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Poètes du XVIe siècle


Etienne Dolet
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Étienne Dolet est mort sur la place Maubert brûlé comme hérétique, le 3 août 1546 ; il n'avoit alors que 37 ans. Il étoit d'une bonne famille d'Orléans ; élevé à Paris, il avoit passé quelque temps à Padoue pour se perfectionner dans l'éloquence, à Toulouse pour étudier le droit, et il étoit devenu imprimeur à Lyon. Ses opinions théologiques et la tournure satirique de son esprit l'avoient fait mettre plusieurs fois eu prison, et ses deux principaux écrits, intitulés, le premier et le deuxième Enfer, ont en pour objet sa défense. On a aussi de lui, sur la langue latine, des ouvrages qui sont encore fort estimés.

AU TRÈS CHRESTIEN ET TRÈS PUISSANT ROI FRANCOYS, ESTIENNE DOLET, TRES HUMBLE SALUT ET OBEISSANCE DEUX,
Mes ennemys non contents et saoullés
(Roy très chrestien, seul support des foullés)
De m'avoir jà tourmenté quinze moys,
Se sont remys à leurs premiers abboys,
Pour me remettre en ma peine premiere,
Si ta doulceur, et bonté singuliere
Ne rompt le coup de leur caulte entreprise,
Que je te veulx declairer sans faintise,
Affin que juge en ma cause tu sois,
Et puisses veoir si en rien te deçois.
Ces malheureux ennemys de vertu
Crevant de dueil qu'ayt esté rabbatu
Leur grand effort, par lequel ils cuydoient
(Comment cuyder ?) mais par lequel tendoient
Me mettre à mort oultrageuse et villaine,
Mieulx que devant ont reprins leur haleine
Pour m'opprimer à la fin laschement.
Cela conclu, sire, voicy comment
Ils ont bien sceu trouver moyen subtils,
Et mettre aux champs instruments et oultils,
Pour donner umbre à leur faict cauteleux,
Et m'enroller au renc des scandaleux,
Des pertinax, obstinés et mauldicts,
Qui vont semant des livres interdicts,
Suyvant ce but, ils font dresser deux balles
De mesme marcque, et en grandeur esgalles,
Et les envoyent à Paris par charroy.
Prends garde icy, Francoys, vertueux roy,
Car c'est le point qui te faira entendre
Trop clairement l'abuz de mon esclandre.
Ces deulx fardeaulx furent remplis de livres
Les uns maulvais, et les aultres de livres
De ce blazon que l'on nomme heretique :
Le tout conduict par grand ruze et praticque.
Et ce fuit faict, affin de myeulx trouver
L'occasion de te dire et prouver
Que c'estoit moy qui les balles susdictes
Avois remply de choses interdictes.
Les livres doncq de mon impression
Estoient dans l'une, ô bonne invention !
Et l'aultre balle, et c'est dont on me greve,
Remplie estoit des livres de Genesve ;
Et à l'entour ou bien à chasque coing
Estoit escript, pour le veoir de plus loing,
DOLET, en lettre assez grosse et lysable.
Qu'en dictes vous, prince à touts equitable ?
Cela me semble un peu lourd et grossier,
Et fasse bien un tour de patissier,
Non pas de gents qui taschent de surprendre
Les innocents, pour les brusler ou pendre.
Je le demande icy en demandant,
Pour me defendre en mon droict defendant,
Eussé-je bien esté si estourdy,
Si les fardaulx, qu'or eu droit je te dy,
J'eusse envoyés à Paris ce grand lien,
Que n'eusse sceu trop mieulx jouer mon jeu,
Que de marcquer au dessus mon surnom
En grosse lettre ? A mon advis, que non.
Trop fin je suys, et trop on me tient,
Pour mon nom mettre en cela qui contient
Quelque reproche. Et pas ne le feroit,
Qui de cerveau une bonne once auroit.
Et d'advantage, il est assez notoire,
Comme d'un cas de recente memoire
Que je ne fais que de prison saillir.
Vouldrois-je doncq ou mesprendre ou faillir
Si tres soubdain ? Vouldrois-je retourner
A faire cas qui me feist enfourner
Pour mon meffaict, dedans la tour carée ;
Ou en une aultre encores mieulx barrée ?
Si un levrier a este eschauldé,
Ou à grands coups de baston pelaudé,
En faisant mal, il crainct bien de meffaire,
Pour ne tomber après en telle affaire.
Et en cela n'y a rien que nature
Qui le corrige, et lui fasse ouverture
De ressentir que du mal vient le mal.
Et moy qui suys raisonnable animal,
N'ay-je pas bien en moy la cognoissance
D'eviter mal, pour entrer en souffrance ?
Aimé-je tant des prisons la langueur,
Où nul esprit ne demeure en vigueur ?
Aimé-je tant tomber entre les mains
De ces mastins concierges inhumains ?
Aimé-je tant, hélas ! user ma vie
Comme une beste à touts maulx asservie ?
Aimé-je tant à l'appetit d'un rien
Si follement ruiner tout mon bien ?
Ce sont abuz, on un asne mordroit.
Or debattons leur indice et mon droict.
Que disent-ils ? c'est Dolet, pour certain,
Qui a transmis à Paris ce butin ;
Car il y a de ses livres grand nombre.
Est-ce là tout ? n'avez-vous point d'aultre timbre
Pour colorer vostre maligne entente ?
Respondez-moy, n'ay-je oncques mys en vente
Des livres telz qu'à ce coup seulement ?
Cela est faulx ; car j'ay publicquement,
Depuis six ans, faict trein de librairie,
Mettant dehors de mon imprimerie
Livres nouveaux, livres vielz et antiques ;
Et pour les vendre, ay suivy les trafficques
D'un vray marchant, en vendant à chascun,
Tant que souvent ne m'en demeuroit un ;
Qui garde doncq que quelque aultre marchand,
Faisant ce trein et son proffict cherchant,
Ou bien plus tost quelque envyeux malin,
Voulant sur moy desgorger son venin,
N'ayt peu dresser ces deulx balles icy,
Dont sans raison on me mect en soucy ?
Et qui plus est, la lettre de voicture
Faict-elle foy que c'est mon escripture ?
Je sçay que non. Qui est doncques la cause
Qui cest esclandre et ce trouble me cause ?
Je n'en sçay point, et point n'en ai commise,
Sinon que c'est malheur, qui à sa guise
Me va vexant, et m'a jà vexé tant,
Que de mes maulx debvroit estre content.
Pour ces fardeaulx les seigneurs de Paris,
Fort courroucés contre moy, et marrys,
Sans aultre esgard despeschent une lettre
Pour en prison soubdain me faire mettre
Ce qui fut faict ; et en prison fus mys.
O quel plaisir eurent mes ennemys !
Autant pour vray que j'eus de desplaisir
Quand on me vint au corps ainsi saisir ;
Car à cela allors point ne pensoys,
Et de crier le Roy boyt m'avançoys .
Brief, je fus prins et en prison serré,
Non toutesfoys aultrement resserré.
Je voys, je viens çà et là tout pensif
Ronflant de dueil, comme un cheval poulsif,
Et me despite en moy mesme trop plus
Que quand je fus à l'aultre foys reclus
Tant aux prisons de Paris qu'à Lyon :
Car j'ignoroys allors un million
De bien bons tours qu'on apprend en peu d'heure,
Si aux prisons quelque temps on demeure.
Mon naturel est d'apprendre tousjours ;
Mais si ce vient que je passe aucuns jours,
Sans rien apprendre en quelque lieu ou place,
Incontinent il fault que je desplace.
Cela fut cause, à la vérité dire,
Que je cherchay, très-debonnaire sire,
Quelque moyen de tost gaignier le hault.
Puis aux prisons ne faisoit pas trop chault ;
Et me morfondre en ce lieu je craignois,
En peu de temps, si le hault ne gaignois.
De le gaigner prins resolution
Et avec art et bonne fiction
Je preschay tant le concierge, bon homme,
Qu'il fut conclu, pour le vous dire en somme.
Qu'un beau matin irions en ma maison
Pour du muscat, qui estoit en saison,
Boire à plein fonds, et prendre aucuns papiers,
Et recepvoir aussi quelques deniers
Qu'on me debvoit ; mais que rendre on vouloit
Entre les mains de monsieur, s'il alloit
A la maison, et non point aultrement.
Ce qu'on faisoit pour agensissement
De mon emprinse, et pour mieux esmouvoir
Le bon concierge à faire son debvoir.
Et sur cela Dieu sçait si je me fains
De requerir avecques serments maints
Ledict seigneur, à ce qu'il ne retarde
Que puisse avoir les deniers qu'on me garde.
Cela promis, le lendemain fut faict ;
Et dès le soir feit venir, en effect,
Quelques sergents, qui avec nous souperent .
Et le matin aulx prisons se trouverent.
Pensez comment je dormis ceste nuict,
Et quel repos j'avois ou quel deduict.
L'heure venue au matin sur la brume,
Tout droictement au coucher de la lune
Nous nous partons, cheminant deux à deux ;
Et quant à moi, j'estois au milieu d'eulx
Comme une espouse, ou bien comme un époux,
Contrefaisant le marmiteux, le doulx,
Doulx comme un chien couchant, ou un regnart
Qui jette l'oeil çà et là à l'escart,
Pour se saulver des mastins qui le suyvent,
Et, pour le rendre à la mort, le poursuyvent.
Nous passons l'eau, et venons à la porte
De ma maison, laquelle se rapporte
Dessus la Saosne ; et là, venuz que fusmes,
Incontinent un truchement nous eusmes,
Instruict de tout, et faict un badinaige,
Lequel sans feu, sans tenir grand langaige,
Ouvre la porte, et la ferme soubdain,
Comme remply de courroux et desdain.
Lors sur cela j'avance un peu le pas,
Et les sergents, qui ne cognoissoient pas
L'estre du lieu, suyvent le myeulx qu'ils peuvent ;
Mais en allant, une grand porte il treuvent
Devant le nez, qui leur clost le passage.
Ainsy laissay mes rossignolz en cage,
Pour les tenir un peu de temps en mue.
Et lors, Dieu sçait si les pieds je remue
Pour me saulver. Oncques cerf n'y feit oeuvre
Quand il advient qu'un lymier le descoeuvre ;
N'y oncques lievre en campaigne elancé
N'a myeulx ses pieds à la course avancé.
Mais quoy ? doibt-on pour ce me donner blasme
Ay-je forfaict ? ay-je faict tour infâme ?
Un cordelier, homme de conscience,
Le feroit bien, s'il avoit la science.
Les animaulx et les oyseaulx des champs,
Quand il sont prins, ne sont rien recherchants
Que liberté. Suys-je aultre qu'une beste,
Ou un oyseau qui se rompt corps et teste
Pour se trouver hors de captivité ?
Venons au poinct : ce qui m'a incité
De me tirer hors des mains de justice,
N'est poinct que sente en moy forfaict ou vice.
Je n'ai rien faict, quant à ce qu'on m'accuse,
Mais je sçay trop comme en justice on use
De mille tours, que je crains et redoubte.
Je sçay comment le bon droict on reboutte
D'un criminel, et comment on le traicte,
Si, tant soit peu, quelqu'un sa mort affecte,
Qui ayt credit et pouvoir suffisant
Pour le fascher, et l'aller destruysant
En biens ou corps ; car s'il ne peult venir
Jusques à là qu'il luy face finir
La vie, alors il trouve la cautelle
De lui causer prison perpetuelle,
Ou pour le moins de si longue durée
Que myeulx vauldroit que sa mort eust jurée
Car la prison est espece de mort ;
Ains plus que mort, quand il vient au rernort
A un esprit de nature gentille,
Qu' il fault que là il demeure inutile,
Et qu'en langueur il passe ainsi sa vie,
A l'appetit d'une meschante envye.
O quel regret, quel despit, quelle rage
Il vient au cueur d'un gentil personnage,
Quand il se voit sans cause ainsi vexé,
Et touts maulx sans forfaict oppressé !
Quand est de moy, je sçay que vault cela
Sçavoir le doibs : on ne me le cela
Lors que j'estois entre les mains des hommes.
Et sur mon doz on eust mys plus grands sommes,
Et plus lourds faix de toute adversité,
Si ta clemence et grande humanité
N'y eust pourveu,dont je te remercye ;
Et l'Éternel humblement je supplie
Qu'il te maintienne en santé longuement,
En accroissant la France tellement,
Qu'aultre que toy n'y ayt roy en ce monde,
Comme vray roy de la machine ronde,
Pour les vertus qui en toy estincellent
Trop plus qu'un aultre, et qui sur tous excellent.
J'ay dict mon grief, venir fault au remede
Il n'est nul mal qui le remede excede
Sinon la mort. Or quel remede doncq
A ce forfaict, que je ne commis oncq
Le remede est, s'il vous plaist y entendre,
Que vous faciez expressément défendre
Au parlement de Paris, qu'il desiste
De me poursuivre, et contre moy m'insiste ;
En déclairant que retenez à vous
Toute ma cause, et qu'inhibez à tous
La congnoissance, entre aultres, de mon cas,
Lors, sans babil, et sans grand altercas
"> Je vous diray la vérité du faict.
Et j'ay espoir que ce sera tost faict.
Car si au monde il est un juste juge,
Je vous tiens tel, et pour tel on vous juge ;
Et quant à moy, du faict suis innocent :
Or, un bon juge à l'innocent consent
Que de justice il sorte net et quitte,
Et contre luy ne s'altere ou irrite.
Si ce moyen assés bon ne vous semble,
Je suis d'avis qu'en un bloc on assemble
Tout ce qu'on dict que j'ai faict et commys
Touchant la foy, et que le tout remys,
Et aboly jusque à heure presente,
Par cy apres contre moy on n'intente
Chose qui soit, sinon que derechef
Touchant cela je fisse autre meschef.
Quant à la foy, on ne m'accuse point,
Pour ceste foys, que je tienne un seul poinct
D'opinion erronee ou maulvaise.
Mais quelques gents ne sont point à leur aise
De ce que vends et imprime sans craincte
Livres plusieurs de l'escripture saincte.
Voyla pourquoy je leur suis odieux
Voyla pourquoy ont juré leurs grands dieux
Que j'en mourray si de propos ne change.
N'est-ce pas là une rancune estrange ?
Et toutes foys rien n'est que je ne face
Pour d'un chascun. avoir la bonne grace,
Car je ne veulx pour le peuple mourir,
Ny aultre mal,
si je puis, encourir.
Vivre je veulx, non point comme un pourceau,
Subject au vin et au friand morceau
Vivre je veux pour l'honneur de la France,
Que je prétends, si ma mort on n'avance,
Tant celebrer, tant orner par escripts,
Que l'estrangier n'aura plus à mespris
Le nom françoys, et bien moins nostre langue,
Laquelle on tient pauvre en toute harengue.
Quant au surplus, je m'en deporterai
Et ton vouloir en tout je parferay ;
Car s'il te plaist me defendre tout court,
Que, veu le bruit qui par tout de moy court,
Je n'aye plus à livres imprimer
De l'Escripture ; on me puisse opprimer,
Si de ma vie il en sort de moy,
Et si j'en vends, tomber puisse en esmoy
De mort villaine, ou de flamme, ou de corde,
Et de bon cueur à cela je m'accorde.
C'est assés dict : je suis trop long du tiers,
Je reviens doncq à cela que je quiers.
Fay, je te pry, prince plein de doulceur,
Prince divin, des lettrés défenseur,
Fay que je soys par ton vouloir absouls,
Et tu voiras, si bien tost ne resouls
Dedans Lyon faire ma residence
Pour myeulx poulser, que devant, l'eloquence
Tant en latin qu'en françoys, que myeulx j'ayme,
Et que je veulx mettre en degré extreme
Par mes labeurs, soit comme traducteur,
Ou comme d'oeuvre, à moy propre, inventeur.

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