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Alfred de Larzes, Choix d'improvisations poétiques, 1872 | 1 | 2 | 3

CHIFFRES DE LA POÉSIE ou POÉSIE DES CHIFFRES.
La Peste.


Plus terrible cent fois qu’Attila, roi des

1

Est la Peste, aux mortels montrant son front hi-

2

Plus farouche qu’Achille à la guerre de

3,

Elle dévaste tout et fait le diable à

4

Le malade a recours aux soins du méde-

5 ;

Mais on voit rarement, hélas ! qu’il réu-

6

Non, non, contre la Peste il n’est point de re-

7 !

On a beau réclamer ; il faut mourir de s-

8

Quand la Peste, chez nous, montre un symptôme

9

Il faut se préparer au noir de profun -

10 !


Mons (Collège Saint-Nicolas), janvier 1872.


LE SOLFÉGE POÉTIQUE.
On demandait une chanson à propos de musique ; l’un exige une octave de couplets, l’autre une quinte de vers à chacun, le troisième veut des vers de huit pieds en l’honneur des huit notes. Bref, voici la combinaison à laquelle on s’arrêta : huit couplets de cinq vers chacun , mais avec la condition expresse de terminer chaque strophe par le nom successif de chacune des notes de la gamme.
Le poète, sans préoccupation visible néanmoins, demanda exceptionnellement cinq minutes pour réfléchir. Voici son improvisation, dans laquelle il nous donne au moins six fois par strophe le mot qu’on lui imposait seulement comme finale.
(Extrait de la brochure : Un jeune poète improvisateur .)

__ Ut , ré , mi , fa , sol , la , si , ut
L’hiatus est permis en faveur du solfège ;
Mais que la Muse me protège,
Puisqu’il me faut chanter, pour arriver au but :
Ut , ré , mi , fa , sol , la , si , ut.
Ré-
fléchissons, le plus mad -ré
Ne s’en tirerait pas ; pour moi, j’en perds la tête :
Ré- pondez, se voir en-ca-d -
De la sorte, croit-on que ce soit un honnête
Ré- gal ? Messieurs, misere -ré.
Mi-
séricorde ! car je m’y
Perds ; j’en ai la migraine, et je crois voir ma lyre
Mi- se en pièces. Que si, que mi,
Je veux en ex-voto donner, si je m’en tire,
Mi- lle cierges à saint Re -mi.
Fa-
sse le ciel que pour un fa
Je ne sois pas cloué trop longtemps sur ma chaise !
Fa- meux ! car un soyeux so -fa
M’offre à point son gazon (1) ; j’y peux chanter à l’aise :
Fa lon laire et laire lon fa.
Sol- fions : ut , ré , mi , fa , sol.
M’y voilà ! Mais allons chercher une tranquille
Sol- itude ou quelque entre -sol,
Voire même une cave, où je trouve un facile
Sol- o sur la quinte et le sol.
La peur que l’on ne crie : Ho -là !
Sur moi, comme Boileau (le trait d’histoire existe)
L’a fait jadis sur Atti -la,
Me fait trembler ; je suis entré là dans un triste
La- byrinthe, restons en là.
Si je vous demandais mer -ci?
Ce serait fort prudent, je crois que je m’enferre.
Si-l ence ! je m’arrête i -ci ;
Sans quoi, je ne pourrais jamais sortir d’affaire
Si. ,m’y voici, couci-cou -ci.
Ut , ré , mi , fa , sol , la , si , ut ;
C’est le compte, il me semble, et vive le solfège !
Je vois qu’Apollon me protège,
Puisque je puis chanter, en arrivant au but ;
Ut , ré , mi , fa , sol , la , si , ut.

Montmorillon, mai 1865.

(1) Cette pièce était improvisée à la campagne.

ÉPIGRAMMES.
Sur un méchant poète.
Le poète Damis vient de faire éditer
Un volume de vers, triolets et ballades.
— Ah ! dit un médecin, je m’en vais l’acheter
Pour faire dormir mes malades !


Sur une faillite.
Mondor a fait faillite, et toute une mitraille
D’huissiers et de protêts assiégé sa maison.
— Bah ! et que vendait-il? — Du foin et de la paille.
— Je ne m’étonne pas qu’il ait mangé son fond !


Sur un gros journaliste.
Je ne sais pas si ce gros chantre
Est un écrivain érudit ;
Mais si l’esprit est dans le ventre,
Comme il doit avoir de l’esprit !


Sur un beau par leur fort bête.
Quand tu vas blaguant à la ronde,
Tu nous prouve bien, animal !
Que les cornichons en ce monde
Ne sont pas tous dans un bocal !


Sur un marchand de vin.
Hier, en me racontant une histoire un peu mûre,
X, ce marchand de vin si riche et si dodu,
Eut grand soin d’ajouter : C’est la vérité pure !
Il ne pourrait pas, je vous jure,
En dire autant du vin qu’il m’a vendu.


Sur un avocat.
Cet avocat est un malin
Qui prend, orateur à l’épreuve,
Les intérêts de l’orphelin
Et le capital de la veuve.


Sur un chignon exagéré.
Ce n’est pas par l’esprit que Philis étincelle.
Aussi, comme elle arbore un immense chignon,
Chacun de ses amis s’étonne, avec raison,
De voir tant de cheveux pour si peu de cervelle.


A propos d’une improvisation demandée sur le mot Perruque.
Je me garderai bien, dans cette poésie,
De célébrer trop fort le mot qui m’est donné
Je craindrais d’être soupçonné
De viser à l’Académie.


Sur un écrivain goutteux et gourmand qui émaille ses feuilletons de citations latines.
Ce vieux gros gourmand de J.,
Orné pour ses péchés d’une goutte assassine,
Aime tellement la cuisine
Qu’il y prend jusqu’à son latin.


Sur un riche agioteur qui,en plaisantant,
attribuait sa réussite à un morceau de corde de pendu.

Comme il garde avec soin au fond de sa sacoche
La corde d’un pendu, l’on s’étonne beaucoup
De lui voir cette corde en poche
Au lieu de la lui voir au cou.


FABLE EN BOUTS-RIMÉS.
La morale et le sujet de cette fable avaient été choisis par l’auditoire ainsi que les rimes. — La morale imposée était : Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Le boeuf et le Sanglier.

Loin du bruit des journaux et du bruit des

CANONS,

Certain boeuf dans les champs broutait les

CHAMPIGNONS

Et savourait le foin, de crainte de

FAMINE,

Avec l’air d’un gourmand qui croque une.

SARDINE.

Bref, ce brave animal, sans reproche et sans

PEUR,

Dans le calme des prés, broutait avec

BONHEUR

Celui qui mange bien ne craint pas la

JAUNISSE,

Et notre boeuf avait l’appétit d’un

JOCRISSE.

Soudain, un sanglier sort de derrière un

ROC,

Tout prêt à batailler et de teille et d’

ESTOC ;

Ses dents, en se choquant, faisaient un grand

VACARME.

Ferme comme un granit et fier comme un

GENDARME,

Mons sanglier était de taille, le

GREDIN !

A croquer un taureau comme un simple

PÉPIN.

Il voit le boeuf, planté droit comme une

ALLUMETTE,

Et l’allait avaler ainsi qu’une

OMELETTE.

Le boeuf, prêt à passer à l’état de

BOUDIN,

Se mit à trembler comme un âne de

MOULIN ;

Il craignait le boucher, il craignait la

SOUPIÈRE ;

Mais il craignait surtout la mort, cette

SORCIÈRE,

Car la mort, ici-bas, pèse du même

POIDS

Sur le cou des taureaux et sur le cou des

ROIS.

Le boeuf au sanglier tint des propos très-

ROSES ;

D’encens à l’animal il offrit maintes

DOSES ;

Il lui dit : “Attendez ! ma femme et mes

GAMINS

“S’amusent ici près à jouer aux

PATINS.

“Vous pourrez, en mangeant les veaux et la

GÉNISSE,

“Au lieu d’un saucisson, croquer quatre.

SAUCISSES.

“De graisse sur le corps ils ont un grand

SURPLIS

“Dont le goût, Monseigneur, doit vous paraître.

EXQUIS !

Mais notre sanglier, grognant comme un

TROMBONE,

Des reins, pour tout discours, lui brisa la

COLONNE,

Car il savait trop bien que, de peur d’

EMBARRAS,

Un tiens vaut toujours mieux que quatre tu l’

AURAS.


Tournai (Collège Notre-Dame), janvier 1872.



PASTICHE DES POÈTES CONTEMPORAINS

L’Enterrement.
(STYLE VICTOR HUGO.)
Ceci n’est point un conte. — Un homme riche était
Mort d’un cancer au pied. — Un cousin héritait
De sa fortune. — On prit le cadavre, charogne
Humaine qui puait déjà, puis la besogne
Commença pour les ensevelisseurs, corbeaux
Qu’attire l’odeur âcre et fade des tombeaux.
— Pour donner la pâture aux dents du cimetière,
Le cortége se mit en mouvement. — Derrière
Le cercueil, l’héritier marchait. — Malgré lui fier
D’avoir aujourd’hui l’or qu’il convoitait hier,
Il pleurait de l’oeil droit et riait de l’oeil gauche.
— Sa main, de temps en temps, s’engouffrait dans sa poche
Et ressortait — puis, grave, il s’en frottait les yeux
De gros pleurs en coulaient, rubis silencieux,
Et tous les invités, près de la fosse, en cercle,
Disaient : Voyez donc comme il pleure ! — Le couvercle
De la bière, soudain sauta, sombre secret !
Et, se dressant devant l’héritier qui pleurait,
La planche lui cria (mystérieux reproche) :
“ Oh ! l’infâme ! ! il a mis des oignons dans sa poche ! ! !


Même sujet.
(GENRE LAMARTINE.)
La terre était fleurie et le ciel était pur ;
Le soleil souriait à l’horizon d’azur.
De vallon en vallon, de prairie en prairie,
Mon âme promenait sa douce rêverie.
Comme un oiseau volant de rameaux en rameaux,
Mon regard s’égarait de coteaux en coteaux.
Au détour d’un sentier, je rencontrai la bière
D’un enfant qu’on portait dormir au cimetière.
Les enfants meurent-ils lorsque naissent les fleurs ?
Une femme suivait, les yeux baignés de pleurs.
Je compris sa douleur ; ému d’un saint délire,
Ma main fit raisonner les cordes de la lyre ;
A cette femme en deuil, je murmurai tout bas :
Sur votre ange envolé, mère, ne pleurez pas !
Dieu l’a sauvé des maux dont notre vie est faite ;
Votre coeur est en deuil et le ciel est en fête ;
Mère, cessez des cris et des pleurs superflus ;
Car un enfant de moins, c’est un ange de plus !

Saint-Germain-en-Laye, septembre 1868.
FIN.

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