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L'Eventail satyrique (1), fait par le nouveau Theophile (2),
avec une apologie pour la satyre**. Suivi de Consolation aux dames...
M.DC.XXVIII.

Si le grave censeur de Rome
Vivoit en ce temps où nous sommes,
On ne verroit tant d'hospitaux,
Tant de gueux, tant de courtisanes,
Tant d'abus, tant de moeurs profanes,
Tant de cocus et maquereaux.

Je veux qu'on m'appelle un critique,
Un charlatan, un empirique,
En ce temps un donneur d'advis ;
Il faut pourtant en ma police
Dresser la chambre de justice
Contre le luxe des habits (3).

Bonnes estoient les lois d'Athènes (4)
Qui deffendoient l'or et les chaisnes (5)
A leurs filles, et les presens ;
Que s'il estoit ainsi d'entr'elles,
Las ! on trouveroit des pucelles
Encor à l'âge de quinze ans.

Mais les filles sont si volages,
Qu'elles donnent leurs pucelages
Pour du satin et du velours,
Et tiennent que c'est resverie
De syndiquer (6) la braverie,
Estant si commune entre tous.

Ah ! que les Indes sont barbares
De remplir ces humeurs avares,
Nos vaisseaux et nos hameçons !
Que la rame est infortunée
Qui a dans Paris amenée
La mode de tant de façons (7).

Encor, si de ces braveries
On en voyoit des rencheries,
Il n'y auroit un seul cocu ;
Mais elles gaignent ces richesses
Aysément pour un tour de fesses
Où pour un simple coup de cu.

A voir leurs habits sont des garces,
Ou bien des joueuses de farces
Les plus honnestes au maintien ;
Leur simarre à l'italienne (8)
Sent mieux la licence payenne
Que l'honneur d'un grave chrestien.

Depuis les pieds jusqu'à la teste,
La dame qui fait plus l'honneste
Veut sembler garce en son atour (9),
Où la putain, tout au contraire,
Tasche l'honneste contrefaire,
Et non pas la fille d'amour.

Je ne puis donner de louanges,
Mesdames, à ces manches d'anges (10),
A ces jupes et ces rabas ;
Car, soit au cours ou dans les tables,
Vrayment ! il faudroit estre diables
Pour se garder de vos appas.

O ! que vous avez bonne mine
Sous un taffetas de la Chine (11)
En mettant les ventres au vent !
Est ce ainsi que l'ont fait vos mères,
Femmes qui estoient si sévères
A faire couvrir leur devant (12) ?

Dieux, quel prodige ! Sans le linge,
On verroit vostre petit singe
Qui enrage sous ce quaintin
Et de la pasture demande,
Sçachant que vous estes friandes
Des postures de l'Arétin.

Bien tost sans doute une furie
Qui preside à la braverie
Inventera quelque metal,
Quelque crespe, ou plus fine soye,
Afin que nues on vous voye
Ainsi qu'au travers d'un cristal.

A voir tous vos gestes lubriques
Et vos postures impudiques,
Vos devants et vos paradis,
Dieu sçait si vous faites gambades,
Ne portant plus de vertugades,
Ainsi que vous souliez jadis.

Les bourgeoises, qui font les belles,
Sont braves comme damoiselles
Qui se vont promener à tas ;
Ont elles pas un petit chose
(Que l'on appelle un c.. en prose)
Pour achepter du taffetas?

Tout leur vaillant est sous le busque (13),
Qu'elles frottent d'ambre et de musque
Pour faire le galimatias ;
Bref, employant tout aux etoffes,
Elles sont de vrays philosophes
Qui portent tout comme Bias.

C'est entr'elles une maxime,
Qu'il faut bien faire plus d'estime
D'un vieil penard ou païsan
Avecques beaucoup de pistoles,
Que des caresses et paroles
Du plus accomply courtisan.

Pour oster cet abus du monde,
Faut chasser la mode feconde,
Qui f..timasse tant d'habits ;
Jamais Mathieu, dans son histoire,
Ne vit un luxe si notoire
En perles, satins et rubis.

Les beaux habits font qu'on chevauche
Et que les femmes on desbauche,
Que tant d'abus sont dans Paris.
Ce n'est donc pas contre les femmes,
Mais contre leurs habits infames,
Que s'entend ce charivaris.

O que de f..tus hymenées,
De ramonneurs de cheminées ;
Que de cocus, que de cornards,
Que de putains, que de nourrices,
Que de mangeuses de saucisses,
Que de furets, que de renards !

O satin, mort des pucelages !
Velours, père des cocuages !
Habits, juppes, robes, rabas !
Contre vous crie ma satyre.
Que si on ne s'en fait que rire,
Pour moy, je n'en pleureray pas.

NOTES
1. Cette pièce, devenue assez rare aujourd'hui, eut pourtant plusieurs éditions. C'est d'après la dernière que nous la reproduisons. Elle fut publiée une première fois en 1622, sous ce titre : Le Tableau à deux faces de la foire Saint-Germain, ou Les souvenirs satyriques du carnaval, avec une Apologie pour la satire, in-8. En 1625, il en parut une autre édition, sous le titre conservé ici : L'Eventail satyrique, mais sans la pièce qu'on y a jointe, et qui se trouvoit aussi à la fin du Tableau à deux faces. Ce dernier titre a plus de rapport qu'on ne pourroit croire avec celui d'Eventail satyrique. Le Tableau à deux faces, en effet, n'étoit autre chose qu'une de ces images pliées en éventail, qui, grâce à cette disposition, font voir une figure à droite et une figure ordinairement toute différente à gauche. Cette curiosité, déjà fort ancienne au 17e siècle est encore aujourd'hui une marchandise de foire.
2. Ce nom ne se trouve ni sur l'édition de 1622, ni sur celle de 1625. Pour prendre le nom de Théophile, il semble qu'on eût attendu que le poète du Parnasse satyrique n'existât plus. Or, il étoit mort le 25 septembre 1626. V. la notice de M. Alleaume, en tête de ses oeuvres, édit. elzev., t. I, p. xcj.
3. Henri IV et Louis XIII avoient, comme avant eux Charles IX et Henri III, sévi par des ordonnances contre le luxe toujours renaissant des habillements. C'est à quoi l'on fait allusion ici, surtout dans la pièce mise à la suite. Au mois de novembre 1606 avoit paru un Edict du roy portant deffenses de porter, sur les habits aucuns draps de taille d'or ou d'argent. Mais, quoique cet édit somptuaire soit resté l'un des plus célèbres (Lettres de Mme Denoyer, in 12, t. 4, p. 197), il ne paroît pas qu'on lui obéit mieux qu'aux précédents. À la fin de 1609 on n'y pensoit déjà plus. V. Lettres de Malherbe à Peiresc, p. 100-101. C'est ce qui rendit nécessaire la promulgation d'une nouvelle ordonnance, parue le 8 février 1620, pour reprimer, dit le titre, le luxe et superfluité qui se void ès habits et ornements d'iceux.
4. Nous avons cherché, mais n'avons pu trouver, de quelle loi des Athéniens on veut parler ici.
5. Les chaînes au col ou sur la robe comptaient parmi les niveleries les plus à la mode.
6. Soumettre au contrôle des syndics.
7. Ce mot s'employoit surtout pour les modes. Les Anglois nous le prirent et le modifièrent suivant leur prononciation ; ils en firent. leur mot fashion, que nous croyons leur avoir emprunté, tandis qu'en le reprenant nous n'avons fait que rentrer dans notre bien. Cette singularité n'a pas échappé à Noël et Carpentier, dans leur Dictionnaire étymologique, t. 1, p. 566. Elle est une nouvelle preuve de la vérité de ce mot : l'anglois n'est que du françois mai prononcé.
8. Les modes et les étoffes italiennes bandes et passements de Milan, etc., étoient surtout proscrits par l'ordonnance de Louis XIII.
9. Je n'ai pas besoin de faire remarquer combien cela est resté vrai de nos jours.
10. Ces manches sont justement à la mode aujourd'hui. « Elles étoient fort larges, dit Furetière, au mot Ange, dans son Dictionnaire, et n'allaient qu'à la moitié du bras.» On les appeloit, ainsi parce que les anges peints sur les tableaux en ont ordinairement de semblables. Sorel, au livre V de Francion, parle de ces robes à l'ange (édit. de 1663, p. 248). Ces manches n'étoient pas alors les seules qui fussent à la mode. Courval-Sonnet, dans sa satire IV contre la vanité, inconstance et superfluité des habits, cite encore
Les manches de la robe à bouillons, en arcades.
11. Les taffetas de la Chine, alors fort en faveur, étoient rayés de bleu, d'incarnat, de jaune d'or et d'argent. (Cérémonial françois, t. 2, p. 68.) Brebeuf, dans son Lucain travesti (Rouen, 1656, in 8, p. 16), parle aussi du taffetas ondoyé de la Chine. Le mot chiné appliqué aux étoffes bariolées vient de là.
12. Le devanteau, sorte de petit tablier qu'on portoit en déshabillé, étoit pourtant encore à la mode. Courval-Sonnet n'oublie pas, dans sa satire citée tout à l'heure :
"Un devanteau de toile à créneaux rayonnés."
13. Le busque étoit de bois, d'ivoire ou de baleine ; on le mettoit dans le corps de jupe et on l'en ôtoit à volonté. De Cailly s'adresse, dans l'une de ses plus jolies pièces, à un basque dont il avoit fait don à l'incomparable Orante
"Busque, si proprement tourné
Et de petites fleurs orné, etc."

Edouard Fournier, 1857


Apologie pour la satyre.

On peut remarquer aisément que ceste satyre a esté comme le symptome, de la reformation qui commence à operer, et dont nous esperons quelque bonne crise ; pour moy, j'estime que poëte satyrique et sevère censeur ne sont qu'une mesme chose, puisque la satyre est une sorte de poësie où l'on trouve des pointes aiguës contre la volupté, le luxe et la vanité, meslée pourtant de traicts piquants et moqueurs ; si dans les termes de leur reprimende ils sont différends, l'intention les rend semblables, qui est de donner la chasse aux vices. Ne sçait-on lequel des deux a des forces ou amorces plus puissantes pour se faire obeyr. Aussi n'y a il drogue au monde capable, à mon advis, de purger les vicieuses humeurs d'un siècle corrompu et les opinions bigearres des esprits malades qu'une satyre, pourveu qu'on la prepare et assaisonne si à point qu'on ne la sente en l'avallant. Que si, par hazard, dans ceste liberté qui est permise il se rencontre quelque chose de licentieux, il faut en excuser ou la rime, ou la naïfveté qu'on y doit observer tousjours, ou le zèle d'un esprit passionné ; au plus, si nous sommes si foibles que der nous scandaliser pour des simples paroles, nous devons nous souvenir de celles de la femme d'Auguste, qui disoit que la veuë de plusieurs hommes tous nuds qu'elle avoit rencontrez en son chemin ne l'avoit non plus esmeuë que s'ils eussent esté des statuës de marbre. Au reste, ceux là se trompent lourdement qui, sous le nom de satyre, taschent à couvrir leurs medisances ou leurs lubricitez. Le sang de Licambe (1) ne coule point dans la fontaine d'Hypocrène, et les Muses sont entièrement vierges, aussi peu capables d'invectives que de saletez, n'y ayant pas moins de crime à prophaner la poësie qu'à débaucher une vestale. La satyre s'esloigne esgallement de ces deux extrernetez, et, en quelque façon que ce soit, son intention se doit conserver toute pure. C'est en ceste sorte de vers piquants qu'Horace a excellé. Juvenal est trop aigre, Perse trop sevère et sententieux. De nostre temps, à peine en avons nous un pour admirer. Tous les siècles ont produit des vices, mais non pas tousjours des esprits veritablement satyriques, et maintenant la mesdisance et la flatterie sont si familières, que personne ne s'attache qu'à l'une ou à l'autre. Pour ceste satyre, je la laisse au jugement de ceux qui s'y cognoissent. On n'ignore point l'occasion qui l'a faict naistre, et je sçay que la reformation dont elle a esté le prognostic (2) aura peut estre blecé quelques esprits : c'est pourquoy j'en prepare icy la drogue et le remède.

NOTES
1. Il se tua du désespoir que lui causèrent les iambes dirigés contre lui par Archiloque, à qui, malgré sa promesse, il avoir refusé de marier sa fille Néobule. (Horace, lib. 5, ode 6.)
2. Ceci donneroit à penser que cette pièce fut écrite avant l'ordonnance de 1620. Puisque l'auteur se vante de l'avoir provoquée et pronostiquée.

Edouard Fournier, 1857


>>> Suite

NOTE : Cet ouvrage (même date) figure à la BnF, sans nom d'auteur, avec la mention "pièce catholique". Un autre Eventail satyrique publié en 1626 est attribué, d'après Brunet, à Pierre Cotignon (1582?-164?)

 

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