l'abus de ces molles pratiques.

Reservez donc vos soupirs et vos pleurs
Pour l'advenir et les autres douleurs
Ce reglement et ces nouvelles choses
Ne sont au prix, mesdames, que des roses ;
Et, cependant, observez les edicts,
Si vous voulez aller en paradis ;
N'endurez point qu'on vous mette à l'amende,
Je suis logé chez la belle Flamande.


NOTES
1
. La mode des dentelles de Flandre commençoit alors et s'est toujours maintenue.
2. Le quaintin étoit une toile très fine, sur laquelle on brodoit ou dans laquelle on découpoit des figures du genre de celles dont on parie ici.

Edouard Fournier, 1857

 

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