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C. Delon, Histoire d'un livre, 1884
L'impression : casse et composition (1ere partie)

Ce texte décrit l'état de la technique en 1884. Vous pourrez lire également le texte de Dupont qui donne un aperçu plus rapide.

Nous avons du papier - que nous avons vu fabriquer ; nous avons des caractères - que nous avons vu fondre. Maintenant il s'agit de faire un livre ! Mais entendons-nous bien : dans cette chose, faire un livre, il y a deux choses : écrire le livre, le fabriquer. L'un est le travail intellectuel, l'autre est le travail matériel. L'un est l'affaire de l'auteur, nous l'avons dit ; l'autre celle de l'imprimeur et du relieur. - Or laissons pour l'instant de côté l'œuvre de l'auteur ; supposons le manuscrit achevé, le manuscrit original, comme on dit, pour distinguer de toute copie qui en serait faite à la plume. Le travail de la pensée est fini ; celui de la main commence. Et ce travail manuel a bien aussi son intérêt et sa valeur ! Il s'agit de faire un livre. Mais quel livre ? Celui que vous voudrez, peu importe ; les procédés, les travaux, sont les mômes pour tous, à quelques détails près. Dans nos explications, nous prendrons pour exemple, de préférence, ce livre même que vous avez sous les yeux ; et cela, tout simplement afin que vous puissiez observer autant que possible par vous-même ; ce qui vaut toujours mieux, n'est-ce pas ? - Et ce serait beaucoup mieux encore si je pouvais, vous prenant par la main, vous conduire dans quelque, grande imprimerie, vous faire voir de vos yeux le travail, toucher de vos mains les objets... Un jour, si vous êtes curieux de choses intéressantes, vous la ferez, cette visite, et vous y trouverez plaisir, je vous assure. Pour le moment, il faut bien vous contenter de mes explications. - Imaginez donc que nous visitons ensemble une imprimerie. Dans toutes les villes un peu importantes, il y a une imprimerie au moins ; à Paris, dans les grandes villes il y en a d'immenses, qui occupent des centaines d'ouvriers et comprennent un grand nombre d'ateliers divers. C'est là que je veux vous conduire ; suivez-moi donc par la pensée. Entrons dans le premier atelier: l'atelier des compositeurs.

Un atelier de composition
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L'atelier des compositeurs
C'est une vaste salle, de grandes et larges fenêtres : il faut voir clair ! De longues et hautes tables y sont disposées. absolument comme des pupitres d'écoliers dans une classe ; le dessus de ces tables est incliné, comme celui d'un pupitre. Ces tables ou trétaux s'appellent rangs - C'est ici que se fait le premier travail, en même temps le plus intéressant et le plus curieux : la composition. Composer (com-poser, poser avec, ensemble), en termes d'imprimerie, cela veut dire réunir, assembler les lettres mobiles pour en faire des lignes, puis des pages. Voyez : devant sa table se tient le compositeur, presque toujours debout, afin de conserver la liberté de ses mouvements. En face de lui, bien devant ses yeux, sur un léger pupitre, est un papier écrit, qu'il appelle la copie. - La copie : il faudrait dire l'original, car c'est le manuscrit de l'auteur, ce qu'il s'agit de composer Pour l'imprimer. Sur la table inclinée est posée une, grande boite de bois, très large, peu profonde, divisée en petits compartiments, contenant les caractères. De sa main droite le compositeur prend, « pèche, » comme vous diriez, dans sa boîte, les lettres de métal, pour les ranger à la file sur lin petit instrument qu'il tient dans sa main gauche. - Tandis qu'il travaille, examinons un peu ses outils : tout d'abord la boite aux caractères.

La casse
Cette boite, plate et large, avons-nous dit, sans dessus, semblable à un tiroir, c'est ce que le compositeur appelle sa casse (non pas case, mais casse, avec deux s, d'un mot tiré du latin et qui signifie caisse). Elle est formée de deux parties distinctes et séparées ; cela fait, si vous voulez, comme deux tiroirs qu'on pose l'un devant l'autre. L'un, le plus près du compositeur, le plus bas par conséquent sur la pente de la table, est appelé le bas de casse : il contient les petites lettres, les minuscules. L'autre, placé plus loin du compositeur, renferme surtout les grandes lettres, les majuscules. Les deux parties de la casse sont divisées en un grand nombre de compartiments qu'on nomme cassetins (petites caisses). Dans chaque cassetin il y a, en plus ou moins grande quantité, une seule espèce de lettres ou de signes de ponctuation, toujours la même -. ainsi il y a le cassetin aux a, le cassetin aux b,... le cassetin aux points, le cassetin aux virgules, etc. Voyez représentée sur le dessin ci-joint une casse avec tous ses compartiments ; sur chacun est marquée l'espèce de lettres que le cassetin renferme. - Ce qui vous frappe tout d'abord, n'est-ce pas, c'est que, dans le tiroir de devant, dans le bas de casse, les compartiments, ne sont pas égaux : il y en a de grands, de moyens, de petits... Pourquoi ? C'est que dans l'écriture, et, par conséquent, dans la composition, toutes les lettres ne servent pas aussi souvent les unes que les autres. Jetez les yeux sur une page écrite ou imprimée : vous y trouvez des e en quantité ; il y a aussi beaucoup d's, d'a, d'i. Les m, les n, les d, sont en moindre nombre ;

Une casse
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enfin il y a des lettres, le k, par exemple, l'x, le w, qui servent rarement. Certaines lettres revenant donc plus souvent que les autres dans l'écriture, le compositeur emploie davantage de celles-là : il faut qu'il en ait une plus grande provision ; c'est pourquoi on leur fait des cassetins plus larges. Les lettres qui servent moins souvent sont renfermées, en moindre quantité, dans des cassetins plus étroits. Puis vous avez remarqué aussi que, dans ce même tiroir, les lettres ne sont pas rangées dans l'ordre habituel de l'alphabet. Pourquoi encore? C'est pour épargner la peine et le temps du compositeur. Les lettres qui servent le plus souvent, comme les e, les s, les a, on les a placées dans le bas de casse, et le plus près possible du compositeur, vers le milieu de la casse, afin que sa main ait moins de chemin à faire pour aller les chercher. Les autres lettres sont plus loin, il faut allonger le bras davantage pour les saisir ; mais comme elles servent plus rarement, la peine n'est pas grande. Voilà ce que vous expliquerait l'intelligent et adroit ouvrier, si vous lui demandiez la raison de la forme et de la disposition de sa casse. Il vous ferait remarquer aussi que son bas de casse contient, en outre des petites lettres (minuscules), les signes de ponctuation, tels que points, virgules, points-virgules, deux points ; quelques autres signes encore, employés dans l'écriture et dans l'impression, comme les traits d'union, les apostrophes, les tirets. Il vous montrerait encore, dans de petits compartiments ; certains groupes de lettres, tels que fl, fi, qui tiennent ensemble, sur la même pièce, en sorte qu'en prenant ces sortes de caractères on met en place deux lettres ou même trois à la fois. Vous y voyez, en leur ordre, les neuf chiffres et le zéro. Enfin vous trouveriez trois ou quatre compartiments remplis d'espaces, petites pièces de métal, plus ou moins épaisses, semblables de forme aux lettres, mais plus courtes, et n'ayant pas d'œil - vous vous souvenez de ce que cela veut dire. « N'ayant point d'œil, direz-vous, point de partie en relief ? Mais elles ne marqueront pas sur le papier lorsqu'on imprimera ! - Sans doute. - A quoi bon ce qui ne marque pas? - Vous le verrez tout à l'heure. »
Dans les compartiments du haut de casse sont d'abord les grandes lettres majuscules, qu'on appelle grandes capitales : celles qu'on met au commencement des phrases, des noms propres, dont on fait les titres des chapitres : A B C D. Puis viennent d'autres lettres de même l'orme, mais plus petites, A B C D, qui servent moins souvent encore. Justement parce que les capitales s'emploient moins que les petites lettres de l'autre forme (minuscules), on les place dans le haut de casse, dans des cassetins éloignés de la main, tous égaux, et on les range dans l'ordre ordinaire de l'alphabet. Ce même tiroir du haut contient aussi certaines lettres minuscules, mais qu'on emploie rarement, les ë, les ï, les ü, avec tréma, les ce accolés ; les lettres portant l'accent grave ou l'accent circonflexe ; puis certaines petites lettres qu'on met eu haut dans quelques abréviations, comme l'r de Mr, l'o de n° : c'est ce qu'on appelle des lettres supérieures. Enfin vous y trouveriez encore certains signes que vous rencontrerez dans les livres, tels que les points d'interrogation ? et les points d'exclamation ! la parenthèse ( ) les crochets [ ] et plusieurs autres, beaucoup moins usités que les signes ordinaires de ponctuation. En un mot on met dans le haut de casse tout ce qui sert peu. - En tout, il y a 152 cassetins dans une casse.
Et comment, pensez-vous peut-être, comment le compositeur peut-il se reconnaître dans tous ces petits compartiments si bizarrement rangés? - Il s'y reconnaît à merveille. Il ne cherche point, il ne tâtonne point... A peine a-t-il lu quelques mots de sa copie, que, de la main droite, il saisit l'une après l'autre, et avec une rapidité surprenante, les lettres par la tête, c'est-à-dire du côté de l'œil, et les place, le cran en bas, dans un instrument qu'on nomme composteur, et qu'il nous faut maintenant examiner.

Composteur
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C'est un outil très simple : une petite rigole en, fer, avec un rebord assez haut en avant, à droite et à gauche : cela forme comme une petite case encore, mais une case qui n'aurait que trois côtés. Le compositeur range en ligne les lettres qu'il lève, c'est-à-dire qu'il prend dans la casse ; il les plante debout le long du bord du composteur. Il les plante debout, je veux dire l'œil en haut ; mais, chose qui vous paraîtra étonnante au premier abord, il dispose ses lettres renversées, le haut de la lettre tourné vers lui, - en un mot, il compose à l'envers. Ainsi faisant, s'il pose, par exemple, un p, la lettre, renversée, présente à vos yeux un d ; s'il pose lin n, vous croiriez voir un u. Mais le compositeur ne s'y trompe pas, lui ; il lit ses lettres renversées aussi facilement que vous lisez une ligne écrite on imprimée dans le sens ordinaire : c'est affaire d'habitude.

Le sens de la composition
Mais pourquoi compose-t-on ainsi à l'envers ? Si vous rappelez vos souvenirs, vous l'avez deviné. Déjà, n'est-ce pas, nous avons observé que si on imprime une lettre d'un cachet, un caractère, la trace imprimée paraît retournée, disposée en sens inverse de la lettre regardée directement. S'il s'agit non plus d'une seule lettre, mais d'une ligne formée de plusieurs lettres, il en sera de même encore, évidemment. Donc il faut composer la ligne renversée, pour que sa trace sur le papier, retournée par le fait de l'impression, soit droite... Mais cette simple indication ne nous en dit pas assez. Pour bien nous rendre compte de la position renversée des lettres et des lignes, et en même temps de tous les ingénieux procédés du travail de la composition, j'imagine un moyen très simple : nous allons donner à l'ouvrier typographe quelques lignes d'écriture à composer ; et tandis qu'il formera ses lignes, nous suivrons des yeux, lettre à lettre, le travail de sa main.
Mais avant toute chose il lui faut encore savoir quelle longueur devront avoir les lignes. Cette longueur étant choisie, l'ouvrier ajuste son outil. Voyez-vous, sur le dessin, une pièce qui porte une vis, et qui forme le troisième côté de la petite case ouverte du composteur ? Cette pièce est une sorte de petite cloison mobile, que l'on peut faire avancer ou reculer ; par ce moyen on peut agrandir ou rapetisser à volonté la longueur de la case aux lettres ; une vis que l'on peut serrer ou desserrer fixe la pièce ou la laisse glisser à volonté. Notre compositeur avance ou recule la cloison mobile, de telles sorte que la longueur de la case soit juste la longueur même que les lignes doivent avoir ; il la fixe en serrant sa vis. Régler ainsi son outil, c'est ce qu'il appelle, en termes d'imprimerie, justifier son composteur, c'est-à-dire le mettre juste ; et la longueur même des lignes se nomme, pour la même raison, justification. Cette opération faite, tout est-il prêt, enfin ? Voici, disons-nous, notre copie:

La copie
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Le typographe l'a placée, en face de lui, sur ce léger pupitre qu'il nomme visorium - encore un mot latin ; il saisit son composteur de la main gauche ; il le tient en travers, le côté ouvert en dehors, le côté fermé vers lui. Il le tient un peu penché vers lui, afin que les lettres posées debout dans la case du composteur se soutiennent en s'appuyant sur les cloisons et les unes sur les autres, et ne tombent pas. Il commence. Sa main rapide va chercher dans le haut de casse la lettre grande capitale L qui doit commencer la phrase ; il la place, debout, l'œil en haut, retournée, ainsi que vous le voyez sur le dessin, à l'extrémité gauche de son composteur, dans l'angle. Puis il prend un a (minuscule) qui est à portée de sa main dans un cassetin du bas de casse, le pose, retourné de même, auprès de l'L, l'y appuie, l'y fait joindre. Mais déjà le mot est fini. Or il faut que tout mot, pour se distinguer bien, soit séparé du mot suivant par un petit intervalle de blanc. Le compositeur prend alors, dans un des cassetins réservés pour elles, une de ces pièces courtes, sans œil, que nous avons appelées des espaces. Il prend cette fois une espace forte - en typographie, le mot espace est du féminin, - c'est-à-dire une espace assez épaisse ; il la pose absolument comme une lettre : cela fait, il place contre elle l'n, première lettre du mot suivant. L'espace empêche cet n de venir toucher à l'a qui termine le premier mot ; elle le tient écarté. Or l'espace ne marquant pas sur le papier, dans la ligne imprimée il y aura un intervalle blanc, d'une certaine largeur, réservé entre les deux mots. Lorsque le compositeur veut mettre entre deux lettres un intervalle plus petit, il pose une espace moyenne ou une espace fine : ces espaces sont à part, dans des cassetins spéciaux. Enfin s'il vent un intervalle plus grand que la largeur d'une seule espace, il en met plusieurs l'une contre l'autre.
Mais tandis que je vous explique ceci, déjà le compositeur a mis en place les lettres u, i, t, l'espace qui sépare ce mot du mot "est" ; puis les lettres des mots suivants ; il a pris, en passant, et mis en place le point-virgule ; il est déjà bien loin - le voici presque au bout de la case ; la ligne est finie. Mais quoi ! pouvons-nous compter que, le dernier mot de la ligne étant fini, cette ligne se trouve avoir exactement la longueur voulue? Cela peut arriver, mais cela arrive rarement. Le plus souvent il reste au bout un petit intervalle. Or il faut que la dernière lettre arrive juste à l'extrémité de la ligne. Il faut donc allonger un peu. On y arrive en glissant entre les mots de petites espaces fines, on en met autant qu'il le faut, pour que la dernière lettre vienne toucher le bout du composteur, s'y appuyer même un peu fortement. De la sorte 1es mots se trouvent un peu plus espacés qu'on n'aurait voulu d'abord ; mais la différence est peu de chose, l'œil du lecteur, ne s'en apercevra pas. - Régler ainsi les espaces entre 1es mots pour donner la longueur exacte, cela s'appelle justifie la ligne. Mais si, arrivé vers l'extrémité de sa ligne, le compositeur voit qu'il reste, après le dernier mot formé, non pas un petit intervalle, mais un large espace, trop étroit cependant pour contenir en entier le mot suivant, qui est long, alors il se résigne à couper ce mot par la moitié ; l'autre partie commencera la ligne suivante. Dans ce cas, la partie du mot coupé qui termine la ligne doit être suivie, comme vous le savez, d'un trait d'union, que le typographe appelle division, parce que ce signe sert à indiquer la division, la coupure faite dans le mot.
La ligne finie, justifiée, on passe à la seconde. On. pourrait composer les mots suivants - en recommençant par la gauche, bien entendu, - en appuyant simplement les lettres de cette nouvelle ligne sur celles de la précédente. Mais quand on agit ainsi, les lignes sont trop serrées sur la page imprimée, leur aspect est désagréable, elles sont difficiles à lire il vaut mieux qu'elles soient écartées davantage. Pour produire cet écartement, avant de commencer la seconde ligne le typographe pose dans son composteur une petite plaque de métal, mince, en forme de rectangle, n'ayant pas assez de hauteur pour marquer sur le papier, et qu'on a coupée bien exactement de longueur à la justification des lignes c'est ce que l'on nomme une interligne. Appuyant donc ses lettres sur cette plaque, qui joint dans toute la longueur contre la première ligne, il compose la seconde ; et par suite ces lignes seront séparées d'une quantité égale à l'épaisseur de l'interligne. Les lignes, sur la page imprimée, seront plus écartées, il y aura plus de blanc entre elles.
Notre compositeur donc, ayant posé son interligne, est en train de former sa seconde ligne. Il arrive au dernier mot : un point, alinéa. - Mais la ligne n'est pas finie : pour que les lettres tiennent, il faut la remplir. Pour cela le typographe, achève de justifier sa ligne en rangeant, non plus des lettres, mais ce qu'il appelle des cadrats, c'est-à-dire de petites pièces de métal ayant moindre hauteur que les lettres, n'ayant pas d'œil, semblables à des espaces, mais beaucoup plus larges : chacun remplit la place de plusieurs lettres. Le compositeur les prend dans un des cassetins de son bas de casse, les met en place : en un instant le vide est comblé. S'il lui faut remplir un blanc moins large, il se sert de pièces toutes semblables, mais de moindre dimension, qu'il désigne par les mots diminutifs de cadratins et de demi-cadratins.
La seconde ligne remplie, justifiée, le compositeur, après avoir placé une nouvelle interligne, passera à la troisième : inutile de suivre plus loin son travail, nous avons compris. - Je vous ferai seulement observer une chose encore, pour finir. Quand on commence un alinéa, la première lettre, qui est naturellement une capitale, n'est pas posée tout au commencement, ou, comme on dit, en tête de la ligne ; elle est reculée un peu, renfoncée, disent les typographes. Pour annoncer qu'on va à la ligne - en latin a linea, - on ménage avant la lettre un petit espace blanc. Ainsi, en commençant son travail, notre typographe n'a pas mis sa première lettre, son L, tout au fond de l'angle du composteur ; il y a mis auparavant un cadratin, qui garde la place du blanc, et renfonce la lettre. Il ferait de même à un second alinéa.
Nos lignes sont achevées ; elles tiennent dans le composteur, dont elles remplissent à peu près la capacité. Mais vous êtes pressé de voir quel effet produiront ces lignes imprimées. Que le compositeur donc y mettre encore un peu de complaisance... «Voici ; sans retirer ces lignes du composteur, à l'aide d'un rouleau, il noircit l'œil de ses lettres ; lui, prend une petite bande de papier, la pose sur le caractère noirci, la presse légèrement de la main... Les caractères s'impriment à l'envers, tels qu'ils sont sur le papier. Mais maintenant, si nous décollons la bande afin de la lire, pour mettre sous nos yeux la surface imprimée il va falloir, nécessairement, retourner le papier... et alors les lettres et les lignes, retournées par là même, prendront la direction ordinaire de l'écriture, comme vous le voyez ici :


Texte composé et galée
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La galée
Lorsque son composteur est rempli, le typographe, saisissant ce petit paquet de caractères, l'enlève en le serrant entre les trois premiers doigts de chaque main, puis le porte sur une planchette munie de rebords comme le composteur, mais plus vaste, et qu'on nomme une galée. Puis il recommence à former, sur son composteur devenu vide, un nouveau groupe de lignes, qu'il enlèvera de même et posera sur la galée, à la suite des premières. Continuant ainsi, il arrive à faire une assez longue colonne de composition, pareille à la colonne de texte étroite et longue d'un journal. Mais observez bien : jusqu'ici tous ces caractères assemblés sont simplement plantés debout les uns près des autres, serrés, pressés, appuyés les uns sur les autres, mais non pas collés ni attachés ; en sorte que le moindre accident, un choc, un mouvement brusque et maladroit les ferait tomber en pâte, comme dit l'ouvrier, c'est-à-dire qu'elles s'écrouleraient en désordre, en un tas informe où toutes les lettres seraient mêlées: - un chaos indéchiffrable, un affreux gâchis ! Aussi le typographe ne craint-il rien tant que de faire de la pâte... Pensez : tout son travail perdu ; et le temps qu'il faudrait passer à reprendre une à une toutes ces lettres, pour les remettre dans leurs cassetins ! Pour éviter ce malheur, quand il a réuni un assez grand nombre (le lignes sur sa galée, le compositeur lie fortement ce paquet en passant une ficelle tout autour. Puis il fait glisser adroitement le paquet de la galée sur une feuille de carton, et le dépose avec précaution sous son rang, sur une planche.
Mais pensez-vous donc qu'on puisse aligner ainsi des centaines et des milliers de petites lettres, sans qu'une fois ou l'autre il se produise quelque erreur, quelque petit accident ? Ainsi ne peut-il arriver qu'en un instant de distraction la main du compositeur se trompe de compartiment, et qu'il prenne une lettre pour une autre? Ne peut-il se faire aussi que, dans le cassetin destiné à une lettre, il se soit mêlé, par accident, quelques lettres d'une autre espèce? Quelquefois la lettre prise dans la casse a été mal placée sur le composteur, ou bien le compositeur a mal lu un mot de sa copie ; erreur souvent bien pardonnable ! Vous seriez peut-être tentés de croire que les auteurs, les hommes qui font leur métier d'écrire, sont naturellement ceux qui écrivent le mieux... Eh bien, pas du tout ! Au contraire. J'en sais, des auteurs, et des meilleurs, des plus célèbres, dont les manuscrits sont griffonnés d'une abominable manière, biffés, raturés... Le pauvre compositeur se débrouille comme il peut ; quand il ne peut pas lire, il devine... et parfois il devine tout de travers ! - Quoi qu'il en soit, les pages composées contiennent toujours des fautes, plus ou moins ; ces fautes, il faut les corriger : et, tout d'abord, il faut les découvrir, n'est-ce pas ? - Pour cela on imprime les paquets composés, mais sans grande précaution, et d'une manière toute provisoire. L'ouvrier prend un certain nombre de ces paquets liés, huit par exemple ; il les porte à une presse.
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