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Examen littéraire et grammatical des deux dernières traductions de Tacite par M. Burnouf et M. C.L.F. Panckoucke par un membre de l'université, vers 1830. Extrait. Postscriptum
Post scriptum. Cet Examen servira en même temps de réponse à un article injurieux pour le travail de M. Panckoucke, et qui parut dans une gazette imprimée à l'étranger, sur la frontière de la France, très-peu de jours après la publication du premier volume des Histoires, tant le critique était pressé de notifier au public son jugement. Il est vrai qu'à la rigueur il n'était pas même besoin de lire le livre en question pour en parler comme il a fait ; il ne fallait pour cela que de la bonne volonté : il ne citait rien, se bornait à de vagues reproches ; et s'il n'avait pas eu là maladresse de relever dans l'auteur une faute d'impression, il prouvait ainsi que l'ouvrage était mauvais de tout point, par l'heureux effet de la méthode synthétique, dite aussi méthode a priori.
M. Panckoucke fut d'abord surpris que son ouvrage eût lait tant de chemin en si peu de temps. Mais quelques jours après, l'article ayant été réimprimé à Paris, et envoyé à toute l'Université, à tous les professeurs et hommes de lettres, force lui fut de comprendre que son volume n'était point allé vers la frontière, mais que l'article en était revenu.
Que M. Burnouf, ou son éditeur, ait eu quelque part dans ce manège nous ne voulons pas le penser ; mais encore faut-il opposer quelque chose an critique ; s'il a eu le droit de publier son jugement sur le travail de M. Panckoucke, nous sommes dans le même cas, vis-à-vis de son concurrent. Seulement notre méthode n'est pas la même ; nous avons procédé analytiquement, par voie d'examen, par une comparaison consciencieuse, et enfin par des rapprochemens pleins de bonne foi.
Nous citerons aussi un juge impartial, sévère, M. Daunou qui, dans le
Journal des Savans (octobre 1831), parle ainsi de l'ouvrage de M. Panckoucke ; "Il convient de rendre hommage à la fidélité de cette traduction, souvent même à son exactitude scrupuleuse... Notre langue fournît-elle les moyens d'une représentation parfaite des pensées, du style de Tacite, c'est un succès déjà fort honorable que d'approcher du but comme l'a fait M. Panckoucke, dans le morceau même que nous
venons de citer et dans ceux qu'on va lire. "Et après une citation : "Cette traduction est presque littérale.... On a proposé diverses interprétations de ces derniers mots ; celle que M.Panckoucke a préférée nous parait très-plausible..."Après une autre citation : "Ce sont bien là tous les détails qu'offre le texte latin, rien n'est omis ni altéré... Il se rencontre des passages où ce système (de traduction de M. Panckoucke) conserve à presque tous les détails les couleurs et l'intérêt qu'ils ont dans la langue originale ; noirs en pourrions citer pourexemples la plupart des chapitres qui restent du Ve livre. "Et à propos de plusieurs notes, M. Daunou s'exprime ainsi : "Ces réflexions nous paraissent justes, et la traduction qu'elles amènent fort exacte." Il ajoute que "Omnia prona victoribus... (lib. iii, c. 64), est beaucoup mieux traduit par M. Panckoucke que par .... ;" et il cite le passage de M. Burnouf. Liv. III, chap. 12, après une citation (de M. Burnouf) : "Et, sur ce point, nous adopterions pleinement l'observation critique de Panckoucke ; " et liv. iv, chap. 69 : " Nous préférons aussi la version de M. Panckoucke à celle qu'il critique (celle de M. Burnouf). Ces notes supposent une longue et profonde étude des livres de Tacite. Quelques-unes sont relatives aux diverses leçons des textes, entre lesquelles M. Panckoucke nous parait avoir fait, en général, un très-heureux choix ; le texte est imprimé ici avec un grand soin. Quant à ta traduction, c'est aussi, comme on vient de le voir, par une sévère exactitude qu'elle se recommande... elle est très-purement écrite... elle doit servir à propager et à diriger l'étude des ouvrages éminemment instructifs de l'un des plus grands écrivains de l'antiquité." A ces éloges se joignent de justes critiques Ces remarques, ajoute M. Daunou, sont sans doute beaucoup trop sévères... "Elles sont justes, et M. Panckoucke en profitera ; M. Panckoucke n'a pas fait imprimer, dans nu journal étranger, son panégyrique en ces termes. La belle version de M. Burnouf, accueillie à son apparition encore toute récente par des éloges unanimes et mérités ; ce que je ne puis in
empêcher d'admirer, c'est combien il y a d'élégance à la fois et de fermeté dans son style, etc., etc. Voilà ce que M. Burnouf se fait adresser, et ce qu'on répand ensuite à profusion dans l'Université ; nous avons prouvé combien ces éloges étaient mérités.
Quant à la préface de Tacite, à cet exorde qui n'a dû être fait par M. Burnouf qu'après sa traduction complète de Tacite après s'être pénétré longues années des pensées de ce puissant génie, s'être imbu de ses profondes doctrines, certes ! on aurait pu espérer quel, pour la forme et le style, ils se ressentiraient des leçons du grand maître. Quel ne sera pas l'étonnement du lecteur, d'y voir ces phrases choquantes pour tout homme qui sait lire une page de Tacite !
Ligne 3 de la page Ire de l'Introd. : Et ce n'est que depuis Jusie- Lipse que... Page 2 : Cette maison était divisée en deux branches... Sa qualité de sénateur le rendit (Tacite) le témoin et le C0MPLICE forcé des cruautés qu'il déplore... Ce n'est pas seulement la gloire de son beau-père que Tacite a transmise à la mémoire des hommes, ce sont encore les antiquités d'une des nations... Le peuple-roi était sans doute loin de penser qu'un jour il céderait son sceptre à ses sauvages habitans... Et la foi, à ce qu'il en rapporte, ne doit pas être affaiblie par les erreurs... Et en parlant de la prise de Jérusalem : Le véritable poète de cette grande épopée est sans doute la providence, qui en a fourni les élémens, et les a ramassés dans l'espace de moins de deux années... On accuse Tacite de finesse et de subtilités, etc., etc.
C'est avoir peu profité des leçons de Tacite, après de si longs travaux, que d'en parler en ces termes ; nous citerons un passage de l'Introduction de M. Panckoucke : le lecteur jugera lequel des deux traducteurs a été le mieux inspiré par l'étude des écrits de celui que Racine appelait le plus grand peintre de l'antiquité : "Et non-seulement les évènemens ont été presque semblables, mais les dénominations ont été les mêmes : nous avons vu une longue et cruelle révolution, la guerre civile, des proscriptions, des orateurs éloquens, des tyrans atroces, des victimes nombreuses, des généraux. habiles, des soldats qui ont presque conquis le monde, des guerres pleines de gloire ; et, dans ces trente années, nous avons éprouvé toutes les vicissitudes qui ont accompagné le peuple romain dans une existence politique de huit siècles."
On nous a sollicité d'imprimer cet examen dans un journal français très-répandu : mais par le désir même d'établir notre jugement de la manière la plus impartiale, nous avons été en traîné au delà des bornes d'un article de journal : nous livrons donc au publiec éclairé cette brochure faite en toute conscience, et dans l'amour des Classiques. Peut-être va-t-il revenir cet heureux temps où nous n'avions de guerre qu'au sujet de la littérature, d'irritation que celle des auteurs, et d'émeutes qu'au théâtre, lorsqu'il s'agissait d'y prononcer sur le sort des poètes tragiques ou comiques.

 

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