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Paul Dupont, Les Didot, 1853

Après la famille des Estienne, celle dont l'imprimerie française peut s'honorer le plus est sans contredit la famille des Didot, à laquelle on doit la plupart des perfectionnements obtenus, en ces derniers temps, dans les procédés de la typographie.

François Didot, né en 1699, le premier imprimeur de cette famille, était fils de Denis Didot, marchand de Paris. Apprenti d'André Pralard, il fut reçu libraire en 1713. La communauté des libraires le nomma syndic adjoint en 1735, et syndic en 1753. C'est seulement en 1754 qu'il fut reçu imprimeur. François Didot, homme instruit, aimé et estimé de tous ses collègues, se fit connaître par plusieurs importantes entreprises, entre autres par l'édition, en 20 volumes in-4°, de l'Histoire des Voyages de l'abbé Prévost, dont il était l'ami, et dont il publia tous les ouvrages.
L'abbé Bernis, sortant du séminaire, fut quelque temps employé chez lui comme correcteur, et y avait son logement. Son enseigne était à la Bible d'Or, quai des Augustins.

François-Ambroise Didot, son fils, né à Paris, en 1730 , fut le premier qui donna aux caractères des proportions exactes et invariables, en inventant le système des points typographiques. On lui doit, en outre, l'invention de la presse à un seul coup, et l'introduction en France de la fabrication du papier vélin. Ses belles éditions dites du comte d’Artois, du Dauphin , et celle dite de Monsieur, jouissent encore d'une juste célébrité pour leur exécution et leur correction. Les types employés à ces éditions, beaucoup plus élégants que tous ceux qui existaient alors, avaient été gravés par son fils, Firmin Didot. François-Ambroise Didot avait été reçu imprimeur en 1753, et nommé imprimeur du clergé en 1788. Il est mort en 1801.
Benjamin Franklin voulut visiter son imprimerie, et lui confia son petit-fils, auquel Firmin Didot enseigna la gravure et la fonte des caractères.

Pierre-François Didot, son frère, né à Paris, en 1732, fut reçu libraire en 1753, et, en 1761, nommé imprimeur de Monsieur (depuis Louis XVIII). Il est créateur de la papeterie d'Essonne. Ses éditions les plus remarquables sont : l'Imitation de Jésus-Christ, in-folio, 1780 ; le Télémaque, in-4° ; le Tableau de l'empire ottoman, in-folio. Il est mort en 1795. Deux de ses fils, Henri Didot et Didot Saint-Léger se distinguèrent, le premier comme graveur en caractères et comme inventeur de la fonderie polyamatype ; le second, par l'invention du papier sans fin. Une de ses filles épousa Bernardin de Saint-Pierre. Son troisième fils, Didot jeune, hérita de son imprimerie. Le plus bel ouvrage sorti de ses presses est une édition in-4° du Voyage du jeune Anacharsis. Édouard Didot, fils de Didot Saint-Léger, est auteur d'une traduction estimée des Vies des poëtes anglais, par le docteur Johnson.

Pierre Didot, lié à Paris, en 1761, fils allié de François-Ambroise, lui succéda, en 1789, comme imprimeur, et fit paraître de magnifiques éditions, entre autres le Virgile et l'Horace, in-folio , 1798 et 1799 ; les Voyages de Denon, l’Iconographie grecque et romaine de Visconti, et, surtout , le Racine de 1801, que le jury d'exposition de 1806 proclama la plus parfaite production typographique de tous les pays et de toits les âges (1). Ainsi, ce monument élevé à la gloire de Racine, et pour lequel M. Pierre Didot fit les plus grands sacrifices d'argent, en s'imposant des privations de toutes sortes, est, à tous égards, supérieur à celui que des capitalistes anglais ont élevé, avec des dépenses considérables , à la gloire de Shakspeare.
En 1798, ainsi que nous l'avons déjà remarqué quelque part, il présenta à l'exposition des produits de l'industrie sa grande édition de Virgile, dont les caractères avaient été gravés et fondus par son frère Firmin Didot ; tous deux se trouvérent au nombre des douze exposants qui reçurent la médaille d'or. Pour honorer l'imprimerie en sa personne, le gouvernement fit placer ses presses au Louvre, où elles restèrent sous le consulat et jusqu'au commencement de l'empire. C'est là que furent imprimées les magnifiques éditions dites du Louvre.
Il est auteur d'une Épître sur les progrès de l'imprimerie (1784), où on lit ces vers, qui témoignent (les nobles sentiments de l'auteur en faveur de sa profession
Ah ! puissé-je à mon tour étendre les progrès
D'un art qui de mon père exerça la constance
Et qui sut me charmer dès ma plus tendre enfance
L'auteur dit modestement dans une note : "Il faut attribuer à une espèce d'enthousiasme et non à un motif d'amour-propre ce souhait que, sans témérité, je ne pourrais espérer d'accomplir." Et, après avoir énuméré les connaissances que doit posséder un bon imprimeur, il ajoute : "Je sens combien ces connaissances sont au-dessus de mon âge et de mon expérience, puisque je vois mon père travailler encore tous les jours à les acquérir."
M. Pierre Didot est également auteur de traductions, en vers français, du IVe livre des Géorgiques, du Ier livre des Odes d'Horace, et de diverses poésies réunies en un volume, sous le titre de Specimen des nouveaux caractères de la fonderie et de l'imprimerie de Pierre Didot l'aîné, 1819, in-8°. Son fils, Jules Didot, qui lui a succédé, a publié, entre autres belles éditions, la Collection des Poëtes grecs, in-32 , revue par M. Boissonade ; les Classiques français, éditions compactes en un volume ; une charmante édition de Don Quichotte, in-32.
Il s'est retiré du commerce en 1841.

Firmin Didot, né à Paris, en 1764, second fils de François-Ambroise Didot, s'est fait un nom célèbre comme littérateur, comme imprimeur, comme graveur et fondeur en caractères , et comme fabricant de papier. En 1789, il succéda à son père pour la fonderie, qu'il avait enrichie de types élégants.
Il inventa, en 1795, un procédé de stéréotypage, qu'il appliqua aux Tables de logarithmes de Callet. À l'exposition des produits de l'industrie de 1798, il présenta des éditions stéréotypes exécutées par son nouveau procédé.
Il fut nommé imprimeur de l'Institut de France le 16 octobre 1811, et imprimeur du roi le 1er avril 1814 ; il obtint seul, et ensuite avec ses fils , six fois la médaille d'or aux expositions de l'industrie.
Il a exécuté de très-beaux caractères d'écriture sans interruption dans le délié, caractères qu'on avait vainement tenté de graver en Angleterre, et qui permirent de répandre en France , à bon marché, d'excellents modèles d'écriture pour les enfants (2). Les caractères qui ont servi à l'impression du Racine in-folio, publié par son frère, avaient été gravés et fondus par lui.
Les plus beaux ouvrages sortis de ses presses, sont nue Henriade, in-4° ; un Camoëns , en portugais, in-4° ; un Salluste , in-folio. Il a, en outre, publié, en société avec ses fils : les Ruines de Pompeï, par Marois ; les Antiquités de la Nubie, par Gau ; le Panthéon égyptien, de Champollion ; les Tournois du roi René, de M. Champollion-Figeac ; les Contes du Gai savoir et l'Historial du jongleur, imprimés en caractères gothiques, avec vignettes et fleurons, comme, les éditions du quinzième siècle.
Les hommes les plus distingués se plaisaient à visiter son établissement, où toutes les branches de la typographie se trouvaient réunies. L'empereur Alexandre y vint en 1814, et lui confia deux jeunes Russes pour les instruire dans l'art typographique.
Plusieurs imprimeurs de Paris et des départements se sont formés à son école en faisant leur apprentissage dans ses ateliers. C'est pour nous un titre d'honneur , auquel nous attachons le plus grand prix, d'avoir été du nombre de ses élèves. Plusieurs imprimeurs de l'étranger ont sollicité la même faveur, et ont été admis chez lui avec la même bienveillance.
Firmin Didot céda à ses fils, en 1827, son immense maison de commerce, où se trouvaient réunies une fonderie en caractères, une fabrique de papiers, une imprimerie et une librairie. Envoyé la même année à la chambre des députés par les électeurs du département de l'Eure, il y siégea parmi les membres de l'opposition modérée , fut, en 1830, au nombre des 221, et défendit, en plusieurs occasions, les intérêts de la liberté de la presse. Il est mort en 1836. Ami de Delille, et poëte distingué lui-même, il avait écrit plusieurs ouvrages remarquables, entre autres, deux tragédies, dont l'une, la Reine de Portugal, a été plusieurs fois représentée ; des traductions en vers français des Bucoliques de Virgile, des Chants (le Tyrtée, les Idylles de Théocrite, et une intéressante Notice sur les Estienne.
Il dédia la traduction des Bucoliques (le Virgile, soit premier ouvrage littéraire, à soit frère Pierre Didot. "Puissent nos enfants, lui disait-il, par leur goût pour l'étude, et par une érudition aussi solide que profonde, marcher sur les traces des anciens, imprimeurs de Paris ! Puissent-ils un jour, et c'est là le but de tous mes voeux et le dernier degré de mon ambition, rappeler celui qui est incontestablement à la tête des imprimeurs de tous les pays et de tous les âges, le fameux Henri Estienne !"

M. Ambroise-Firmin Didot, qui, avec son frère Hyacinthe, dirige maintenant la maison Firmin Didot, est né à Paris, en 1790. Élève de Coray, il fût attaché, en 1816, à l'ambassade de France à Constantinople, parcourut la Grèce et l'Asie Mineure, et, pour se perfectionner clans la connaissance de la langue grecque, il séjourna quelque temps au collége de Cydonie. Sous le titre modeste de Notes d'un Voyage fait dans le Levant, il a publié, en 1831, le récit intéressant de ses longues courses dans les lieux célèbres de l'antiquité. On lui doit, en outre, une bonne traduction de Thucidyde, en 4 volumes in-8°.
On trouve dans des fragments de lettres, insérées à la suite de cet ouvrage, l'explication des motifs qui l'ont porté à abandonner la carrière diplomatique pour se vouer exclusivement à l'imprimerie.
"Non, jamais, lui disait son père dans une de ces lettres, jamais tu ne renonceras à la typographie, puisque c'est à elle que notre famille doit une considération qu'il te faut non-seulement maintenir, mais accroître, en n'oubliant jamais que la considération attachée à un art diminue dès l'instant qu'il ne fait plus de progrès. Je vois avec plaisir que tu désires, à ton retour, t'occuper de la gravure des caractères orientaux. Nous n'examinerons pas si ce travail doit nous être avantageux sous le rapport du commerce ; il suffit sans doute qu'il puisse te faire honneur sous le rapport de l'art, et contribuer à augmenter ton goût pour l'étude des langues savantes.
Les principaux imprimeurs ont tous trouvé du temps à consacrer à l'étude. En effet , l'étude des sciences fait une grande partie du mérite de l'imprimeur. Comment , sans instruction , peut-il prétendre à donner des éditions correctes? Comment pourra-t-il avertir les auteurs dont il mérite la confiance, ou de quelques négligences, ou de quelques erreurs qui leur seraient échappées ? N'est-ce pas même là une partie de ses devoirs ?
Il faut cependant qu'un imprimeur se préserve d'un danger qui n'a que trop de charmes. S'il est utile et même indispensable pour lui de consacrer du temps à l'étude, il ne faudrait pas qu'il se permit d'en donner trop à la composition, et, moi-même, j'avoue que je nie suis trop laissé séduire au doux chant des Syrènes. J'ai, dans ma jeunesse , introduit les Muses jusque dans les forges de Vulcain; et, s'il faut même le dire, la médaille d'or que m'a accordée le jury des arts pour mes travaux typographiques, m'a peut-être moins flatté que la mention honorable qui m'a été accordée par l'Institut, pour une traduction en vers des Pastorales de Virgile et de Théocrite.
Toi-même, tu te souviendras lui jour que, lorsque tu travaillais auprès de ton père, les écrits d'Homère, de Sophocle, de Théocrite, de Virgile, d'Horace, disputaient la place à nos burins et à nos travaux commencés ; tu te rappelleras, non sans quelque douloureux souvenir, qu'en répétant les vers divins d'Homère, soit dans le morceau de Priam aux pieds d'Achille, soit dans les adieux d'Hector et d'Andromaque, ou de Sophocle, dans ceux d'Ajax à son jeune fils, ou de Virgile, dans la mort de sa Didon , des larmes d'attendrissement tombaient quelquefois sur ces types, qui, depuis, nous ont fait quelque honneur."
M. Didot a travaillé, avec son père, à la gravure des types de l'écriture cursive ou anglaise, dont nous avons parlé précédemment, et en a surveillé la fonte.
Il fut le premier qui, en 1823, proposa une souscription en faveur des Grecs, et contribua puissamment à l'organisation du comité grec de Paris, dont il fut nommé secrétaire.
C'était à la famille Didot, qui, au dix-huitième et au dix-neuvième siècle, occupe si dignement la place tenue au seizième siècle, dans la typographie française, par la famille des Estienne, qu'il appartenait de compléter l'oeuvre immense commencée par le membre le plus célèbre de cette dernière maison. MM. Ambroise-Firmin et Hyacinthe Didot n'ont point failli à cette mission, et c'est faire un digne éloge de leur édition du Thesaurus graecae linguae, et de leur magnifique collection des Classiques grecs, avec traductions latines, que de dire que Henri Estienne n'aurait pas mieux fait s'il eût vécu de nos jours.


(1) M. Brunet le savant bibliographe, ainsi dans son Manuel du libraire : "Cette édition,le livre le plus magnifique que la typographie ait encore produit."
(2) Le gouvernement a fait l'acquisition, en 1831, des frappes d'écritures anglaises et rondes de Firmin Didot. Ces chefs-d'oeuvre de gravure, qui sont restés pendant trente années la propriété exclusive de leur auteur, et qui sont encore ce qu'on a fait de plus parfait, quant au système de gravure et de fonte, devaient naturellement trouver place dans le trésor typique de l'imprimerie de l'État.
 

 

 

 

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