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Poètes du XVIe siècle


Hugues Salel
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HUGUES SALEL, abbé commandataire de l'abbaye de Saint-Cheron, à Chartres, naquit à Cazals en Quercy, vers l'an 1504 ; il fut valet de chambre de François Ier et l'un des grands maîtres d'hôtel de ce prince. Olivier de Magny lui donne encore, dans une de ses épîtres, le titre de conseiller et aumônier de la reine. Après la mort de François Ier, Hugues Salel se retira en 1547, à son abbaye de Saint-Cheron, où il mourut en 1553, dans la cinquantième année de son âge. Son plus important ouvrage est la traduction des douze premiers livres de l'Iliade d'Homère.

CUPIDO TOURMENTÉ PAR VÉNUS.
IMITATION D'AUSONE.

Aux champs de deuil, où la force sacrée
A Cupido, pleine de myrthes verds,
Les clairs esprits des amoureux récrée,
Comme Virgile a chanté par ses vers,
Près d'un ruisseau coulant tout à travers,
Se promenoient les dames amoureuses,
Qui autrefois ont, par moyens divers,
Senti d'amour les flammes vigoureuses.

Jettant soupirs dessus le verd rivage,
Cueilloient bouquets de diverses couleurs,
Qui leur donnoient plus ample témoignage
Combien on souffre en amour de douleurs,
Leur faisant voir, hélas, changés en fleurs
Les plus beaux corps de tout ce mortel monde !
Or cet aspect mettant leurs yeux en pleurs,
Fait qu'en regrets, hélas ! leur coeur abonde.

Premièrement, la blanche Semellé
Se complaignoit d'avoir été déçue,
Montrant son corps du tonnerre bruslé,
Par jalousie encontre elle conçue ;
Car quand Juno eut l'amour apperçu.

Que Jupiter portoit à la très-belle,
La suborna, et par fraude tissu
Subitement lui causa mort cruelle.

Puis, Cénéis, Nymphe de Thessalie,
Du dieu marin si très-bien guerdonnée,
Que de femelle élégante et jolie,
A sa requeste, en masle fut tournée,
Faisant regrets, maudissant la journée
Que Cupido de son dard la blessa,
Car se voyoit en femme retournée,
Bien que fust masle au temps que trépassa.

Héro portoit en sa main le brandon
Que Léander, disoit son pole arctique,
Lorsqu'il mettoit sa vie à l'abandon
Pour traverser la nier hélespontique.
Trop fut le vent et contraire et inique
Qui l'amortit ; car la dame ennuyée,
Voyant l'ami mort, comme frénétique
Chut en la mer, où elle fut noyée.

Les piteux vers que Sapho récitoit
Pour amollir un coeur de diamant y
Montroient assez l'amour qu'elle portoit
Envers Phaon, le déloyal amant :
Toujours étoit son Phaon réclamant,
Bruslant d'ardeur plus que démesurée,
Avec maintien dont on l'alloit blasmant,
Non d'amoureuse, ains de désespérée.

Encore étoit chose plus pitoyable,
Voir le maintien des trois dames de Crete,
L'une souffrant d'amour assez louable,
Les autres deux d'amour très-indiscrète,
Ariadné incessamment regrette
Son Théséus, Phédra son Hyppolite,
Et Pasiphé sans se tenir secrete,
Suit pas à pas son grand taureau d'élite.

Or, de vengeance un désir furieux
Vint à la troupe ainsi déconsolée ;
Et il advint que droit, en mesmes lieux,
Le dieu d'amour prit alors sa volée ;
Tost fut connu de toute l'assemblée,
Au beau carquois, au brandon, et aux aisles,
Et ne sent tant se cacher à l'emblée,
Qu'il ne fust pris des gentes damoiselles.

Ce petit dieu étoit lors ressemblant,
Un malfaiteur par justice attrapé,
Pasle en couleur, et en maintien tremblant,
Qui bien voudroit estre loin échappé.
Je ne sçaurois dire s'il fut frappé
En lui ostant l'arc et trousse garnie ;
Mais il fut bien soudain enveloppé,
Et amené parmi la compagnie.

Les bras liés sur le dos, d'une corde,
L'ont aussitost en un myrthe pendu:
Il crie, il pleure, et veut miséricorde,
Mais on est sourd ; il n'est point entendu:
Du tout chargé, et de rien défendu,
Les condamnants sont juges et partie ;
Chacune veut du crime prétendu
Toute la coulpe estre en lui convertie.

Divers propos, pour ses fautes juger,
Furent ouverts parmi cette assistance ;
Chacune veut de mesme se venger,
Comme elle est morte, et baille sa sentence :
L'une un licol, l'autre une épée avance
L'autre le veut faire choir d'un rocher ;
Qui lui prépare un feu pour récompense,
Et qui le veut faire en mer trébucher.

Une fut là non pas moins dépiteuse,
Mais quelque peu à pitié plus encline,
Ayant horreur de peine si honteuse,
Qui conseilla que, d'une tendre épine,
On le piquast sur sa blanche poitrine,
Pour en tirer, sans trop grieve contrainte,
Un peu de sang, et de liqueur divine,
Dont nous voyons ainsi la rose teinte.

Pendant ceci, pour le trouble augmenter,
Et rengréger de plus en plus la peine,
Dame Vénus se vint là présenter,
Très indignée, et de grand courroux pleine
Son doux regard, sa face plus qu'humaine,
Étoit alors d'elle bien estrangée,
En désirant, par colere soudaine,
Estre du fils cruellement vengée.

O faux garçon 1 ô géniture ingrate !
O cruauté sous beau semblant cachée !
Que gagnes-tu de ton feu qui tout gaste,
Me rendre ainsi dépiteuse et faschée ?
Par ton moyen, m'est souvent reprochée
La douce nuit que Vulcain le boiteux,
Entre les bras de Mars me vit couchée,
Dont lui et moi sommes encor honteux.

Ainsi disoit la dame de beauté,
Lui reprochant des maux à grand foison,
Une malice, une déloyauté,
Une inconstance, un trouble de raison,
Un miel confit en amere poison,
Un assurer hors de toute apparence,
La liberté plus dure que prison,
Un foible espoir plein de désespérance.

Et non contente, après ces grands outrages,
Pour le punir de tous ces démérites,
Fait amasser de ces roses sauvages
Un grand bouquet par l'une des Charites,
Entremeslant millets et marguerites,
Avec lequel le tourmente et le fesse
Sur bras, sur corps, sur ses jambes petites:
Il crie, il pleure, et sa faute confesse.

Tant le battit, que sa chair précieuse,
Près du tetin, fut un peu entamée,
Dont en sortit liqueur délicieuse,
Un sang divin, une humeur embaumée,
Qui rendit lors couleur plus consommée
Aux francs millets et aux roses vermeilles:
La marguerite en est plus renommée,
Et n'ont ces fleurs, au monde, leurs pareilles.

La cruauté, la mortelle menace,
Et la fureur à vengeance inclinée,
Soudainement abandonnent la place ;
Miséricorde et pitié l'ont gagnée ;
La peine semble aux dames éloignée
De l'équité, et passer le péché ;
Et eussent lors volontiers condamnée
Vénus la mere, et le fils relasché.

A jointes mains, et les larmes aux yeux,
Vont requérant pour Cupido la grace,
Comme innocent, et aiment beaucoup mieux
S'en accuser, pour couvrir sa fallace :
Adonc Vénus, montrant joyeuse face,
Lui fait pardon, le délie, et le baise,
Lui rend son arc, son carquois, et l'embrasse.
Or devinez si Cupido fut aise.

O noble sexe ! ô vertu féminine !
Pouvant choisir maints exemples divers,
J'ai entrepris de montrer, par mes vers,
Comme pitié en vos esprits domine.
Je n'ai point lu grecque histoire ou latine,
Faisant récit de pitié plus extresme,
Qu'est pardonner un malfaiteur insigne,
Et, pour défendre autrui, blasmer soi-mesme.

 

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