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H.G. Moke*
Du sort de la femme dans les temps anciens et modernes
Chapitre VIII :Condition de la femme dans la société américaine

 











 











 











 











 

Si l'Angleterre doit en partie l'éclat de sa civilisation actuelle au génie et à l'influence des femmes, les Américains du nord, qui ont reçu d'elle l'exemple de l'éducation libre du sexe faible, portent tout aussi loin l'estime qu'ils lui témoignent. Lui seul jouit dans la fière réputation des Etats-Unis de privilèges universallement reconnus. Ce n'est pas seulement l'élite de la société qui les proclame ; le sentiment national est aussi généreux et aussi énergique à cet égard dans la classe populaire que dans les rangs supérieurs. Ce sentiment ne s'épanche pas, comme dans quelques contrées de l'Ancien monde, en paroles insinuantes et flatteuses ; mais il s'exprime par des actes constants d'égard et de protection. Sur ce point tous les voyageurs sont d'accord : la première place chaque fois qu'une femme se présente soit dans un lieu de réunion, soit dans une voiture publique ou à bord d'un bâtiment, est toujours réservée pour elle. Qu'elle soit jeune ou vieille, riche ou pauvre, isolée ou non, l'homme qui manquerait de déférence envers la plus inconnue s'apercevrait bientôt qu'elle peut trouver autant de défenseurs que l'offense a de témoins. Dans le récit du voyage d'une jeune dame française qui traversa le continent américain pour aller rejoindre son mari en Californie, elle décrit avec reconnaissance la conduite aussi réservée qu'attentive des gentlemen qui se sont trouvés sur sa route ; mais elle ne cherche pas à cacher son admiration plus vive encore pour ces rudes pionniers des déserts dont le dévouement officieux n'a janmais fait défaut à son appel. Ainsi d'un bout à l'autre de ce monde nouveau le respect de la femme est devenu la loi que suit et qu'impose le sentiment national.
La liberté des jeunes filles, protégée par ce sentiment, est plus étendue encore en Amérique qu'en Angleterre, et dément pour ainsi dire toutes les idées de danger que l'Europe attache au moindre relâchement de la surveillance domestique. Dans les villes les plus riches et dont la population offre le plus de mélange, elles sortent à chaque instant sans être accompagnées, et jamais l'injure d'un soupçon ne s'attache à leur isolement. il arrive parfois qu'un ami de leur famille, du même âge qu'elles, est prié de leur servir de guide et d'appui dans un voyage de quelque durée, et c'est là un devoir dont personne ne méconnaît la gravité (1). Que ce soit, si l'on veut, une preuve de cette intrépidité universelle que les Américains poussent jusqu'à la témérité ; mais l'expérience ne leur a pas montré qu'il en résultât des suites regrettables, car leur confiance paraît encore s'accroître tous les jours. ce n'est que sur notre continent qu'on tremble pour les filles des habitants de New York et qu'elles paraissent en danger.
L'âpreté avec laquelle des censeurs européens se sont exprimés à ce sujet a pu quelquefois entraîner leurs lecteurs à déclarer d'après eux cet aveuglement prétendu et la dégradation qui devrait en être la suite inévitable. Telle est l'impression que produit naturellement sur les esprits inattentifs le contraste de cette confiance avec notre circonspection. Mais l'homme de sang-froid ne peut méconnaître l'incompétence de ceux qui condamnent ainsi sur la foi de leurs propres habitudes les usages d'un grand pays et d'un grand peuple. Ces usages qui se sont formés graduellement ne pourraient sans doute être transportés tout d'un coup au sein d'une société qui n'y serait pas préparée. Mais il est évident que des institutions nationales ne doivent être jugées que dans les conditions où elles se sont produites, et sur le terrain où nous les voyons s'affermir. Or ces femmes si peu dépendantes ont pour elles le témoignage du pays qui les honore, et nos récriminations contre un pareil arrêt seraient aussi présomptueuses qu'illégitimes (2).
Tout s'enchaîne dans la civilisation ; le développement de l'instruction et la force de la pensée a répondu chez les Américaines aux habitudes de liberté qui ont affermi leur caractère. L'extrême activité avec laquelle s'étend d'un bout à l'autre des trente-quatre états le mouvement universel de la vie laisse à peu d'entre elles le repos que demandent les travaux littéraires. Mais celles qui ont abordé cette tâche jusqu'ici ne sont guère au-dessous des Anglaises que par les formes de style dont la perfection est le privilège des sociétés mûries. La femme généreuse qui naguère a défendu avec tant de force et de lucidité la cause des nègres s'est fait admirer de toute l'Europe. Les tableaux de moeurs dus à d'autres plumes féminines du même pays sortent du cadre habituel adopté par l'imagination des dames européennes : non seulement on y reconnaît la peinture vigoureuse d'une société dont les éléments se mélangent autrement, mais on sent le souffle puissant de cet esprit pratique qui transforme en réalités les théories morales. Ce n'est point de rêves chimériques et passionnés que se nourrit l'esprit de la femme ; il poursuit l'application de ses idées religieuses et de ses croyances domestiques. Quelques-unes se sont vouées au culte de la science, et plus d'un père a vu ses filles marcher sur ses traces dans ses études professionnelles. C'est ainsi que dans plusieurs grandes villes les médecins comptent pour collègues de jeunes dames, qui ont obtenu leurs diplômes en subissant avec honneur les épreuves ordinaires, et qui consacrent leurs soins aux personnes de leur sexe.
Ces conquêtes de la femme sur le domaine viril seront sans doute éternellement limitées par les lois de la nature et par les arrêts de l'opinion : mais elles lui assurent une place qui pour rester différente de l'homme n'en répondra pas moins à l'égalité légitime des deux sexes (3).


Notes
1. J'ai eu personnellement connaissance de quelques exemples caractéristiques de ce genre. Dans une traversée d'Amérique en Europe le protecteur choisi pour la belle voyageuse était un jeune Belge fier de répondre dignement à cet marque de confiance dont sa famille continua longtemps à s'étonner.
2. Les orages fréquents de la vie américaine ne sont pas sans effets dangereux même pour la femme ; mais leur origine ne se rattache nullement à sa position.
3. Ce serait ici le lieu d'examiner le développement rapide de l'éducation des femmes en Allemagne. Mais ce mouvement, quoique très digne d'attention, est encore trop inégal pour que j'ose entreprendre de l'esquisser. Il semble destiné à s'étendre aussi loin que le progrès de leur liberté auquel le caractère national est si favorable. Déjà le régime des pensionnats et de la clôture est presque abandonné dans les provinces rhénanes et même à Cologne. Le goût de l'instruction forte se répand de plus en plus dans les contrées du Nord ; dans le Sud le sentiment poétique paraît encore le seul qui soit beaucoup développé.


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