L'Hermite de la Chaussée-d'Antin, ou
Observations sur les moeurs et les usages parisiens au commencement
du XIXe siècle, 1815
AVANT-PROPOS.*
L'HERMITE
DE LA CHAUSSÉE-
D'ANTIN
ET LE LIBRAIRE.
LE LIBRAIRE.
MILLE
pardons, Monsieur ; vous étiez à travailler : je vous
dérange, mais je ne vous tiendrai pas long-tems.
L'HERMITE.
A qui ai-je l'honneur de parler?
LE LIBRAIRE.
Je suis libraire, Monsieur, et je viens faire une proposition à
l'Hermite de la Chaussée- d'Antin.
L'H E RMI TE.
Qui vous a dit, Monsieur,
que ce fût moi
?... Comment savez-vous ......
LE LIBRAIRE.
Je ne suppose pas que vous
ayez cru pouvoir rester long-tems caché sous votre nom pseudonyme.
L'incognito d'un journaliste est impossible à garder : tous les
amours-propres sont ligués contre lui, et le plus souvent le
sien est du complot.
L'HERMITE.
Sans compter l'intérêt
des libraires qui n'est ni moins actif ni moins clairvoyant.
LE LIBRAIRE.
C'est un devoir pour nous de
savoir à
quoi nous en tenir sur l'équivalent
des monogrammes, dont presque tous les articles de journaux sont maintenant
signés, et par état nous devons connaître la valeur
de toutes les lettres de l'alphabet depuis A
jusqu'à Z.
L'HERMITE.
Maintenant, Monsieur, en supposant
que vous ayez deviné juste, de quoi s'agit-il ?
LE LIBRAIRE.
De vos articles; on en parle
beaucoup dans le monde.
L'HERMITE.
Dans lequel, s'il vous plait ? car chacun a le sien.
LE
LIBRAIRE.
Je veux dire qu'il
n'est bruit que de vos
bulletins , au cabinet de lecture de la rue de
Grammont, au café Tortoni et dans la grande
avenue du Luxembourg, vous arriverez à la
célébrité.
L'HERMITE.
J'ai choisi un chemin
bien étroit.
LE LIBRAIRE.
Mon Dieu ! pour qui
les connaît, les sentiers valent mieux que les grandes routes.
L'HERMITETE.
Au fait ?
LE LIBRAIRE.
Je viens vous proposer
de réunir vos feuilletons en un volume, et de m'autoriser à
les publier pour mon compte.
L'HERMITE.
Réunir des articles de journaux y pensez-vous ? Ces bluettes
littéraires ne sont faites que pour amuser le lecteur pendant
qu'il déjeûne, ou pour l'endormir quand il se couche ;
encore, la plupart du tems, ne remplissent-elles que la dernière
partie de leur destination. Elles n'ont qu'un jour à vivre, et
je ne vois pas la nécessité de les enterrer ensemble.
LE LIBRAIRE,
Ne cite-t-on pas plusieurs
collections du même
genre échappées à la rigueur de
cet arrêt, le
Pour et le Centre, le
Spectateur, le Tuteur, le Babillard, le
Fainéant, etc.?
L'HERMITE.
Sans doute ; mais on sait
aussi que ces ouvrages avaient pour auteurs l'abbé Prévost,
Addison, Steele , Johnson, et que les petites choses, comme le dit ce
dernier, n'ont de valeur que de la part de ceux qui peuvent s'élever
aux grandes.
LE LIBRAIRE.
Vous traitez les mêmes
matières.
L'HERMITE.
Pourquoi
pas ? Racine et Mai ..... ont tous deux fait des tragédies. Addison
a peint les moeurs et les usages de Londres, au commencement du dix-
huitième siècle
; j'essaie de donner une idée de celles de Paris au commencement
du dix-neuvième : voilà d'abord un point de ressemblance
; je ne suis embarrassé que des autres.
LE
LIBRAIRE.
Où est la nécessité
de comparer ? Une simple esquisse au trait, quand elle est bien tracée,
bien fidèle, peut encore trouver sa place dans le cabinet d'un
amateur, à côté du tableau d'un
maître. Au surplus,
le succès de cet ouvrage me regarde, je suis libraire, et puisque
je l'espère, c'est que j'en suis sûr.
L'HERMITE.
S'il en est ainsi, je vous
autorise très- volontiers, Monsieur, à recueillir et à
publier, sous le titre de l'Hermite de la Chaussée- d'Antin,
mes Observations sur les moeurs et sur les usages parisiens, pendant
l'année 1811.
LE LIBRAIRE.
Et celles que vous ferez
paraître par la suite ; car je prends l'engagement d'en publier
tous les ans un volume.
L'HERMITE.
Je fais mieux que de
souscrire à cette clause ; je vous laisse le droit d'y renoncer
du moment où vous n'aurez plus d'intérêt à
la tenir.
* Préface
de la première Edition.
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