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Annales poétiques ou almanach des muses..., 1779

Jean Le Blanc

SUR LE BLANC

Dites moi, Bergere cruelle,
Pourquoi vous n'aimez point le Blanc,
Puisque blanche est votre mamelle,
Blanc votre teint, & votre flanc ?

Blanc est le dez, blanche est l'aiguille,
Blanc est le fil dont vous cousez;
Blanc ce lin que votre main file,
Et l'eau de quoi vous l'arrousez.

Blanches font les perles des larmes
Qui roulent sur votre tetin,
Quand Amour avec ses allarmes
Vous réveille avant le matin.

Blanche est la crême, la jonchée
Le sucre & la manne du Ciel ;
Et la cire vierge nichée
Dedans les ruchettes à miel.

Blanche est la couche de l'Aurore ;
De Thiton, blancs sont les cheveux
Le jour est blanc, Phébus encor
Diane, & tous les autres feux.

Nos lys sont blancs, blanche est la rose,
La camomille, & le muguet ;
Blanche la fleur de vigne esclose
Et blanc des Vierges le bouquet.

Blanche est la perle que l'Aurore
Enfante au lit oriental ;
Les diamans font blancs encore
Le nacre blanc & le cristal.

Aux festins & les jours de fête,
Nos Peres de blanc le paroient:
Blanc fut l'accoutrement de tête
Dont les Flamines s'honoroient.


Blanc est l'oeuf qui ça bas desserre
Sa largesse en mille façons :
Il peuple d'animaux la terre ;
L'air d'oiseaux, la mer de poissons.


L'air est blanc, & l'onde agitée ;
Blanches les voiles des vaisseaux ;
Leucothé blanche, & Galathée ;
Les Cygnes blancs, & les ruisseaux


De blanc, les heureuses journées
Furent peintes antiquement ;
Les Vierges, de blanc sont ornées
Au jour de leur enterrement,


Les Gaulois ont pris l'origine
De leur nom, du blanc feulement;
Blanche est la voûte cristalline;
Blanche une voie au firmament.

Le blanc je porte en ma livrée:
Le Prince l'a dans son armet
Quand une place est délivrée,
On plante le blanc au sommet.

Vive donc le Blanc, ma cruelle,
Et meure votre cruauté !
Aimez son coeur blanc (2) & fidelle,
Comme il aime votre beauté.

(1) Quoique le sujet de cette piece soit un jeu de mots sur le nom du Poëte qui s'appelloit Le Blanc, nous n'avons pas cru devoir la rejeter.
(2) Blanc, candide.

BAISER.

QUAND parfois je regarde & touche
Ce double corail précieux,
Mon oeil porte envie à ma bouche,
Et ma bouche envie à mes yeux.


Jaloux Corrivaux pleins d'envie,
Mes feus émus font en discord :
Si l'un quelque proie a ravie
L'autre la veut avoir encor.

Le baiser le regard menace;
Le regard tance le baiser :
Di, Cupidon, comment sera ce
Que tu les pourras appaiser ?

Si j'advise une belle bouche,
Ma levre la veut aborder :
Et cependant que je la touche,
Je la veux encor regarder.

Amour, qui vois la peine extrême
De mes deux sens contentieux,
Fais que je puisse à l'instant même
Voir la bouche, & baiser les yeux.


BAISER.

Le Baiser, enfant de Cypris,
Est du coeur la douce pasture,
La douce manne des esprits,
Et le soutien de la nature.
Ne vois tu pas comme les eaux
Baisent le bord de leurs ruisseaux ;
Comme les gentilles fleurettes
Baisent les tendres herbelettes
Comme les Pigeons amoureux.,
Bec à bec se baisent entr'eux;
Comme les feuilles courtisées,
Du vent font encore baisées ?

Quel sucre est plus doux que le miel,
Qui fort des langues baiseresses ?
Les amoureux font dans le Ciel,
Puisqu'ils embrassent les Déesses.
Non, mon coeur n'est point envieux
Du nectar que boivent les Dieux,
Pourvu qu'à mon aise j'allente
Sur toi ma flamme violente :
Mais entends je pas quelquefois
L'envieuse Echo par ce bois,
Qui, tandis que ma bouche imprime
Un seul baiser, mille en exprime ?

Recommençons les doux combats
Des amoureuses mignardises ;
Relevons nos coeurs chus à bas ;
Encourageons nos couardises.
Si bienbeureuse, & bienheurant,
Tu vas sur ma lèvre inspirant
La douce pluie Hymettienne
Qui s'alambique de la tienne ;
Je veux d'autre part, mon souci,
M'enlasser à ton col, ainsi
Que le branchage du lierre
Autour de l'orme qu'il enserre.

Autant qu'il y a de sablons
Sur la greve Neptunienne ;
Autant qu'il y a d'épics blonds
Sur la terre Cérésienne,
Autant que le Ciel lumineux
A de Planettes rayonneux ;
Autant qu'il y a de fleurages
Par les humides pâturages ;
Autant que la terre produit
D'herbes, de feuilles & de fruit
Si tu yeux que mon feu s'appaise
Autant faut-il que je te baise.

 

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