Poésie | Page d'accueil. Home page | Adhésion

Les quatrains des Sieurs de Pybrac, Favre
,...
1735
Les plaisirs de la vie rustique
Extrait d'un plus long Poëme, composé par le Seigneur de Pybrac.


 

Je te saluë aussi jardin, le seul plaisir
De mon Pere & Seigneur, lors qu'il prit le loisir
Sur la fin de ses ans de cultiver les plantes,
Et peupler les vergers de mille sortes d'entes,
Comme jadis faisoit ce Dictateur Romain,
Qui d'honneur assouvi labouroit de sa main
Le champ de peu d'arpens, & en maison petite
Refusoit libéral, les trésors du Samnite.
O bienheureux celui, qui loin des Courtisans,
Et des Palais dorez pleins de soucis cuisans,
Sous quelque pauvre toict délivré de l'envie,
Jouit des doux plaisirs de la rustique vie :
La trompette au matin ne l'éveille en sursaut,
Pour hardi des premiers se trouver à l'assaut,
Ou guindé sur le mat d'un Vaisseau n'importune,
Par priéres & voeux le courroucé Neptune.
Il ne recherche point la faveur des grands Rois,
Ni les premiers honneurs aux joûtes & tournois,
Les couronnes de paix richement étoffées,
Ni les chars enrichis de superbes trophées ;
Ou l'immortel Laurier qu'à Pise l'on donnoit
Aux enfans d'Apollon, quand on les couronnoit :
Se contente de peu, cultive l'héritage,
Qui sans fraude est échu pour son juste partage.
Les bornes de son champ ne voudroit avancer,
Ni prendre sur autrui sans le recompenser :
Simple & droit en son coeur deteste la malice,
Et sans avoir procès honore la Justice :
Hors de crainte & danger, au long des clairs ruisseaux
Essaye de sa main les touffus arbrisseaux :
Dresse dans son verger les petites allées
Méne paître ses boeufs sur le soir aux vallées.
Au matin les conduit sur ses tertes bossus,
Et au plus chaud du jour dans les antres moussus ;
Pour sentinelle il n'a qu'un chien qui toujours gronde,
Et au tour du troupeau nuit & jour fait la ronde ;
Quelquesfois se haussant, d'un long bras étendu
Va cüeillir le certeau, ou bien le capendu :
La noix sur le chemin par son ayeul plantée,
Ou la grosse griotte en écusson entée.
Tantôt aussi couché au pied des saules verds,
Sur leur écorce tendre écrit deux ou trois vers,
De ceux que Lioncer avec sa chalemie
Entonnoit doucement pour Lyse son amie ;
Lyse dont la beauté entre les filles luit,
Comme la Lune au plein sur les feux de la nuit :
Lyse l'honneur des champs, qui les Nymphes surpasse,
Des Muses la dixiéme, & la quatriéme grace.
Ou de ceux que Perrot d'un stile douloureux
Composa lors qu'il fut de Toinon amoureux.
Toinon qui dédaignoit les Vers & leur cadence,
Et n'aimoit que les dons & l'or en abondance :
Bref en l'homme des champs on ne sauroit choisir
Un jour, heure ou moment sans honnête plaisir :
Car les plaisirs passez toûjours nouveaux retournent,
Selon que les saisons dans leur cercle se tournent.
Muse, tu le sais bien ; di-moi donc la raison
Des plaisirs qu'il reçoit en chacune saison :
Que le Taureau du Ciel le beau Printems découvre,
Et le sein de la terre avec ses cornes ouvre.
Pour découvrir des fleurs l'escadron émaillé,
Et que dedans les eaux le poisson écaillé,
Commence de frayer : & la jument d'Espagne
Sous un étrange Hymen de Zephir s'accompagne.
Et conçoit de ce vent le cheval qui retient
La vitesse en courant, du pere d'où il vient ;
Alors l'homme des champs (car l'herbe est déjà née)
Juge peu près, peu moins, qu'elle fera l'année :
Car le verd brun du bled, qui d'un éclat obscur,
Brille dedans les yeux, lui donne un espoir sûr,
Que de gerbe & de grain il comblera ses granges,
Et du bourgeon naissant fait état des vendanges.
Les Rossignols tandis dégoisent leurs fredons ;
Les Agnelets bêlants foulent à petits bonts
L'herbette dans les prez : la genisse lamente
Du Taureau dédaigneux l'amour qui la tourmente
Fuit les pastis aimez, n'a cure de manger,
Aux épineux hailliers seule se va ranger :
S'écarte du troupeau, des prez & des faulsées,
Et mugit aux plus creux des profondes vallées.
Portant le trait au flanc du Taureau indompté,
Qui plus se voit requis, moins a de volonté :
Mais, quel plaisir de voir ses mouches ménagères,
Appaiser promptement leurs coléres legéres
Par le son d'un bassin, quand deux Rois ennemis
En bataille se sont avec leurs troupes mis ;
Pour partager les fleurs du prochain héritage,
Ou venger des frélons & des guêpes l'outrage.
Las ! petits animaux en vous chacun peut voir,
des Rois & des Sujets le naturel devoir ;
Votre police aussi quand bien on la contemple
Au légitime Roi sert de moule & d'exemple ;
Jadis le Mantuan d'un stile doucereux,
Sur le Mince chanta de votre état heureux
Les Edits & les Loix, la Force, la Justice,
De la cité & du miel l'ordinaire exercice.
Et tout ce que l'on peut en votre état vanter,
Je ne suis si hardi après lui vous chanter.
Il faudroit que le miel, qui des ruches distile
D'Himette comme à lui, eût adouci mon stile ;
Ce don est reservé à Ronsard Vendômois,
Qui peut quand il lui plaît, égaler de sa voix
Les accords plus hautains de Virgile & d'Homère,
Et les frédons mignards qu'à Thebes on révére.
Sans donques plus avant du propos m'égarer,
Je dis que lors qu'on voit les champs se bigarer,
De boutons & de fleurs, alors l'homme champêtre
Reçoit mille plaisirs : soit qu'il regarde paître
Ses vaches & ses boeufs, & le troupeau menu :
Ou qu'il aille nombrer quand le soir est venu
Les agnelets au parc, pour en savoir le compte,
Et du beurre vendu, & à quoi le lait monte.
Ou soit qu'au point du jour d'un bouton nouvelet
De quelque franc rosier il fasse un chapelet
Aux Faunes citoyens de la forêt voisine,
Ou à la terre mere, honorant sa gesine :
Mais en l'autre saison que le champ verdissant
A de l'or emprunté le beau teint jaunissant,
Et que proche de nous le Soleil nous regarde,
Et par l'oeil du Lion ses chauds rayons nous darde.
Alors sur le matin, quand il entend passer
Les voisins qui s'en vont la javelle amasser
Dedans le champ coupé, au lit point ne s'amuse :
Mais d'un saut se levant sa paresse il accuse,
Eveille Marion, qui ronflant reposoit,
Et voudroit bien encor dormir si elle osoit :
Il la hâte d'aller, elle enfin prend courage,
Et d'un desir égal se met à son ouvrage,
Se coiffe promptement, ne songe à separer,
Ni par art les laideurs de son corps réparer :
L'arsenic calciné, le Tale & la Ceruse,
Et ce dont l'Espagnol en ses pomades use,
Que les Dames d'ici ont si bien retenu,
Pour déguiser leur teint, & leur poil tout chenu,
Est par elle ignoré, & ne voudroit pas être
Que telle qu'il a plû à Dieu la faire naître.
Frisotter ses cheveux en mille tortillons,
De son front labouré applanir les sillons,
Rehausser ses tetons, & ses mains tavellées,
Les faire devenir blanches & potelées,
Ne se soucie pas ni de bien deviser,
Ni de lire Amadis, ou de Petrarquiser,
Des humides baisers ne sait les mignardises,
Ni des Amans transis les ruses & faintises.
Au point du jour s'en va dans son jardin cueillir,
Des choux, ou des porreaux pour les mettre bouillir ;
Après dans son mortier un peu de saffran broye,
Et tire du charnir un petit morceau d'oye,
Jette tout dans le pot qu'elle met sur le feu :
Du vent de son poulmon allumant peu à peu,
Les buchettes qu'elle a aux taillis amassées,
Et pour mieux les porter, en faisseaux entassées.
Mais avant que vouloir couper de son couteau,
Le pain déja rassis, ou le tendre tourteau,
Joignant ses noires mains à deux genoux se jette,
Fait sa priére à Dieu, qui point ne la rejette :
Car du pauvre affligé la clameur il entend,
Lui donne ce qu'il faut, & mieux qu'il ne prétend,
D'un espoir assuré humblement lui demande
Non pas que son mari devenu Roi commande.
Au More basané, au Perse, & au Celon,
Au Cantabre indompté, ou au Scyche felon,
Et que Monarque seul presse sous sa couronne,
Tout ce que l'Ocean de ses bras environne :
Mais bien que sa bonté daigne en toute saison,
En douce paix tenir sa petite maison :
Qu'il lui plaise écarter hors de la fantaisie,
D'elle & de son mari la folle jalousie :
Que leurs enfans communs les tavernes hanter,
Ne veüillent, ni jamais les truans fréquenter !
Que la fille qui ja prête à mari se montre,
Avec un petit dot par heureuse rencontre,
En honnête maison ils la puissent loger,
Chez quelque Laboureur, ou chez un bon Berger :
Que l'usurier méchant, qui en fourbe est insigne,
Et convoite des yeux le clauseau de leur vigne,
En ses papiers journeaux ne les puisse accrocher :
Ni de leur pauvre toict le gendarme accrocher,
Ou le soldat larron, qui pille & qui saccage,
Jusques au moindre outil servant au labourage,
Et ose bien souvent en plein jour s'éforcer
De meurtrir le mari pour la femme forcer ;
Ayant ainsi prié de deux mains elle coupe,
Des tranches de pain bis, pour en faire la souppe,
Y mêlant quelque peu de fromage moisi,
Qu'entre plusieurs elle a dans la paille choisi,
Propre pour au broüet donner saveur & pointe,
Et pour renouveller la soif déja éteinte ;
Puis prend le pot en main, le rince de claire eau,
Par un degré tremblant descend en son caveau,
D'un mui presque failli, qui à peine degoute,
Enfin son petit pot elle emplit goute à goute.
Hâtive s'en reva là haut, où sur un ais,
De ce sombre dîner dresse l'unique mets,
Le charge sur sa tête & courant d'allegresse,
Va trouver son mari que la faim déjà presse :
Car depuis le matin qu'à l'oeuvre il s'est rangé,
Sans cesse travaillant, il n'a bû ni mangé ;
Tous deux au coin du champ se couchent dessus l'herbe,
Et pour table & buffet n'ont qu'un faisseaux de gerbe.
Là mangent gayement leur potage & leur chair :
Et boivent à l'envi sans rien se reprocher,
Le Mercure broyé, & la froide Ciguë,
Ni l'Aconite noir, qui plus promptement tuë,
Ni les goutes de l'eau de ce Lac bitumeux,
Ni le sang distillé, d'un Taureau écumeux,
Ni le present que fit Dianite à Hercule,
Ni le Veratre pris dessus la Canicule,
Ni ce sang cailloté, qu'on prend dessus le front
Du poulain frais naissant, dont les marâtres font,
Les Philtres veneneux, pour attacher la rage,
Des amoureux bouillons en un chaste courage,
Et comme Canidie ? & Medée, & leur art,
Et tout ce qu'a depuis inventé le Lombart.
Et du fin Calabrois l'avarice & l'envie,
Pour abreger les jours trop courts de notre vie,
N'a jamais de ceux-ci le courage essayé
Et mangeant & bûvant l'un ou l'autre éfrayé ;
Car bien que desireux ils soient tous deux de vivre,
Ils ne voudroient pourtant l'un à l'autre survivre,
Ayant donc ainsi pris ensemble leur repas,
La femme s'en retourne au logis pas à pas,
Et laisse le mari, qui courbé tête nuë,
Affublé seulement du Ciel & de la nuë,
Le faucile en sa main ne cesse de couper,
Le bled jusques à tant qu'il faille aller souper ;
Phoebus est lors couché, & déja de toutes parts,
Effrayent les moutons au milieu de leurs parcs,
Les mâtins courageux abboyans leurs répondent,
Et grondans les troupeaux entre eux-mêmes grondent.
On n'y voit du tout rien, car le Ciel étoilé,
D'un orage épaissi de tous côtez voilé,
De ses menus flambeaux la lumière refuse,
Et près de son ami qui dort, Phoebé s'amuse ;
Il n'importe à Colin, car sans se fourvoyer,
Il iroit à clos yeux jusques dans son foyer ;
Du champ à l'heure il part, ses outils il emporte,
Et trouve Marion qui l'attend sur la porte,
Se mettent à souper d'un appetit pareil,
Mais après le repas, pour tromper le sommeil,
Contant le tems heureux de leur chaste hymenée,
Ou devisans des grains qu'ils auront cette année,
Ou des seps se courbans au poids de leurs raisins,
Sans détracter jamais de l'honneur des voisins :
Le mari plus lassé le premier se dépouille,
Elle chiche du tems, met au flanc sa quenouille.
Et remouillant ses doigts acheve son fuseau,
Ou dévide au rouet un entier écheveau :
Puis apres sans nul bruit, près son mari se couche,
Dérobant doucement un baiser de sa bouche :
Le reste par honneur je ne veux publier ;
Mais je ne puis aussi bonnement oublier,
A dire que la nuit leurs amoureuses flames,
Egalent bien souvent les faveurs des grand'Dames.
Si leurs lits étoffez ne sont si richement,
Pour le moins on n'y gronde, on n'y jure, on n'y ment,
Si elles n'ont l'attrait de tant de mignardises,
Leurs coeurs aussi ne sont plains de tant de faintises;
Si de muse parfumé ou d'ambre n'est leur sein,
Pour le moins on se peut assurer qu'il est sain,
Et qu'au sortir de là on ne prend médecine,
Et le brûvage fait de gaiac, ou d'esquine.
On dit que chasteté en tous lieux habitoit,
Et les villes & bourgs sans nul choix fréquentoit,
Jadis aux jours premiers de la saison dorée,
Quand la terre de soi sans être labourée,
Plantureuse donnoit en tout tems aux humains,
Toutes sortes de fleurs, & de fruits, & de grains,
Les pins sur les hauts monts pendoient par la racine,
Et s'aprochant du Ciel dédaignoient la marine.
Les Loups, & les Lyons, & les Tygres legers,
Compagnons des moutons caressoient les Bergers,
Aussi l'homme n'avoit alors son ame atteinte.
De vice & de peché, de douleur & de crainte ?
L'homicide métail encore non fouillé,
Mais dès lors que Saturne, au hazard de sa vie,
De la Créte fuyant aborda l'Italie,
Et là se tint caché pour la rage éviter,
De l'aîné de ses fils qu'on nommoit Jupiter :
Alors l'impiété, la fraude & la malice,
Et tout ce que l'on peut nommer du nom de vice,
Coula furtivement en l'esprit des mortels,
Et dès lors aux Dieux on dressa des Autels :
La chasteté quitant alors cette contrée,
S'envoloit dans le Ciel avec la Vierge Astrée.
Sans le deuil éploré & les soûpirs tranchans,
Des hommes qui pour lors habitoient dans les champs,
Avec eux s'arrêta : & encore à cette heure,
Hors des grandes Citez fait aux champs sa demeure :
Mais sa femme & Colin pourroient bien sommeiller
Un peu trop longuement, il les faut éveiller :
Courage levez-vous, chacun de vous s'aprête ;
Vous oubliez qu'il est aujourd'hui votre fête,
Que vous avez prié à dîner vos amis,
Qui pour n'y manquer pas en chemin se sont mis,
Marion s'éveillant du lit premiére faute,
Le Soleil déja haut s'apperçoit de sa faute ;
Toutesfois elle espére en peu d'heure avancer,
Si bien que son mari n'aura de quoi tancer :
Met deux buches au feu, le feu soudain s'allume,
Son oison égorgé à l'instant elle plume.
Le trempe dans l'eau chaude, & du bout d'un couteau
Arrache le duvet qui tient contre la peau :
Lui croise les deux pieds, & puis soudain l'éventre,
Et d'un sarc bien menu lui fait un autre ventre :
Tandis en gromelant le cochon de lait court
Après sa mére truye aux partis de la court :
Elle le prend, le pelle & puis l'embroche,
Et le fait compagnon de l'oison à la broche.
De ces meurtres sanglans le chapon éfrayé,
Se sauver sur le toict en vain s'est assayé,
Car Colin d'un bâton lui donne sur la tête,
Il tombe mort du coup, & soudain on l'appréte :
Ne voilà pas de quoi ses amis fétoyer,
Sans qu'il faille au marché de la ville envoyer ?
Le dîner étoit prêt, la nappe déja mise,
Quand Colin tout à coup bien sage se ravise,
Qu'il ne faut point passer quelqu'affaire qui presse,
Le matin d'un tel jour sans avoir ouï la Messe :
Pour donques n'y manquer, va tirer vîtement
Du coin de son étable un cheval, ou jument,
Le bride, & fait servir son paletot de housse,
Monte leger dessus, & prend sa femme en croupe,
Le cheval talonné commence à galoper,
Sans faire un seul faux pas, & sans jamais choper.
Toutesfois Marion fait semblant de le craindre,
Pour embrasser Colin & plus ferme l'étraindre,
A bon heure arrivez chacun d'eux se départ,
Le mari d'un côté, la femme en autre part,
Ils oyent attentifs ce qu'au Prône l'on mande,
Et chacun à son tour va porter son offrande,
Aux Mystères de Foi captivant leur raison,
En toute humilité font à Dieu l'oraison,
Que lui-même a daigné par son Fils nous apprendre
Pour nos nécessitez en peu de mots comprendre.
Le service achevé, s'en revont vîtement
D'où ils étoient partis montez comme devant ;
Des amis conviez la bande étant venuë,
Fait du petit logis cependant la revûë,
Mesure à pas comptez le verger écarté,
Et s'étonne de voir encore bigarré
De fleurs le jardinet, vû l'ardeur violente,
Et du celeste Ciel la flamme étincelante :
Mais Colin du parvis s'écriant dit ainsi,
Mes amis vous soyez les bien venus ici,
Il me déplaît par trop vous avoir fait attendre,
Notre Curé est long, il s'en faut à lui prendre ;
Joint qu'il a bien voulu ce jourd'hui faire voir,
Que s'il vouloit prêcher il en a le savoir.
C'est Messire René, qu'à grand tort l'on soupçonne
De ce que vous savez, il est bonne personne :
Or sus encor un coup, vous soyez bien venus,
Et Marion & moi vous sommes trop tenus,
D'avoir daigné venir un mauvais dîner prendre
En ce pauvre cazot, & encore l'attendre.
Lavons & nous seons, le cochon se morfond,
Ne faisons entre nous comme nos femmes sont,
Qui permettent souvent la nuit qu'on les convie
De ce dont elles ont en leur coeur bonne envie ;
Voilà comme Colin ses hôtes entretenoit
Et la place & le rang a chacun d'eux donnoit,
A la peau du cochon la brigade s'empogne,
Et déjà dépouillé il fait piteuse trogne.
Quand Colin qui ne peut de causer se tenir,
Je voudrois mes amis (dit-il) me souvenir,
Du moyen que l'autre hier on contoit par merveilles
Pour faire revenir aux cochons les oreilles,
Et la peau quand ils sont du tout mis en pourpoint,
Croyez que maintenant vous n'en chomeriez point :
Mais attendant que j'aye échauffé ma mémoire,
Je m'en vai de bon coeur vous défier à boire.
Quoi ! il semble déjà que le coeur vous défaut,
Quand vous voyez Colin qui hardi vous assaut ?
Le dîner se passa à causer & à rire,
Hormis que sur la fin Michaut se prit à dire ;
Michaut qui de bien loin l'avenir connoissoit,
Et tout ce dont le Ciel la France menaçoit :
Michaut l'oracle vrai de toute la contrée,
Qui des malheurs du tems ayant son ame outrée,
Par un profond soûpir entama ce propos :
Ne verrons-nous jamais ce païs en repos ?
Mes amis, ce dit il, hélas ! qu'est devenuë
De nos premiers ayeuls la prudence connuë ;
Faut-il que nous soyons encores en danger
De voir nos champs couverts du soldat étranger ?
Douze ans y a & plus, que par notre folie
Nous sommes le jouet d'Espagne & d'Italie.
Et le butin certain du Reistre empistolé,
Qui non encore saoul des biens qu'il a volé,
A peine en sa maison les chariots il décharge,
Va Colin provigner tes vignes maintenant,
Pour malgré toi servir d'enyvrer l'Allemant :
Sois soigneux du troupeau & du travail champêtre
Tes moutons & guerets changeront bien de maître :
Car Dieu est contre nous justement irrité,
Et pis que nous n'aurons, nous avons mérité.
Ainsi disoit Michaut d'une voix élancée,
Découvrant le secret de sa triste pensée,
Lors proche de sa fin : car peu de jours après,
Laissant à ses amis les pleurs & les regrets,
Et un mortel éfroi de cinquièmes orages,
Profondement gravé en l'esprit des plus sages,
S'envola dans le Ciel, où maintenant heureux,
A son gré se repaît de l'objet amoureux,
De ce Pere benin, qui l'ame rassasie,
Et est son vrai Nectar, & sa seule ambroisie.
Ces vers je composois au lieu de ma naissance,
Plein d'honnête loisir, lors que Henri de France,
Fils & frére de Roi, & l'honneur des Valois,
De cent canons battoit les murs des Rochelois,
Et j'eusse poursuivi les biens du labourage ;
Mais la mort de mon fils m'en ôta le courage :
Et troubla tellement de douleur mon esprit,
Que je laisse imparfait pour jamais cet écrit.

© Textes Rares