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Paul Dupont, Caractères d'imprimerie, 1853

Gravure des poinçons | Fonte des caractères | Les débuts de la typographie | Triomphe des romains et création de l'italique | Survivance du gothique | Caractères grecs | Caractères hébraïques | Le XVIe siècle français | Le XVIIe siècle français | Fournier et Baskerville | Firmin Didot | Dénominations des caractères | Caractères syllabiques | Problèmes de fonte | Les fonderies vers 1850 | L'usage des types | Les grands noms de la typographie
Nous avons ajouté les intertitres et quelques notes entre crochets [].

Les caractères d'imprimerie sont mobiles et représentent séparément toutes les lettres de l'alphabet, ainsi que les signes de ponctuation, chiffres, etc.
Avant l'invention des caractères mobiles, on se servait pour imprimer de types gravés en relief sur des planches de bois, procédé lent et coûteux, puisqu'il obligeait de graver une à une toutes les lettres d'un livre, sans que ces caractères pussent servir à aucun autre ouvrage. Aussi ce procédé n'était-il guère employé que pour les livres de peu d'étendue et d'un usage très-répandu, tels que les specula, les donats, etc. ; quant aux autres livres, on continua à les demander à l'industrie des copistes, jusqu'au moment où Gutenberg eut trouvé le moyen de composer toutes les pages d'un livre avec des caractères mobiles pouvant servir successivement à l'impression d'un grand nombre d'ouvrages.
Les premiers essais furent nécessairement fort imparfaits. Les caractères, taillés en bois, étaient presque toujours inégaux, manquaient de netteté et formaient quelquefois d'une seule pièce des syllabes et des mots entiers. Ces formes de lettres et de mots étaient liées entre elles avec de la ficelle, moyen tout à fait insuffisant pour les tenir serrées convenablement.
Lorsqu'on voulut employer le plomb, le cuivre ou même l'argent, la difficulté ne parut pas moins grande. On perdit d'abord beaucoup de temps à scier, limer, polir, équarrir et réduire à une égale hauteur les petites pièces de métal sur lesquelles chaque lettre devait être gravée. Les inventeurs imaginèrent alors de fondre le métal selon les proportions désirées de manière à ce qu'il ne restât plus que la lettre à graver. Enfin, ils cherchèrent le moyen de fondre l'œil même de la lettre avec ce corps, par une seule opération, consistant à couler le métal dans des moules qui contiendraient chaque lettre gravée en creux. Le mécanisme de l'imprimerie était dès lors inventé.
Quand on songe aux difficultés de toute nature qu'il fallut surmonter avant d'arriver à fondre les caractères dans des proportions assez exactes pour pouvoir les employer à la composition des livres, on ne s'étonne plus du temps, des peines et des sommes énormes qui furent prodigués par Gutenberg et ses associés pour mener à bonne fin leur entreprise.

La gravure du poinçon
Cette invention, comme nous l'avons déjà dit ailleurs, fut perfectionnée en 1452 par Pierre Schoeffer, devenu l'associé de Faust et de Gutenberg, après le retour de celui-ci à Mayence. Schoeffer grava le type de chaque caractère sur un poinçon d'acier, auquel il donna ensuite par la trempe une assez grande dureté pour pouvoir tirer une empreinte de la lettre sur une matière solide, capable de résister à l'action d'une chaleur prolongée. Le cuivre lui parut remplir ces dernières conditions ; il enfonça dans une lame de ce métal, à l'aide d'un marteau, son poinçon d'acier, dont il obtint ainsi une empreinte parfaite en creux ; il n'eut plus alors qu'à chercher les moyens d'y couler du plomb, de manière à en faire ressortir un relief en tout semblable au poinçon dont il s'était servi.
C'est ce qu'il obtint aisément, en montant sur l'empreinte faite dans le cuivre un moule propre à donner à chaque lettre une épaisseur convenable et en prenant toutes les précautions nécessaires pour que les caractères fussent parfaitement d'aplomb et de même hauteur à la surface de la lettre.

Fonte des caractères
Quant à la fonte même du caractère, c'est-à-dire à l'introduction dans le moule du métal en fusion, on ne connaît exactement ni le métal employé ni les procédés en usage dans les premiers temps de l'imprimerie. Aujourd'hui, on se sert d'un alliage de plomb, d'antimoine et d'étain ; quant à l'opération même, qui ne laisse pas que de demander une certaine habileté, on y procède de la manière suivante :

Un fondeur au XVIe siècle, gravure de Jost Amman, détail. Voir l'image entière

. L'ouvrier tient de la main gauche un moule formé de deux pièces en équerre, coulant l'une sur l'autre, de manière à se rapprocher à volonté pour donner les différentes épaisseurs aux liges des lettres.
. La matrice est placée, à la partie inférieure du moule, entre deux registres qui la maintiennent de chaque côté, tandis qu'un ressort la retient appliquée devant l'ouverture, et fixe la hauteur des lettres.
. Placé devant un creuset, l'ouvrier y puise le métal en fusion avec une petite cuiller de fer en contenant juste la quantité nécessaire pour remplir le vide, Il coule ce métal avec célérité par l'ouverture du jet, placée à la partie supérieure du moule, en même temps qu'il élève son bras gauche avec force pour accélérer, par un mouvement brusque, la chute du métal jusqu'à la partie intérieure qu'elle doit atteindre pour prendre, dans le creux de la matrice, l'empreinte de la lettre.
. De ce mouvement brusque d'ascension du bras gauche, au moment où le métal en fusion touche les parois du moule, dépend le succès de l'opération ; car si la matière était coulée simplement par son contact avec le fer, elle serait immédiatement figée à la superficie du moule on ne donnerait que des produits imparfaits sans aucune netteté.
Ce travail demande de la part de l'ouvrier une grande habitude, pour saisir justement la force d'impulsion à donner au moule au moment où il applique la cuiller à l'orifice du jet. Tous ces mouvements exigent une grande célérité, puisqu'un ouvrier doit fondre, en moyenne, trois mille lettres par jour.

Les débuts de la typographie
Le caractère des premières éditions typographiques ressemble à l'écriture du temps, qui est une sorte de demi-gothique. En 1471, le gothique pur était employé à Strasbourg. L'Allemagne, dit M. Philarète Chasles, avait imité avec scrupule les pointes et les angles aigus de ce caractère gothique, qui semble avoir introduit dans l'écriture les caprices de l'architecture ogivale.
Le caractère gothique s'est perpétué jusqu'à nos jours en Allemagne, soit dans les manuscrits, soit dans les livres imprimés ; cependant l'écriture et l'impression en lettres romaines y sont maintenant fort usitées.
Les premiers typographes allemands avaient adopté dans leurs impressions l'écriture nationale ; il en fut de même de ceux qui portèrent l'imprimerie dans les pays étrangers. Ainsi Sweynheym et Pannartz qui, sortis des ateliers de Mayence, allèrent s'établir à Rome et introduisirent l'art typographique en Italie, employèrent le caractère romain. Leur exemple fût suivi par la plupart des autres imprimeurs de cette contrée, notamment par Jean et Vindelin de Spire, premiers imprimeurs de Venise. Nicolas Jenson, Français d'origine, qui bientôt aussi alla s'établir dans la même ville comme imprimeur, graveur et fondeur, détermina la forme et les proportions du caractère romain, tant majuscule que minuscule, tel qu'il existe encore aujourd'hui, à quelques modifications près, dans les imprimeries.
Géring et ses associés à Paris se servirent d'un seul caractère de gros-romain pour tous les ouvrages qu'ils imprimèrent en Sorbonne. Après qu'ils se furent établis rue Saint-Jacques, ils employèrent plusieurs sortes de caractères, dont quelques-uns ressemblent à une écriture à la main ; sans être gothiques, ils se rapprochent de ceux des éditions de Mayence faites par Pierre Schoeffer ; mais les ouvrages qu'il imprima seul, en 1478, sont en beaux caractères romains, et peuvent même rivaliser avec les impressions vénitiennes alors très-renommées.
Gunther Zainer, premier imprimeur d'Augsbourg, et plusieurs autres typographes d'Allemagne, employèrent aussi le caractère romain mais, par un retour bizarre, le gothique non-seulement prévalut en Allemagne où il est encore en usage, mais il s'introduisit en Italie, en France, en Espagne, en Angleterre. Ainsi, à Venise, Jenson, qui s'était illustré par la perfection de ses caractères romains, donna plus tard de nombreuses éditions en caractères gothiques ; à Paris, Géring abandonna aussi les types romains pour ces caractères disgracieux que certains typographes cependant appelaient très-agréables, très-élégants, jucundissimi, elegantissimi, et que l'on continua d'employer dans beaucoup d'imprimeries jusqu'à la fin du XVIe siècle, mais qui ne sont plus aujourd'hui que des caractères de fantaisie.

Triomphe des romains et création de l'italique
Simon de Colines, Robert Estienne, Michel Vascosan furent les restaurateurs du caractère romain en France, plutôt que Josse Bade qui, au contraire, se servait fréquemment du gothique.
En Italie, les belles éditions des Alde arrêtèrent les progrès de l'impression en gothique et ajoutèrent encore à la pureté des lettres romaines.
Ce fut Alde Manuce, à Venise, qui inventa, vers 1500, le caractère penché appelé italique, avec lequel il imprima un Virgile, un Horace et autres classiques latins. A Paris, Simon de Colines, qui était en même temps imprimeur, graveur et fondeur, introduisit ce caractère dans la typographie française. Il est maintenant adopté partout, mais l'usage en est bien restreint. Manuce imprimait des ouvrages entiers en italique. Pendant le siècle dernier, on imprimait souvent avec ce caractère les avertissements, les préfaces, les sommaires des chapitres, même le texte d'un auteur lorsqu'on en donnait la traduction en regard, qui était alors en romain. Aujourd'hui, on se borne à imprimer en, italique les mots et les phrases sur lesquels on veut appeler l'attention, les titres d'ouvrages qu'on indique, les citations, quand elles sont courtes ; car, si elles ont une certaine étendue, on les imprime ordinairement en romain, en faisant précéder de guillemets chaque ligne, ou du moins chaque alinéa.

Survivance du gothique

Avant l'invention du caractère italique, et encore après, plusieurs imprimeurs combinaient le gothique avec le romain: dans quelques dictionnaires imprimés en romain, les premiers mots, au lieu d'être en capitales de ce caractère, sont en gothique (Robert Estienne lui-même et son beau-père Simon de Colines en ont fourni des exemples) ; ou bien les premiers mots sont en capitales romaines et le reste en gothique. Les imprimeurs d'Allemagne mélangent encore ces deux caractères ; mais, dans les autres pays, on ne combine actuellement que le romain et l'italique ; néanmoins, les affiches, les prospectus, les titres de quelques livres présentent parfois le mélange, gracieux ou bizarre, de toutes sortes de caractères.
Pour les circulaires, on emploie souvent des caractères calligraphiques, c'est-à-dire imitant l'écriture à la main. L'idée du caractère italique qui s'en rapproche fut, dit-on, suggérée à Manuce par l'écriture de Pétrarque. En France, on soumit aussi diverses écritures aux procédés typographiques: ainsi, il y eut, en 1556, une cursive connue depuis sous le nom de civilité ; vers 1640, une ronde et une bâtarde ; en 1741, une bâtarde coulée, et, dans ces derniers temps, une écriture anglaise, perfectionnée par MM. Didot.

Caractères grecs
Les premiers imprimeurs n'avaient pas de caractères grecs ; quand ils rencontraient quelques mots grecs dans les ouvrages latins qu'ils imprimaient, ils laissaient des espaces en blanc pour écrire ces mots à la main. Cependant, Pierre Schoeffer, dans son édition des Offices de Cicéron (Mayence, 1466), imprima plusieurs mots en caractères grecs mobiles, mais gravés seulement. Sweynheym et Pannartz employèrent des types grecs fondus dans l'impression du Lactance (Subiaco, 1465).
Enfin les imprimeurs de Milan donnèrent des éditions entièrement grecques ; la Grammaire, de Constantin Lascaris, 1476, imprimée par Denis Paravisinus, est le premier ouvrage de ce genre, après lequel on cite un Psautier en grec et en latin à deux colonnes (Milan, 1481) ; un Homère en grec, imprimé à Florence, par les frères Nerli, en 1488.
Mais le célèbre Alde Manuce de Venise peut être regardé comme le promoteur de la typographie grecque en Italie, et même en Europe, soit à cause du grand nombre d'éditions grecques qu'il imprima, soit à cause de la beauté de ses caractères dont François de Bologne grava les poinçons.

Caractères hébraïques

C'est aussi en Italie que commença l'impression hébraïque, pratiquée d'abord par des juifs : le premier livre imprimé en hébreu est un commentaire du rabbin Jarchi sur le Pentateuque, Reggio de Calabre, 1475. Alde Manuce eut des caractères hébreux, mais n'en fit presque aucun usage ; Daniel Bomberg, établi à Venise en 1511, est, dit-on, le premier typographe chrétien qui imprima des ouvrages en hébreu.

Le XVIe siècle français

La France ne tarda pas à rivaliser avec l'Italie pour la gravure et la fonte des caractères. Les premiers imprimeurs exécutaient ou du moins faisaient exécuter sous leurs yeux ces opérations. Parmi ceux qui s'appliquèrent spécialement à cette industrie, nous citerons Josse Bade, Simon de Colines, Geoffroi de Tory, qui publia, en 1529, sur les proportions des lettres, un ouvrage curieux intitulé le Champ fleuri.
Claude Garamond, élève de Tory, fut un des plus célèbres graveurs et fondeurs de la France: ses caractères égalent, s'ils ne surpassent même en beauté, ceux des artistes vénitiens. C'est lui qui, par ordre de François Ier, grava, sur les dessins du calligraphe royal Ange Vergèce, les trois sortes de caractères grecs dits grecs du roi, et dont Robert Estienne fit un fréquent usage. Ils ont servi, en 1797, à l'impression des œuvres de Xénophon, éditées et traduites par Gail, édition faite à l'imprimerie nationale, où l'on conserve encore les poinçons de Garamond. Les caractères de cet habile artiste étaient recherchés et imités dans les pays étrangers. Longtemps ces types ont été désignés sous le nom de Garamond, que l'on continue de donner en Allemagne et en Angleterre à un caractère du corps de 8 points.
D'autres graveurs marchèrent à Paris sur les traces de ces premiers maîtres. Guillaume Le Bé grava les caractères hébreux que Robert Estienne employa dans ses éditions bibliques, et il fut chargé, en 1567, par Philippe II, roi d'Espagne, de graver les caractères de la Bible polyglotte que ce monarque faisait imprimer chez Plantin, à Anvers, dans les Pays-Bas espagnols. Les descendants de Guillaume Le Bé suivirent la même carrière que leur aïeul jusqu'au commencement du XVIIIe siècle.
Robert Granjon exerça son art à Lyon, à Rome, où il fut appelé, en 1578, par le pape Grégoire XIII, et à Paris. Il se distingua dans la gravure des caractères orientaux.

Le XVIIe siècle français
Jacques de Sanlecque grava aussi, pour Antoine Vitré, des types hébreux, syriaques, arméniens, chaldéens, arabes, qui servirent à l'impression de la Polyglotte de Lejay (1628). Il eut pour successeurs ses fils et ses petits-fils. Les caractères employés par les Elsevier provenaient de la fonderie des Sanlecque.
Les Thiboust, qui furent pendant deux siècles imprimeurs-libraires jurés de l'Université, étaient en même temps graveurs et fondeurs. Claude-Louis publia, en 1718, un poëme latin, traduit en français par son fils, sur l'Excellence de la Typographie, dans lequel il décrit les procédés de la fonte.
Depuis 1691 jusqu'en 1771, Grandjean, Alexandre et Luce furent attachés comme graveurs de caractères à l'imprimerie royale.

Fournier et Baskerville

L'ancienne et belle fonderie des Le Bé passa, en 1730, dans la famille Fournier, dont tous les membres ont exercé jusqu'à nos jours cette industrie, soit à Paris, soit en province.
Le plus célèbre est Fournier jeune (Pierre-Simon). Frappé de la décadence de l'art qu'il professait, il entreprit lui-même de rendre des formes régulières et agréables aux caractères d'imprimerie. Il publia, en 1737, une table des proportions qu'il faut observer entre les caractères pour déterminer leurs hauteurs et fixer leurs rapports. En 1764, il fit paraître un Manuel typographique où de nombreux spécimens témoignent du soin et de l'habileté qu'il déployait lui-même dans la gravure et la fonte des caractères. C'est grâce à ses efforts que les Barbou, les Coustelier, les Prault purent imprimer, à cette époque, de beaux livres où les vignettes se montraient aussi sagement qu'élégamment employées.
Pendant que Fournier ranimait en France le goût de la bonne typographie, Baskerville, célèbre imprimeur et fondeur de caractères, opérait une réforme semblable en Angleterre. Après plusieurs années de tentatives et beaucoup de dépenses, il parvint à produire un type dont il fat lui-même content, et dont il fit, en 1756, un premier essai dans une édition in-4° de Virgile.
Toutefois, ces deux habiles graveurs ne changèrent rien à la forme même du caractère romain, qui resta telle que l'avaient déterminée trois siècles auparavant François de Bologne et Garamond, sous l'inspiration des Alde Manuce et des Robert Estienne.

Firmin Didot

C'est Firmin Didot qui, le premier, en 1783, en modifia les proportions. Il diminua la largeur du caractère par rapport à sa hauteur, et donna aux déliés et aux contours des lettres une finesse et une netteté que nul n'avait obtenues avant lui. La lettre, prise isolément, gagna par là en élégance, il est vrai ; mais on est forcé de reconnaître qu'elle n'offre pas à l'impression les mêmes avantages que l'ancien caractère. Avec ce dernier, les mots ressortent toujours clairs et distincts dans le texte ; tandis que les caractères qu'on emploie aujourd'hui se confondent plus facilement et chatoient pour ainsi dire sous le regard. De là, pour le lecteur, le besoin d'une attention soutenue, et, par suite, une fatigue que ne cause pas au même degré la lecture de l'ancien caractère.
L'imprimerie impériale qui, comme toutes les imprimeries particulières, avait adopté le nouveau système créé par Firmin Didot, paraît avoir compris la première l'inconvénient grave que nous venons de signaler ; car on remarque, en effet, dans quelques-unes de ses impressions actuelles, une forme de caractères qui se rapproche beaucoup de celle des éditions aldines.

Dénominations des caractères
Dès les premiers temps de l'imprimerie, des noms ont été donnés aux caractères, pour les distinguer suivant leur grandeur. Ainsi, le caractère qui fut employé a l'impression d'un des premiers livres imprimés à Rome, la Cité de Dieu de saint Augustin, prit le nom de l'auteur du livre. Le nom de Cicéro [le cicéro vaut 12 points, taille la plus courante dans les livres – note de l'éditeur] resta de même au caractère qui servit aussi dans cette ville à l'impression des Epîtres familières de Cicéron. C'est par une cause semblable qu'on nomma plus tard Lettres de Somme certains caractères imités de l'écriture allemande du XVe siècle, et qui avaient été employés à l'impression de la Somme de saint Thomas. On peut assigner, en général, une origine pareille aux autres dénominations sous lesquelles les caractères de différentes sortes étaient distingués anciennement [on trouvait ainsi la nonpareille, le petit texte... - note de l'éd.].
C'est François-Ambroise Didot qui fut le promoteur du système de points typographiques inventé par Fournier jeune, en 1737, et qui sert actuellement à désigner le corps des caractères, système inappréciable pour la coïncidence des types, ainsi que pour la précision, la justesse et la célérité des travaux [Didot utilise comme base le pied, mesure d'avant le système métrique. Un point vaut environ 0,375 mm. Ce système échappa à la normalisation de la Révolution. – Note de l'éd.].

Caractères syllabiques

A diverses époques, on a essayé d'introduire dans l'imprimerie l'usage des caractères syllabiques, tentatives qui n'eurent aucun succès.
Cette méthode, destinée à produire une économie de temps et de travail, consiste à fondre d'un seul jet les groupes de lettres formant un son, au lieu d'employer des caractères isolés. L'ouvrier se trouve ainsi composer d'un seul mouvement ce qui, par le système ordinaire des lettres détachées, en demande deux ou trois. Barletti de Saint-Paul, ancien secrétaire du protectorat de France en cour de Rome, fut, en 1774, l'inventeur de ce système. Les calculs les plus minutieux ont été faits pour en prouver la supériorité sur le mode d'impression ordinaire, et un rapport avantageux fut même présenté à ce sujet à l'Académie des sciences par MM. Desmarets et Barbou. Mais la complication et le grand nombre de signes ou caractères composés qui seraient nécessaires ont fait considérer ce système comme impraticable. Cependant le Gouvernement accorda à l'auteur une gratification de 20,000 fr. et l'impression à 500 exemplaires de l'ouvrage qu'il avait écrit polir faire ressortir les avantages de son invention ( Nouveau système typographique ou moyen de diminuer de moitié le travail et les frais de composition, de correction et de distribution, Paris, imprimerie royale, 1766, in-4°).
Un imprimeur de Strasbourg, du nom d'Hoffmann, reprit un peu plus tard l'œuvre de Barletti. il forma deux genres de types ou poinçons : l'un, polir les lettres isolées ; l'autre, pour les lettres réunies en syllabes les plus usitées dans la langue française. Un brevet lui fut même délivré le 16 février 1792, pour exercer, pendant quinze ans, ce procédé. Mais il le céda presque aussitôt, et il ne paraît pas que le cessionnaire ait pu en tirer parti.
Des essais de même nature ont été faits en Belgique, avant 1830 ; ils ont été abandonnés comme ne produisant pas l'économie de temps qu'on en espérait.
De nouvelles tentatives ont eu lieu dans ces derniers temps. M. Legrand (Marcellin), en 1844 ; M, Édouard Joostens, en 1819, ont exposé des groupes de lettres ou syllabes fondues ensemble, et destinées à abréger le travail de l'ouvrier. Il n'est pas à notre connaissance que ces nouveaux caractères multiples soient encore en usage dans aucune imprimerie de Paris,
Enfin, tout récemment encore, M. J.-H. Tobitt, imprimeur a New-York, a introduit dans ses ateliers l'usage des caractères syllabiques. Mais nous croyons que l'expérience lui fera reconnaître, comme à ceux qui l'ont essayé avant lui, que cette innovation, toute séduisante qu'elle paraît au premier abord, offre encore plus d'inconvénients que d'avantages, par la multiplicité des signes et l'espèce de confusion qu'elle introduit nécessairement dans la casse d'imprimerie.

Problèmes de fonte
On a essayé aussi, dans divers pays et à diverses époques, en vue d'activer le travail du fondeur, de composer des moules multiples, de manière a pouvoir fondre plusieurs lettres à la fois. Cette méthode a été appliquée, pour la première fois, à New-York et à Philadelphie.
En France elle a été améliorée et pratiquée plus en grand par M. Henri Didot, inventeur du moule multiplicateur, dit moule polyamatype, qui, dès l'année 1810, avait obtenu, par son nouveau procédé, des résultats satisfaisants . En 1815, il prit un brevet d'invention, et dès le commencement de 1816 diverses imprimeries de Paris employaient avec succès les caractères sortis de ses moules.
M. Marcellin Legrand, graveur à l'Imprimerie impériale, neveu et successeur de Henri Didot, depuis 1824, a introduit dans ce procédé des perfectionnements pour lesquels il a pris un brevet. Il a donné à son établissement un grand développement, et depuis longtemps les caractères fondus par le procédé mécanique sont en usage dans l'imprimerie concurremment avec ceux des fonderies ordinaires.
Ce procédé permet d'employer indifféremment les matières les plus dures en usage pour la fonte des caractères, et deux ouvriers produisent quarante mille lettres par jour.
Les moules étant fixes et ne dépendant en rien du plus on moins d'habileté de l'ouvrier, les produits présentent toujours une grande netteté et une parfaite régularité : il en résulte que des fontes livrées à différentes époques ont entre elles une identité que l'on obtient difficilement par le procédé ordinaire, qui nécessite l'emploi de plusieurs moules mis entre les mains d'ouvriers qui n'ont pas toits la même habileté.
On a parlé aussi récemment d'une machine qui aurait été inventée par un fondeur de Lyon, M. Calès, et qui, tout en fabriquant bien, aurait l'avantage de produire beaucoup et à bon marché. Cette machine, qu'il a nommée monotype, donne, dit-on, environ soixante lettres à la minute.
M. Brockaus, imprimeur à Leipsick, fait aussi usage dans sa fonderie d'un fondeur mécanique.
M. Petyt, à Paris, présenta à l'exposition de 1819 une machine propre à fabriquer des caractères en cuivre, nommés apyrotypes, parce qu'ils sont frappés à froid, au lieu d'être fondus ; cette machine petit produire trente-six mille lettres par jour.
Nous avouons toutefois être moins disposé à applaudir à ces moyens expéditifs qu'aux autres progrès obtenus depuis quelques années dans la fonte des caractères. Comme nous, les Anglais ont beaucoup cherché à activer l'opération, et cependant les hommes véritablement pratiques, chez eux comme en France, persistent à croire que la précision et la délicatesse du travail ne permettent pas de fondre plus d'une lettre à la fois.

Les fonderies vers 1850
Pendant longtemps il n'y eut en France, comme nous l'avons dit, d'autres fondeurs de caractères que les imprimeurs eux-mêmes : ceux qui n'avaient pas de fonderie s'approvisionnaient chez leurs confrères. Maintenant la fonte des caractères est devenue un art particulier. L'imprimerie en a réellement tiré un double avantage : d'abord les caractères se sont perfectionnés dans les mains des fondeurs, artistes distingués pour la plupart ; en second lieu, les imprimeurs économisent par là un temps précieux.
L'Italie, autrefois si renommée pour ses belles fonderies, ne possède presque plus d'établissements considérables de ce genre ; on cite cependant la fonderie du Vatican à Rome, et celle des religieux arméniens mekhitaristes, établie dans les lagunes de Venise (île Saint-Lazare), Mais c'est en France, en Angleterre, en Allemagne et aux États-Unis d'Amérique, qu'on trouve aujourd'hui lés plus importantes fonderies.
En définitive, les caractères typographiques se sont améliorés dans ces derniers temps ; moins toutefois dans le dessin, qui ne présente qu'une assez fâcheuse variété de formes, que dans la pureté de la gravure des poinçons et la précision dans la fonte des types, qui rendent la composition et la mise en train plus faciles.

L'usage des types
L'imprimerie française possède actuellement un grand nombre de caractères, qui cependant ne forment ensemble que deux types bien distincts:
Le type ordinaire d'impression, qu'on subdivise en régulier et irrégulier ;
Le type auxiliaire ou de fantaisie, qu'on subdivise aussi en plusieurs espèces, suivant la forme particulière de ses caractères.
Les caractères de fantaisie se sont multipliés considérablement depuis 1840. Plus de cent espèces différentes figurent dans nos Essais d'imprimerie. Ils doivent être employés avec réserve dans les titres d'ouvrages sérieux, d'où les bibliophiles voudraient même les voir totalement exclus ; mais on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'ils produisent un excellent effet pour les labeurs courants, appelés ouvrages de ville, tels que les programmes, les actions commerciales, etc., dont ils permettent de varier les titres à l'infini. Lorsque ces ouvrages sont bien exécutés, ils peuvent rivaliser avec la lithographie pour ses plus beaux travaux d'écriture.
On a également perfectionné, dans ces dernières années, les filets, les vignettes et les fleurons. Les traits de plume notamment sont gravés et fondus avec un tel succès qu'on les croirait sortis de la main d'un écrivain habile. - Quant aux lettres ornées, celles des volumes anciens sont inférieures aux lettres que l'on trouve dans la plupart de nos éditions illustrées. Sous ce rapport même, l'imprimerie moderne a fait de véritables progrès.

Grands noms de la typographie
Voici les noms des graveurs et fondeurs de caractères qui se sont le plus distingués par leurs travaux:
XVe siècle. - Schoeffer, à Mayence ; Jenson, François de Bologne, à Venise.
XVIe siècle.- Josse Bade, à Paris ; Geoffroi Thory, Simon de Colines, Claude Garamond, Guillaume Le Bé, Robert Granjon, Pierre Hautin, Nicolas Duchemin.
XVIIe siècle. - Jacques Langlois, Jacques de Sanlecque père et fils ; Pierre Moreau, Le Bé (Guillaume II).
XVIIIe siècle. - Grandjean (Philippe), Thiboust (Claude-Louis), Gando (Jean-Louis), de Sanlecque (Jean-Eustache-Louis), Fournier (Jean-Pierre), Fournier le jeune (Pierre-Simon), Gillé (Joseph), Didot (François-Ambroise), Didot (Pierre-François), Momoro. Baskerville, à Birmingham en Angleterre ; Breitkopf, à Leipsick en Allemagne ; Bodoni, à Parme en Italie.
XIXe siècle. - Didot (Pierre), qui grave et fond des caractères pour son imprimerie seule ; - Didot (Firmin), à qui l'on doit un nouveau caractère imitant l'écriture cursive, les derniers perfectionnements apportés aux caractères romains et plusieurs caractères étrangers ; Didot (Henri), inventeur du moule polyamatype, honoré de la médaille d'or aux expositions de 1819, 1823 et 1827 ; -Didot (Jules), fils et successeur de Pierre Didot ; - Léger ; - Pinard ; - Molé jeune ; Marcellin Legrand, graveur de l'Imprimerie impériale (neveu et successeur de Henri Didot), qui a gravé sur acier et fondit en types mobiles un caractère chinois, des caractères tamouls, hébreux, etc., honoré de la médaille d'or à l'exposition de 1844 ; - Tarbé, qui a obtenu la médaille d'or à l'exposition de 1839 ; - Lurent et Deberny ; Aubanel d'Avignon ; Petibon, graveur de vignettes, fleurons, etc. ; Biesta, Laboulaye et Cie, dont l'établissement est aujourd'hui le plus considérable de l'Europe. - Nous devons surtout citer, pour les vignettes, fleurons et traits de plume, M. Derriey, inventeur des cadrats cintrés et d'un coupoir ingénieux pour les filets.

 


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