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Paul Dupont, La composition, 1853

Vous pouvez lire également le texte de C. Delon sur le livre qui donne un descriptif plus complet et plus pédagogique.

La main-d'oeuvre de l'imprimerie en lettres, ou typographie, consiste en deux opérations principales : savoir, la composition ou l'assemblage des caractères, et l'impression ou l'empreinte des caractères sur le papier. On appelle, dans l'imprimerie, compositeur ou ouvrier de la casse celui qui travaille à l'assemblage des caractères. On appelle imprimeur ou ouvrier de la presse celui qui travaille à l'impression ou à l'empreinte des caractères sur le papier par le moyen de la presse.
La composition, depuis l'époque où la lettre a cessé d'être fabriquée en bois, n'a fait aucun progrès. On compose aujourd'hui comme l'on composait il y a plusieurs siècles (voir ci-dessus, à gauche, un compositeur au XIXe siècle ; à droite, un atelier au XVIe siècle) ; disons même que l'on compose moins bien. En effet, sur dix ouvriers compositeurs, il est difficile d'on trouver un bon. Cela provient de la facilité avec laquelle sont reçus les apprentis, depuis qu'il n'existe plus de chambre syndicale [sic].

La coquille
De là aussi les nombreuses fautes qui se trouvent dans nos livres modernes et dont les ouvrages anciens étaient exempts, grâce aux soins multipliés qu'on apportait à leur confection. Dans le nombre des fautes qui peuvent être faites en composant, la plus commune consiste à mettre une lettre à la place d'une autre, ce qui s'appelle coquille, et produit quelquefois des quiproquo assez spirituels. On a cité souvent l'un des plus beaux vers de Malherbe, comme le résultat d'une erreur de ce genre. Le Poète, dit-on, avait écrit :

Et Rosette a vécu ce, que vivent les roses,
L'espace d'un matin.

Mais le compositeur, prenant les deux "t" pour deux "l", composa :

Et Rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.

Pour prouver que le hasard produit souvent des combinaisons sinon aussi heureuses, du moins fort singulières, un compositeur a énuméré, dans les vers suivants, quelques-unes des espiègleries de la coquille.

Toi qu'à bon droit je qualifie
Fléau de la typographie,

Pour flétrir tes nombreux méfaits,
Ou pour mieux dire tes forfaits.
Il faudrait un trop gros volume
Et qu'un Despréaux tint la plume
S'agit il d'un homme de bien
Vu m'en fais un homme de rien
Fait-il quelque action insigne,
Ta malice la rend indigne,
Et, par toi, sa capacité
Se transforme en rapacité
Ce qui, soit dit par parenthèse,
Dénature un peu trop la thèse....
Un cirque a de nombreux gradins,
Et tu le peuples de gredins;
Parle-t-on d'un pouvoir unique,
Tu m'en fais un pouvoir inique
Dont toutes les prescriptions
Deviennent des proscriptions...
Certain oncle hésitait à faire,
Un sien neveu son légataire,
Mais il est enfin décidé...
Décidé devient décé .....
A ce prompt trésor, pour sa gloire,
Ce neveu hésite de croire,
Et même il est fier d'hésiter
Mais tu le fais fier.... d'hériter
A ce quiproquo qui l'outrage,
C'est vainement que son visage
S'empreint d'une vive douleur;
Je dis par toi: vive couleur ;
Plus, son émotion visible
Devient émotion risible;
Et s'il allait s'évanouir,
Tu le ferais s'épanouir ....
Te voilà, coquille effrontée;
Ton allure dévergondée
Ne respecte raison ni sens.
Mais de m'arrêter il est temps;
Pour compléter la litanie
(Car ce serait chose intime)
Chaque lecteur ajoutera
D'innombrables et coetera.

A l'exception des gens de lettres et des hommes du métier, il est bien peu de personnes qui aient nue juste idée du mécanisme de l'imprimerie. Nous croyons donc utile et intéressant à la fois d'entrer ici dans quelques détails techniques sur la composition typographique, qui consiste dans, l'arrangement des caractères mobiles, de manière à en former des mots, des phrases, des lignes, et enfin des pages et des volumes.

Composition
Voici comment l'ouvrier compositeur procède à cet arrangement. On sait que les caractères d'imprimerie sont mobiles et représentent séparément toutes les lettres de l'alphabet, ainsi que les signes de ponctuation, chiffres, etc.
Ils sont placés méthodiquement dans une double boite nommée casse et divisée en un nombre suffisant de compartiments ou cassetins. On appelle haut de casse la partie de la boite qui contient les grandes majuscules (grandes capitales), les petites majuscules (petites capitales), quelques lettres accentuées et signes de ponctuation dont l'usage est le moins fréquent.
Le bas de casse contient les minuscules ou bas de casse, les chiffres, les signes de ponctuation qui se représentent le plus souvent, et les blancs, c'est-à-dire des morceaux de plomb, plus ou moins épais, appelés espaces ou cadrats, moins élevés que le caractère, et destinés à séparer les mots ou à remplir les bouts de lignes, lorsque le texte n'est pas suffisant pour cela.
Chaque casse se met sur une espèce de pupitre ou rang,
près d'une fenêtre, de manière que l'ouvrier qui y travaille reçoive le jour de gauche.
L'ouvrier ou compositeur travaille debout devant sa casse, il tient de la main gauche un outil en fer nommé composteur, qui, au moyen d'une partie mobile, permet de donner à celle qui doit recevoir les caractères, les dimensions convenables, qu'on appelle justification.


Tout en suivant du regard la copie placée devant lui, le compositeur saisit rapidement par la tête (l'oeil) les lettres indiquées et les met dans le composteur, en ayant soin de placer toujours du même côté les entailles ou crans dont le corps de chaque lettre est marqué. Quand la ligne est à peu près remplie, il augmente on diminue les blancs qui se trouvent entre chaque mot, afin que les lettres, pressées les unes par les autres, se trouvent maintenues dans le composteur, sans ballotter. L'ouvrier peut faire ainsi plusieurs lignes les unes après les autres.
Lorsque le compositeur a rempli son composteur, il en met le contenu sur une galée, espèce de planche à rebords, placée obliquement sur la partie, droite du haut de casse ; il renouvelle cette opération jusqu'à ce qu'il ait terminé un paquet, c'est-à-dire un nombre de lignes déterminé, qu'il lie au moyen d'une ficelle, pour en recommencer un autre.
Lorsqu'un nombre de lignes ou de paquets suffisant pour faire une feuille est composé, un compositeur, nommé metteur en pages, et qui ordinairement a plusieurs compositeurs ou paquetiers sous ses ordres, reprend ces paquets, y met les folios, dispose les titres, et, au moyen d'une mesure nommée réglette, leur donne à tous une longueur uniforme pour en faire des pages, dont le nombre à la feuille varie suivant le format. On appelle in-folio le format qui contient 4 pages à la feuille, in-8° celui qui en contient 16, in-12 celui qui en contient 24, in-18, celui qui en contient 36, etc.
La mise en pages de la feuille étant terminée, le metteur en pages dispose les pages sur un marbre dans un ordre tel que la feuille de papier pliée, après impression, devra reproduire les pages dans leur ordre numérique.
On place alors en tête et sur les côtés de ces pages des blancs calculés d'après le format et la dimension du papier sur lequel on doit imprimer : ces blancs se nomment garnitures.
Ensuite, on prend deux cadres en fer, appelés châssis ; on les place de manière que chacun d'eux circonscrive la moitié de la feuille, qu'on appelle forme; on met entre les pages et le châssis des bois taillés en biseau, et, pour cette raison, nommés biseaux; puis on assujettit le tout avec des coins en bois serrés convenablement pour permettre d'enlever les châssis avec les pages, et de les porter sur une presse, où l'on fait alors une épreuve qu'on soumet au correcteur ; puis on conserve la forme dans un lieu convenable de l'atelier.
Quand le correcteur a lu et corrigé l'épreuve, on remet la forme sur le marbre ; on la desserre pour exécuter les corrections indiquées, et l'on fait une nouvelle épreuve. Ces opérations se répètent autant de fois qu'il est nécessaire, et ce n'est qu'après avoir été corrigée sur le bon à tirer, c'est-à-dire sur ta dernière épreuve, que la feuille se tire définitivement au nombre d'exemplaires convenu.
On comprendra facilement que ces milliers de morceaux de plomb doivent être assemblés avec une grande précision; car si les lignes étaient on trop longues ou trop faibles, il y aurait des parties qui ne seraient pas serrées également, et, en enlevant la forme, on pourrait en laisser une bonne partie sur le marbre.
Quant aux tableaux, et autres ouvrages à difficultés, la composition des mots et des lignes s'en fait comme la composition ordinaire. La difficulté d'exécution qui exige toute l'intelligence dit compositeur, et beaucoup d'adresse dans la main, réside dans l'appréciation de la largeur à donner aux diverses colonnes, dans l'effet que leur combinaison pourra produire, et dans la précision avec laquelle seront coupés les filets, dont les points de jonction doivent, pour ainsi dire, être imperceptibles. Là, plus que dans la composition ordinaire, tout doit être compassé, et rigoureusement juste ; car autrement, lorsqu'on aurait serré, une partie du tableau pourrait rester sur le marbre, en l'enlevant, ou les bouts de filets s'écraseraient les uns les autres, par suite d'un serrage forcé.


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