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Henri Congnet, Le Pieux Helléniste, 1857
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Offrir à la jeunesse studieuse les Prières usuelles, traduites en grec, n'est pas une idée nouvelle. Dès l'année 1595, un célèbre professeur à l'université de Paris, Frédéric Morel, fit imprimer en grec et en latin l'Office de la sainte Vierge, suivi d'un grand nombre d'oraisons, d'hymnes, de psaumes. Le pape Clément VIII voulut bien en agréer la dédicace. Ce petit volume, sorti des presses de Jérôme de Marnef, est encore recherché des amateurs.
En 1786, Suère du Plan, qui a consacré une partie de sa fortune à faciliter et étendre l'étude du grec, édita l'Ordinaire de la Messe et un Psautier complet. Les intonations qui se trouvent à la fin du volume montrent que le désir du pieux auteur eût été que les élèves s'exerçassent quelquefois à chanter en grec les sublimes cantiques du roi-prophète.
Les Jésuites, si renommés par leurs succès dans l'instruction de la jeunesse, firent paraître, à diverses époques, plusieurs ouvrages du même genre. On a du P. Canisius un catéchisme grec-latin qui eut plusieurs éditions ; nous avons sous les yeux celle de 1644, et une beaucoup plus jolie imprimée chez Barbon en 1733.
Le P. Mayr (1615) traduisit en grec l'Imitation de Jésus-Christ. Cette traduction a paru de nouveau en 1824, chez Firmin Didot, par les soins de notre ancien condisciple, le savant M. Brosset. - En 1823, Seguin d'Avignon, sollicité par les révérends Pères, publia, in-18, le Petit Office de la sainte Vierge. - En 1848, un prêtre du diocèse de Nîmes a fait imprimer un livre grec fort pieux intitulé : Selectae preces e patribus ecclesiae orientalis ad usum piorum clericorum, in-32. (M. le chevalier Drach, appliquant à l'hébreu le même principe, a fait paraître chez Gaume le Pieux Hébraïsant.)
De plus, dans l'Alphabetum graecum de Robert Estienne (1580), et à la fin de quelques grammaires, le Pater, l'Ave, le Credo et autres Prières ont été imprimés pour servir aux commençants de premiers exercices. Ainsi l'a fait le P. Giraudeau, dans sa grammaire à l'usage des sixièmes. Ainsi l'avaient fait, avant lui, les grammairiens Clenard (1530), Antesignan, Scot (1605), et quelques autres.
Nous ne faisons donc que continuer ou reproduire, en les améliorant, les travaux des maîtres expérimentés et savants dont nous venons de parler, et nous avons droit d'espérer que notre livre de Prières grecques ne sera pas moins favorablement accueilli que leurs anciennes publications, ni jugé moins utile à l'étude de la langue grecque.
En effet, l'avancement rapide dans la connaissance d'une langue quelconque dépend, en grande partie, de la promptitude à laquelle l'élève parvient à classer, dans sa mémoire, la nomenclature et les règles principales de cette langue.
Or rien ne l'aidera plus facilement à atteindre ce but que la lecture et la récitation habituelle des Prières, contenues dans cet opuscule. En faisant ses exercices de piété, notre pieux Hélléniste se familiarisera infailliblement avec le sens exact et précis de plusieurs milliers de mots, racines ou dérivés - avec les principales inflexions des verbes réguliers et irréguliers - avec les adverbes, les conjonctions et les prépositions qui s'emploient plus fréquemment - avec les règles les plus importantes de la syntaxe.
De peur que le goût sévère d'un maître ne s'alarme de voir, comme auteur auxiliaire, entre les mains de ses écoliers un livre de prières, nous ferons remarquer qu'une grande partie du Pieux Hélléniste se compose de grec ancien, tiré ou des Septante, ou d'anciennes liturgies ; et, quant aux traductions de facture moderne que nous y avons jointes, on peut affirmer que les mots y sont employés dans leur sens propre, et que les règles de syntaxe y ont été observées. - Dire que nous devons quelques traductions à l'obligeance de feu M. Fleuri Lecluse, ancien doyen de la faculté des lettres de Toulouse, c'est donner une garantie suffisante de la grécité de ces morceaux. Cet estimable helléniste a bien voulu nous en céder la propriété. - Nous devons aussi d'heureuses corrections, dans les morceaux écrits en prose, aux judicieux conseils d'un homme en qui une rare modestie s'allie au savoir le plus profond. Nous voulons parler de M. Frédéric Dübner, qui rend en Fance de si grands services aux lettres grecques par ses propres ouvrages, et par les soins consciencieux qu'il apporte aux importantes publications de MM. Didot et Lecoffre.
De notre côté, nous avons tâché d'améliorer et de compléter notre premier travail. On nous saura sans doute gré d'avoir ajouté les prières du matin et du soir telles qu'elles se font généralement dans les communautés (celles du matin commence par ces mots : Très-Sainte et Très-Auguste Trinité ..., et celle du soir : Je vous adore, ô mon Dieu, avec la soumission ...) ; - quelques effusions de coeur envers la sainte Eucharistie ; enfin les Vêpres de l'Immaculée Conception de la Très-Sainte Vierge, que les élèves réciteront avec délice, principalement dans le temps des vacances, ou, dans le cours de l'année, les jours de congé et de promenades. Ce sera comme un écho prolongé de la proclamation du dogme si cher à tous les enfants de Marie : Ex ore infantium perfecisti laudem.
C'est à la piété des jeunes hellénistes d'abord que nous offrons ce petit volume, destiné, lors même qu'il ne sera plus pour eux un livre d'exercices, à leur servir chaque jour de manuel de prières. Nous devons toutefois les prévenir qu'il ne conviendrait pas qu'ils en fissent usage à l'église, avant de s'être suffisamment exercés d'abord à bien comprendre les morceaux qu'ils voudraient y lire. Dieu ne pourrait pas bénir des travaux qui seraient une irrévérence. Il ne faut pas changer le temple saint, qui ne doit être consacré qu'à la prière, en un lieu d'exercice et d'étude.
En éditant notre Pieux Helléniste, nous n'avons pas eu seulement en vue les étudiants ; nous avons encore espéré être utile aux gens du monde qui, ayant achevé leurs études, n'ont plus guère occasion de revoir leurs auteurs de classe, et oublient si facilement le peu qu'ils ont appris de la langue d'Homère et de Platon. Ce petit ouvrage leur viendra en aide : il entretiendra dans leur mémoire quelque connaissance du grec, pourvu qu'ils veuillent bien s'en servir habituellement comme livre de messe, comme manuel qu'ils portent à l'office ou dont ils se servent, matin et soir, pour accomplir les exercices du chrétien.
Il y aurait beaucoup d'avantage à rédiger en allemand, en anglais, en italien, en espagnol, etc., de petits livres sur le plan de celui-ci. L'étude si suivie aujourd'hui des langues vivantes serait du moins sanctifiée, et les hommes du monde oublieraient moins les titres de leur noble origine et comprendraient mieux la nécessité d'entretenir avec le souverain Être dont ils dépendent des rapports de soumission et de prière.

Henri Congnet.
Soissons, le 2 février 1857.

 

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