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Poètes du XVIe siècle


François Habert
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Il reste beaucoup d'ouvrages de ce poëte, né à Issoudun en Berry, et qui vécut en qualité de secrétaire, auprès de plusieurs prélats. Le duc de Nevers l'ayant présenté à la cour, François Ier l'accueillit avec bonté, et Henri II, plus tard, l'appela son poëte. Ce qu'il a fait de mieux est un recueil de fables, dont quelques-unes ont été refaites par La Fontaine.


LE COQ ET LE RENARD**.
Le renard, par bois errant,
Va quérant,
Pour sa dent, tendre pasture,
Et si loin en la fin va,
Qu'il trouva
Le coq par mésaventure,

Le coq, de grand peur qu'il a,
S'envola.
Sur une ente haute et belle,
Disant que maistre renard
N'a pas l'art
De monter dessus icelle.


Le renard, qui l'entendit,
Lui a dit,
Pour mieux couvrir sa fallace
" Dieu te garde, ami très-cher !
Te chercher
Suis venu en cette place,


Pour te raconter un cas
Dont tu n'as
Encore la connoissance;
C'est que tous les animaux,
Laids et beaux,
Ont fait entre eux alliance,


"Toute guerre cessera;
Ne sera
Plus entr'eux fraude maligne ;
Sûrement pourra aller
Et parler
Avec moi la geline.

De bestes un million
Le lion
Mene jà par la campagne ;
La brebis avec le loup,
A ce coup,
Sans nul danger s'accompagne,

Tu pourris voir ici bas
Grands ébats
Démener chacune beste:
Descendre donc il te faut
De Là-haut,
pour solemniser la feste."

Or fut le coq bien subtil
" J'ai, dit-il,
Grande joi' d'une paix telle,
Et je te remerci' bien
Du grand bien
D'une si bonne nouvelle."

Cela dit, vient commencer
A hausser son col et sa creste rouge,
Et son regard il épard
Mainte part,
Sans que de son lieu se bouge.

Puis dit : "J'entends par les bois
Les abbois
De trois chiens qui cherchent proie;
Ho ! compère, je les voi
Près de toi ;
Va avec eux par la voie. "

- "Oh, non ; car ceux-ci n'ont pas
Sçu le cas
Tout ainsi comme il se passe,
Dit le renard : je m'en vas
Tout là bas,
De peur que n'aye la chasse."

Ainsi fut, par un plus fin,
Mise à fin

Du subtil renard la ruse.
Qui ne vent estre déçu
A son sçu,
D'un tel engin faut qu'il use.

** Voyez La Fontaine, livre II, fable 15.

LE LION, LE LOUP ET L'ASNE**
Le fier lion, cheminant par la voie,
Trouva un loup et un asne basté,
Devant lesquels tout court s'est arresté,
En leur disant : "Jupiter vous convoie !

Le loup, voyant cette beste royale
Si près de soi, la salue humblement
Autant en fait l'asne semblablement,
Pour lui montrer subjection. loyale.

"O mes amis ! maintenant il est heure,
Dit le lion, d'oster les grands péchés,
Desquels nos coeurs se trouvent empêchés.
Il est besoin que chacun les siens pleure.

"Et pour avoir, de la majesté haute
Du dieu des cieux, pleine rémission,
Besoin sera qu'en grand' contrition
Chacun de nous confessé ici sa faute. "

Ce conseil fut de si grand' véhémence
Qu'il fut soudain des autres approuvé,
Dont le lion fort joyeux s'est trouvé,
Et ses péchés à confesser commence :

Disant qu'il a, par bois, montagne et plaine,
Tant nuit que jour, causé, las ! divers maux,
Et dévoré grand nombre d'animaux,
Boeufs et chevreaux, et brebis portant laine ;

Dont humblement pardon à Dieu demande,
En protestant de plus n'y retourner.
Ce fait, le loup le vient arraisonner,
Lui remontrant que l'offense n'est grande.

"Comment, dit-il, seigneur plein d'excellence,
Puisque tu es sur toutes bestes roi,
Eh ! qui pourra te donner quelque loi,
Lorsque sur nous tu as toute puissance ?

"Il est loisible à un prince de faire
Ce qu'il lui plait, sans contradiction:
Partant, seigneur, je suis d'opinion
Que tu ne peux, en ce faisant, mal faire."

Ces mots finis, le loup, fin de nature,
Vint réciter les maux par lui commis :
Premiérement, comme il a à mort mis
Plusieurs passants pour en avoir pasture.

Puis, que souvent, trouvant en lieu champêtre
Moutons camus, de nuit, en clos et parcs,
Il a bergier et les troupeaux épars,
Pour les ravir, afin de s'en repaistre.

Enfin, qu'il a, en suivant sa coutume,
Fait plusieurs maux aux juments et chevaux,
Les dévorant et par monts et par vaux
Dont il en sent en son coeur amertume.

Sur ce, répond, en faisant bonne mine,
Le fin lion : "Ceci n'est pas grand cas;
Ta coutume est d'ainsi fair', n'est-ce pas ?
Puis à cela t'a contraint la famine."

Lors dit à l'asne: "Or, conte-nous ta vie,
Et garde bien d'en omettre un seul point
Car si tu faux, je ne te faudrai point :
Tant de punir les menteurs j'ai envie."

L'asne craignant de recevoir nuisance,
Répond ainsi: "Mauvais sont mes forfaits,
Mais non si grands que ceux-là qu'avez faits ;
Et toutes fois j'en reçois déplaisance.

" Quelque temps fust que j'étois en servage
Sous un marchand qui bien se nourrissoit,
Et au rebours pauvrement me pansoit,
Combien qu'il eust de moi grand avantage.

" Le jour advint d'une certaine foire,
Où, bien monté sur mon dos, il alla;
Mais arrivé, à jeun me laissa-là,
Et s'en va. droit à la taverne boire.

" Marri j'en fus, car celui qui travaille
Par juste droit doit avoir à manger.
Or, je trouvai, pour le compte abréger,
Ses deux souliers remplis de bonne paille.

"Je la mangeai sans rien dire à mon maistre,
Et ce faisant, l'offençai grandement ;
Dont je requiers pardon très-humblement,
N'espérant plus telle faute commettre."

- " O quel forfait! ô la fausse pratique !
Ce dit le loup fin et malicieux ;
Au monde n'est rien plus pernicieux
Que le brigand, ou larron domestique.

" Comment! la paille au soulier demeurée,
De son seigneur, manger à belles dents!
Et si le pied eust été la-dedans,
La tendre chair eust été dévorée !"

- "Pour abréger, dit le lion à l'heure,
C'est un larron : on le voit par effet.
Or je crois juste, et j'ordonne de fait,
Suivant nos loix anciennes, qu'il meure."

Plutost ne fust la sentence jettée,
Que maistre loup le pauvre asne étrangla ;

Puis, de sa chair chacun d'eux se soula :

Voilà comme elle fut exécutée.

Par quoi appert que des grands on tient compte ;
Qu'en faisant mal, ils sont favorisés ;
Mais les petits, sans cesse méprisés,

N'ont pour loyer que la peine et la honte.

** Voyez La Fontaine, livre VII, fable I.

 

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