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Poètes du XVIe siècle


Laborderie
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On ne sait rien du seigneur de Laborderie, né en 1507, si ce n'est qu'il fit l'Amie de cour, en même temps à peu près qu'Heroet fit sa Parfaite amie. Ce petit poëme est plein de détails ingénieux.


FRAGMENT DE L'AMIE DE COUR.
SI UNE FEMME PEUT RECEVOIR DES PRESENTS.
Si quelqu'un vient ici pour me reprendre,
Que je ne puis honnestement rien prendre,
Disant que femme, en présent recevant,
Au sien donneur se donne ou bien se vend,
Je lui réponds que telle loi fut faite
Par quelque sotte amoureuse imparfaite
Qui n'entendoit où gist le fondement
De vertueux et sage entendement :
Mais je veux bien que l'on sçache ce point,

Que le désir d'estre si bien en point
Ne me sçauroit cette loy ordonner,
Qu'en prenant d'eux, je leur doive donner ;
J'entends du bien dont je dois estre avare,
Qui tant en moy est excellent et rare,
Que si donné je l'avois, ou vend a,
Il ne me peut jamais estre rendu.
Or cessent donc de me calomnier
Les médisants, qui ne peuvent nier
Que la vertu, s'ils la sçavent comprendre,
N'est offensée à donner ni à prendre.
O grands resveurs ! ils ne commissent pas
Que la vertu me conduit pas à pas,
Qui est ma vieille et ma jeune compagne,
Qui, en tous lieux, en tout temps, m'accompagne,
Et que l'honneur, toujours devant nies yeux,
Va le premier, et me guide trop mieux
Au droit chemin de bien honneste vie,
Que si j'étois de cent vieilles suivie.
Mais pensent-ils que les gardes soigneuses,
Les preschements des vieilles ennuyeuses,
Les grosses tours, les menaces infâmes,
Puissent garder la volonté des femmes?
La femme doit par sa seule nature
Estre gardée, et non par prison dure.
Enfermez-la quelque part que voudrez,
Il est bien vrai que le corps vous tiendrez ;
Mais son esprit en liberté vivra,
Et malgré vous son naturel suivra,
Lequel, s'il tend à chasteté louable,
La liberté le rend Plus immuable ;
Ni plus ni moins qu'un cheval, par nature,
Fort à tenir, mal aisé d'embouchure,
Quand on lui tient la bride trop sujette,
Plus veut courir, plus se lance et se jette ;
Et ne sçauriez de lui mieux vous aider,
Qu'en liberté à plein mors le guider.

AUTRE FRAGMENT DE L'AMI DE COUR.
Toujours vertu me sçaura faire aller
Partout sans crainte, et franchement parler.
Il y en a qui font tant les sucrées,
Qui contrefont des vestales sacrées,
Tant qu'à parler à peine ouvrent la bouche ;
Et si quelqu'un du petit doigt les touche,
Vous jugerez, à voir leur mine étrange,
Qu'on a touché quelque précieux ange.
Mais au dehors femmes si difficiles,
Par le dedans je les crois plus faciles.
Je ne suis point difficile en devis ;
A toutes gens je leur dis mon avis ;
Et s'il me vient un bon mot pour en rire,
Je le dirai, quoi qu'on en doive dire ;
Car n'étant point de mes serviteurs serve,
L'autorité sur eux je me réserve,
Et ne sçaurois plus grand heur demander,
Qu'estre obéie, et toujours commander.
Tandis que l'un m'appellera cruelle,
L'autre dira que je suis la plus belle
Dans tout le monde, et qu'en moi l'on peut voir
Combien nature a de grace et pouvoir.
L'un de l'oeil pleure, alors que le coeur rit ;
L'autre est malade, et soudain se guérit.
Mais en oyant leurs plaintes et clameurs,
Aucunes fois de rire je me meurs.
Je m'ébahis de tant de faux esprits,
Se complaignant d'amour estre surpris,
De tant de voix piteuses et dolentes,
Qui plaintes font des peines violentes
Qu'un Dieu d'aimer, comme ils disent, leur cause.
Je ne sçaurois bien entendre la cause
De cette peine, encore moins sçavoir
Quel est en eux de ce dieu le pouvoir ;
Quel est son arc, qui fait si grandes bresches,
Ni de quel bois peuvent être ses fleches.
Je crois le tout n'estre que poésie,
Ou, à mieux dire, humaine frénésie.
Or donc, ce mal qu'on trouve tant amer,
Le nomme dieu qui le voudra nommer.
J'appellerai telle divinité
Plutost folie ou infélicité
Pour tous ceux-là qui s'en laissent saisir,
Et pour moi seule agréable plaisir ;
Pour moi, qui sçais comme il la faut conduire,
Et son tourment en liesse réduire,
Qui me sens forte, instruite et bien apprise
A prendre autrui et n'estre jamais prise.
Jeunes et vieux, petits, grands et menus,
En mon endroit sont tous les bien venus.
J'aime de l'un une grace bien bonne,
Douce, agréable, et qui point ne s'étonne ;
De l'autre j'aime une langue mectable,
Un parler prompt, fécond et délectable:
Beauté me plaist où qu'elle soit choisie ;
Là, la douceur ; ici, la courtoisie:
Chacun, de moi, en effet est loué,
Selon qu'il est par nature doué ;
Jusques aux sots, leur sottise m'agrée,
Et avec eux, par fois, je me récrée.
Si c'est amour que d'aimer tout cela,
J'en aime plus de mille çà et là:
Mais le plaisir d'aimer ainsi finit
A mon oreille, à l'oeil et à l'esprit.
Sachant d'ailleurs que le temps est mobile,
Faveur muable, et jeunesse débile,
Et que beauté ne peut toujours durer,
Contre
et mal je songe à massurer:
Mon assurance est le seul mariage,
Qui est le but où toute femme sage
Doit, pour son bien, de bonne heure viser.
C'est un grand mai un fascheux épouser,
Comme j'ai dit, filles, auparavant,
Et grand plaisir d'avoir mari sçavant,
Honneste, sage, et plein de bonne grace
Mais s'il falloit qu'un sot de bonne race,
Riche de biens, et pauvre de sçavoir,
Me demandast et me voulust avoir,
D'avis semis que plutost on le prist,
Qu'un plus sçavant, qui n'a rien que l'esprit.
Qu'autre femme aille, au riche préférant
L'honneste ami, qui va son pain quérant ;
Et puis après, il faut vivre d'amours,
Ou bien apprendre à passer les longs jours
En peine extresme et langoureuse vie.
D'un tel malheur, je den ai point d'envie ;
Car, étant là, plus froide je serois
Que n'est Vénus sans Bacchus et Cérès.
Quant à mari, je résous donc ce point,
De l'avoir riche, ou de n'en avoir point.

 

 

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