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Nivelle de la Chaussée, EPITRE DE CLIO
A Monsieur de B***

1ère partie | 2e partie
Au sujet des opinions répandues,
depuis peu contre la poësie.

« Je dirai plus : le langage des dieux
S'est de lui même arrangé pour le mieux.
Son méchanisme, appellé tyrannie,
Plus qu'on ne pense est utile au génie
Cette contrainte est une invention
Qui le conduit à sa perfection.

« L'esprit veut être un peu mis à la gêne
C'est l'aiguillon qui le tient en haleine,
Qui, par l'obstacle irritant son ressort,
Occasionne un plus heureux effort,
Et lui fait prendre un essor qui l'étonne.
C'est par effort que le salpêtre tonne ;
S'il n'est contraint, il reste sans vigueur
Et ne produit qu'une vaine vapeur :
Plus on le presse et plus on le resserre,
Mieux on lui fait imiter le tonnerre.
Ainsi l'esprit dans ses difficultés
Semble augmenter encor ses facultés ;
A son profit il tourne les obstacles,
Et la contrainte enfante les miracles.
Méprisez donc des projets surannés,
Que le bon sens a déjà condamnés... »
Ainsi parla, contre sa propre cause,
Celle de nous qui préside à la prose.
C'est donc à tort qu'on blâme une rigueur
Qui maintient l'art dans toute sa vigueur,
Et qu'on réclame, avec l'indépendance,
La prétendue et nuisible abondance
De tous ces mots qu'Apollon a proscrits :
Contentez vous de ceux qu'il a prescrits.


Vertumne, un jour, au lever de l'aurore,
Assis au pied de celle qu'il adore,
Dans ses cheveux entrelaçoit des fleurs,
Et lui juroit d'éternelles ardeurs.
La tendre amante, attentive et charmée,
S'abandonnoit au plaisir d'être aimée,
Et ses beaux yeux assuroient son vainqueur
Qu'un même amour regnerait dans son coeur.
« Ah ! dit alors Vertumne à la déesse,
Voici le tems fatal à ma tendresse :
Des soins plus doux que ceux de notre amour
Vont désormais vous charmer tour à tour.
A vos jardins la saison vous rappelle
Pour leur donner une façon nouvelle ;
Et je verrai, jusqu'au tems des moissons,
Vos espaliers, vos nains et vos buissons
Vous occuper, au mépris de mes larmes,
Peut-être même aux dépens de vos charmes ;
Qui sçait encor (puissé-je mal prévoir !)
Si vos vergers rempliront votre espoir.
Sans leur donner sans cesse la torture,
Laissez les croître au gré de la Nature
Par trop de soins et par trop de façons
Vous fatiguez vos tendres nourriçons,
Et vous perdez leurs plus belles années,
A peine on voit leurs tiges couronnées
Qu'à leurs rameaux naissans et malheureux
Vous imposez un lien rigoureux ;
Bientôt un fer encore plus terrible
Dans vos vergers fait un ravage horrible,
Et l'on n'y voit que Dryades en pleurs
Sur des monceaux de feuilles et de fleurs.

- Pour me blâmer, lui répliqua Pomone,
Mon cher Vertumne, attends jusqu'à l'automne.
C'est par mon art et mes soins bienfaisans
Que j'entretiens mes arbres florissans
De celui-ci, que ce lien redresse,
Contre les vents j'assure la foiblesse,
Et je corrige un penchant malheureux
J'ôte à cet autre un bois infructueux,
Où follement sa seve s'évapore ;
Cet arbrisseau, comblé des dons de Flore,
Me promet plus qu'il ne pourroit tenir,
Et de ses fleurs il faut le dégarnir.
Comment veux-tu que cet autre profite,
En lui laissant cette herbe parasite,
Et ce feuillage où l'astre qui nous luit
Ne peut mûrir et colorer son fruit ?
Ainsi ma main retranche avec prudence,
Pour m'assurer encor plus d'abondance. »


Vains érudits, téméraires censeurs,
Qui prétendez enseigner les neuf Soeurs,
Souffrez qu'ici Pomone vous redresse,
Car c'est à vous que son discours s'adresse.

Mais tel se plaint qu'on a mal à propos
Appauvri l'art de la moitié des mots,
Qui trouve encor assez de verbiage
Pour allonger un ennuyeux ouvrage ;
Et les rimeurs auroient encor besoin
Qu'on eût poussé la réforme plus loin.
Mais sous leurs yeux ils ont plus d'un modele
Qui leur en donne un exemple fidele
Et, parmi ceux qu'on pourroit imiter,
Il en est un qu'on ne peut trop citer,
Qui les invite à marcher sur ses traces :
Tu le connois, ce favori des Graces,
Lui dont les vers, consacrés aux Amours,
Seront les seuls qu'ils chanteront toujours.
Il avoit peu de cordes à sa lyre,
Et cependant elle a pû lui suffire
Pour exprimer tout ce qu'un tendre amour
Peut dans un coeur inspirer tour à tour.
La fiere Armide, et la tendre Angélique,
Nous a fait voir, sur la scene lyrique,
Qu'en peu de mots on peut être abondant.

D'un choix heureux l'expression dépend
D'un terme unique, employé dans sa place,
Elle reçoit et sa force et sa grace :
Qui la surcharge aussi-tôt la détruit.
Celui-là seul en tire tout le fruit
Qui, rejettant l'étalage et l'enflure,
Sçait la réduire à sa juste mesure,
C'est le grand art. La vraie expression
Ne va jamais sans la précision.
L'unique objet que notre art se propose
Est d'être encor plus précis que la prose ;
Et c'est pourquoi les vers ingénieux
Sont appellés le langage des dieux.

La période au cordeau compassée
De la mémoire est bientôt effacée ;
De mots pompeux on a beau l'enrichir,
D'un prompt oubli rien n'aide à l'affranchir
Elle s'envole, et ne laisse après elle
Qu'un sens confus qu'à peine on se rappelle ;
Mais dans l'esprit et dans le fond du coeur
Il n'appartient qu'au vers doux et flatteur
D'insinuer ses charmes et ses graces,
Et d'y laisser les plus profondes traces :
Il s'établit au fond du souvenir
Et par lui même il sçait s'y maintenir,
Sans s'altérer, ni sans perdre aucun terme
Du tour heureux et du sens qu'il renferme.
Ainsi l'esprit dans un vers séduisant
Peut, sans travail, s'instruire en s'amusant,
Et s'abbreuver des plus grandes maximes.
L'arrangement, la mesure et les rimes
N'empêchent pas, quoi qu'on ose avancer,
De mettre en vers tout ce qu'on peut penser.
C'est une audace aussi vaine que folle
Que de vouloir nous réduire au frivole,
Ou nous borner à des travaux légers :
Il en est peu qui nous soient étrangers.
La poësie, ainsi que la peinture,
Dans son ressort a toute la Nature.

De tous les arts qu'on cultive avec soin
En est-il un qui s'étende plus loin,
Et dont la source, aussi sainte et féconde,
Ait eu son cours dès l'enfance du monde?
Ce fut alors que notre art immortel
Prit sa naissance, à l'ombre de l'autel,
Parmi les jeux, la musique et la danse,
Dont il suivit les loix et la cadence.
Les laboureurs, pour prix de leurs moissons,
Sur des autels de mousse et de gazons
N'offroient alors qu'un tribut d'allegresse
On les voyoit, pleins d'une aimable ivresse,
Parés de fleurs, danser à demi nus,
Et seconder leurs transports ingénus
Par des chansons naturelles et vives
Qu'ils ajustoient à leurs danses naïves.

Qui peut nombrer les usages divers
Où les humains ont employé les vers?
Pour rendre aux dieux un plus célebre hommage
La piété parla notre langage,
Et nous remit le culte des autels,
Avec le soin d'instruire les mortels :
La vérité se servit des poëtes,
Et la sagesse en fit ses interpretes ;
Médiateurs entre l'homme et les dieux,
Ils ont ouvert le commerce des cieux.
Ces fondateurs du temple de Mémoire
Furent commis par l'Amour et la Gloire
Pour couronner de myrthe et de laurier
L'amant fidele et le fameux guerrier.
Ignore-t-on que le fils et la mere
Ne parlent point d'autre langue à Cythere?

Ainsi naquit, chez les premiers humains,
L'art que les Grecs apprirent aux Romains,
Et qu'aux François ont transmis ces grands maîtres.
Mais le jargon de vos premiers ancêtres
Ne put suffire à nos arrangemens ;
Le vers souffrit d'étranges changemens :
Il ne trouva ni nombre ni cadence
Dans une langue encore en son enfance ;
Où l'on ne put, quoi que l'on ait tenté (2)
Donner aux mots aucune quantité.
Pour suppléer au défaut d'harmonie,
Et soutenir leur marche trop unie,
Vos premiers vers ont été décorés
D'accords nouveaux, au Parnasse ignorés.
Et l'unisson de la rime naissante
Vint ranimer leur chute languissante,
Et rehausser, par cette nouveauté,
Un art réduit à l'ingénuité,
Qu'enfin le goût, l'oreille et la pratique
De jour en jour rendirent moins gothique.
A pas réglés le vers françois marcha
Une césure en deux le partagea
Par un repos qui varie et réveille
Une mesure uniforme à l'oreille.
De mots entr'eux trop pleins de dureté
On adoucit la premiere âpreté ;
Long-tems encor leurs ingrates finales,
Heurtant de front des voyelles fatales,
Firent souffrir l'oreille de Phoebus.
L'élision, funeste à l'hiatus,
Vint de ce monstre affranchir l'harmonie.
Ainsi la France emprunta d'Ausonie
L'alignement et le même niveau
Pour se construire un Parnasse nouveau,
Tâcha de suivre à peu près son modele,
Et vint à bout d'en construire un chez elle,
Sur un terrein peut-être moins fécond,
Mais dont bientôt elle a rendu le fond
Propre à fournir aux muses étonnées
Toutes les fleurs qu'elles ont moissonnées.
Pour nous fixer dans votre continent,
Ce fut alors qu'un mortel éminent,
Ministre encor au-dessus de sa place,
L'Atlas du trône et celui du Parnasse,
Ne rougit pas d'encenser nos autels :
A notre culte il porta les mortels ;
Des doctes Soeurs, dans un nouveau lycée,
Il réunit la troupe dispersée,
Et mérita cet hommage éternel
Dont nous payons son amour paternel.
Hélas ! jamais la Parque inexorable,
En enlevant un pere secourable
A des enfans qui n'ont point d'autre appui,
N'a fait verser tant de pleurs après lui.
Thémis, sensible à nos vives allarmes,
Prit son bandeau pour essuyer nos larmes,
Et nous commit son propre protecteur
Pour nous servir de pere et de tuteur.
La Parque encor nous rendit orphelines.
Enfin, ce roi qui sur les deux collines,
Par la Victoire en triomphe amené,
Fut par nos mains tant de fois couronné,
D'un nouveau faste accrut encor sa gloire,
Fit de son Louvre un temple de Mémoire,
Y rassembla tout le sacré vallon,
Et prit sa place à côté d'Apollon,

Mais je soupire en rappellant nos fastes.
Qu'un siécle à l'autre oppose de contrastes !
Et quel délire à nos regards surpris
Fait à présent fermenter les esprits !
Las du bon sens, l'erreur et le sophisme
Les vont enfin livrer au fanatisme.

Tandis qu'ainsi j'écrivois à l'écart,
Au bas du mont, jettant l'oeil au hazard,
Je vis à gauche une épaisse poussiere
Qui tout à coup obscurcit la lumiere ;
Un bruit confus, mêlé de cris perçans,
Jetta l'allarme et l'effroi dans mes sens.
Je rejoignis mes timides compagnes,
Qui s'enfuyoient au sommet des montagnes.
Bientôt l'écho, parcourant nos déserts,
Nous annonça l'ordre du dieu des vers ;
Et notre troupe, encore plus troublée,
Dans notre temple à l'instant rassemblée,
Vint à Phoebus offrir un foible appui.
Là, sur un trône aussi brillant que lui,
Environné par Corneille et Racine,
L'aimable dieu de la double colline
D'un doux soûris accueillit les neuf Soeurs.
Il nous donna des couronnes de fleurs.
« Venez, dit il, compagnes de ma gloire,
Sur la chimere emporter la victoire,
Et renverser par des coups éclatans
Des Marsias érigés en Titans. »
Les yeux alors pleins du feu qui l'embrase,
Il prend sa lyre, il monte sur Pégase,
Et nous conduit au pied de nos remparts.
Que d'ennemis dans nos plaines épars !
On y voyoit une antique matrone
Sous l'attirail et l'habit d'amazone,
Et sur son front nos lauriers prophanés
Entrelaçoient ses cheveux surannés ;
De mille atours messéants à son âge
Elle étaloit le risible assemblage,
C'étoit la Prose avec nos attributs,
Qu'on amenoit pour détrôner Phoebus ;
Et sur son char attelé de modernes,
Environné d'un gros de subalternes,
Etoit l'Erreur avec la Vanité,
Qu'accompagnoit la folle Nouveauté,
Qui sous leurs pieds avec ignominie
Tenoient aux fers la Rime et l'Harmonie.
Lors, un des leurs, d'un air avantageux,
Nous apporta son cartel outrageux :
C'étoit un Drame en prose alembiquée,
Avec une Ode à ce coin fabriquée,
Dont Apollon soudain, avec mépris,
Au bas du mont fit voler les débris.
Comme un torrent qui descend des montagnes,
Tous nos guerriers, guidés par nos compagnes,
Vers l'ennemi s'ouvrirent un chemin.
Là, Melpomene, un poignard à la main,
Des yeux, du geste et d'une voix tonnante
Encourageoit sa troupe fulminante
On vit alors deux célebres rivaux
Courir ensemble à des exploits nouveaux.
Sur leur égide, aux eaux du Styx trempée,
Pour sa devise un d'eux avoit Pompée ;
L'autre y portoit, écrit en lettres d'or,
Le nom fameux de la veuve d'Hector
Un autre, armé d'un stilet redoutable,
Pour les Cotins jadis inévitable,
Sur ces mutins fondit comme un lion
Et les auteurs de la rébellion,
Tels que brebis par les loups harcelées,
Fuyoient, tombant comme feuilles grêlées.

Non loin de lui, sous un casque brillant,
Certain lyrique, ayant pour cri Roland,
Se signaloit en faveur de la Rime.
« Courage, ami, je te rends mon estime,
Lui dit alors le critique surpris ;
Ton nom sera rayé de mes écrits. »
Mais j'oubliois le premier de ma liste,
L'inimitable et divin Fabuliste,
Que la chronique et les rieurs du tems
Mirent jadis au rang des végétans :
L'homme d'Esope, inconnu de soi-même,
Enfin sortant de l'ignorance extrême
Qu'il eut toujours de sa rare valeur,
Fit aux mutins sentir, pour leur malheur,
Qu'il auroit pû, comme un nouvel Horace,
Seul contre tous défendre le Parnasse.

La Rime avoit aussi parmi les siens
Ce successeur des comiques anciens,
Encor plus grand si dans tous ses ouvrages
Il eût osé dédaigner les suffrages
Des fats du tems qu'iI falloit attirer,
Et s'il n'eût eu qu'à se faire admirer.
Regnard suivoit l'auteur du Misanthrope.
Ici marchoient Malherbe et Calliope,
Ils peuvent seuls raconter leurs exploits :
Les vents, l'orage et la foudre à la fois,
Sur les mortels, par des coups si funestes
N'exercent pas les vengeances célestes.
Tels en fureur, du haut de nos remparts,
On les vit fondre, à travers les hazards,
Et sur la Prose éperdue et fuyante
Faire tonner leur lyre foudroyante.

D'autres sans nombre, aimables paresseux,
Par les Plaisirs, les Graces et les Jeux
Initiés jadis dans nos mysteres,
Dans ce grand jour, servant de volontaires,
Suivoient Chaulieu, La Fare et Pavillon
L'Amour menoit leur joyeux bataillon.
Pour éviter une entiere défaite,
La Prose enfin se battoit en retraite,
Et ramenoit les siens vers nos marais,
Quand tout-à-coup des escadrons tout frais
Au dépourvu prirent nos téméraires.
Ainsi, deux vents furieux et contraires,
Contre un vaisseau d'un souffle impétueux
Réunissant les flots tumultueux,
De gouffre en gouffre et d'abîme en abîme,
Vers le naufrage entraînent leur victime.
Mais, sans entrer dans des détails plus longs,
De ces rimeurs tu connois tous les noms.

Que celui là soit réputé barbare,
Qui ne connoît l'éleve de Pindare.
Après ce chef des poëtes du tems,
Suivoit cet autre encor dans son printems,
Qui, plus chargé de lauriers que d'années,
Passa l'espoir des Muses étonnées,
Et d'un chef-d'oeuvre entrepris tant de fois
A décoré le Parnasse françois :
Le grand Henri n'eût pas, disoit Virgile,
Mieux rencontré dans le chantre d'Achille.

Parmi tous ceux qui voloient sur leur pas,
Il en est un qui ne leur cede pas.
Mais tu connois sa valeur poëtique.
D'un nouveau genre inventeur dramatique,
Quand il lui plaît, Melpomene en fureur
Répand l'effroi, l'épouvante et l'horreur,
Fait ruisseler le sang avec les larmes,
Dans la terreur nous fait trouver des charmes,
Que jusqu'alors les timides rimeurs
N'ont point eu l'art d'ajuster à nos moeurs.

Ici marchoit, plein de reconnoissance,
Ce nourriçon, que, depuis sa naissance,
Le dieu des vers a pris soin de former :
Toutes mes soeurs semblent le réclamer ;
Il est l'enfant de leur troupe immortelle
Leur langage est sa langue naturelle,
Sa voix ressemble à celle d'Apollon ;
Et pour sa gloire, et celle du vallon,
S'il m'est permis de dire plus encore,
Autant que nous, Bignon l'aime et l'honore.
« Ah ! dit Thalie, est-ce toi que je vois,
Restaurateur du brodequin françois ?
Par la Nature instruit dans mes mysteres,
Nouvel auteur de nouveaux caracteres,
Qu'après Moliere on a vû moissonner
Au même champ où Regnard vint glaner.
Je l'avouerai, je le pris pour Terence.
- Oui, dit ma Soeur, c'est celui de la France.»
Parmi la troupe il s'en mêla plusieurs
Qu'on dit jadis instruits par les neuf Soeurs,
Enfans hâtifs, épuisés de jeunesse,
Qui n'en ont pas acquitté la promesse ;
Que l'on a vûs toujours dégénérer,
S'anéantir et se deshonorer ;
Et c'est entr'eux que se forgent à l'ombre
Ces noirs écrits et ces brevets sans nombre,
Où leurs fureurs exhalent à longs flots
Un fiel goûté des méchans et des sots.
De part et d'autre, alors, d'intelligence,
On courut sus et chassa cette engeance.
Le reste étoit de jeunes nourriçons
Qui sçauront mieux retenir nos leçons ;
Troupe novice, un jour plus consommée
Dans l'art des vers, et dont la Renommée,
En parcourant depuis peu nos deux monts,
A déjà pris la liste avec les noms,
Et répandu les naissantes merveilles.
Entr'autre essai de leurs premieres veilles,
De l'un d'entre eux, chéri dans une Cour
Où les beaux arts ont fixé leur sejour
Qu'avec plaisir, dernierement encore,
Nous relisions la fable de l'Aurore !

Notre rivale et les siens, aux abois
Entre deux feux exposés à la fois,
Firent encor de vaines tentatives
Pour ranimer leurs troupes
Ce ne fut plus qu'un combat inégal,
Et qu'un carnage affreux et général.
Comme autrefois, au pied des murs de Troye,
Du fier Achille Hector devint la proye ;
Ainsi leur chef subit, à nos regards,
Le même sort autour de nos remparts.
Ainsi finit cette grande journée,
Qui décida de notre destinée,
Maintint la Rime, assura l'art des vers,
Et pour jamais remit la Prose aux fers.



1. On prétend que Quinault n'a pas employé plus de sept ou huit cens mots différens dans ses poëmes.
2. On a voulu faire autrefois des vers mesurés à la façon des Latins.



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