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Mme de Renneville, Parafaragaramus, ou Croquignole et sa famille, 1827.
Extrait

Portrait de Parafaragaranus.

L'ENCHANTEUR Parafaragaramus descendait en ligne droite des anciens Titans, qui voulurent escalader le Ciel en mettant des montagnes l'une sur l'autre. Sa tête touchait aux étoiles, et il aurait pris la lune avec les dents ... s'il avait pu. Quand le temps était calme, il entendit les auges éternuer. Dominant à une telle hauteur, il faisait pour l'univers la pluie et le beau temps. Il fit voir à plus d'un les étoiles en plein midi. Lorsqu'il lui plaisait de faire pleuvoir sur une partie du monde, il donnait un coup de tête dans une nuée qui crevait aussitôt, et l'eau tombait par torrent. Quand l'enchanteur voulait faire des siennes, il masquait le soleil avec son énorme corpulence, et la moitié de la terre n'y voyait goutte. Lorsqu'il avait quelqu'un à punir, il allai en un clin-d'œil de la mer des Indes à la mer Glaciale. Il allumait sa pipe sur le mont Hécla, sur le mont Vésuve, n'importe lequel ; car bien que l'un fût au nord et l'autre au midi, il lui suffisait d'étendre le bras droit ou le bras gauche, sans nul effort ; et lorsqu'il arrivait des incendies extraordinaires sur le globe, c'était du feu qu'il jetait par distraction. Parafaragaramus, simple mortel, mais n'ayant personne dans sa famille qui l'égalât en grandeur, était réduit, pour ne pas vivre tout seul comme un ours, à chercher parmi les hommes ordinaires quelques êtres avec lesquels il pût communiquer. Il eut soin, cependant, de prendre des géans, d'abord pour qu'ils eussent avec lui un tant soit peu de ressemblance ; ensuite pour que sa formidable voix, qu'il adoucissait le plus qu'il lui était possible, ne les fit pas tomber à la renverse, car il les supposait braves ! Ces hommes de choix donc composaient sa cour ; mais, chose étrange ! les petits enfans lui plaisaient bien davantage ! Ceux qui aimaient l'enchanteur disaient que l'innocence du jeune âge avait des charmes pour lui ; ce qui prouvait sa bonté, sa sensibilité et mille autres qualités aimables ; d'autres, au contraire, renversant la médaille, mettaient tout sur le compte de son orgueil. Selon eux, la terreur qu'il inspirait à cette faible jeunesse lui donnait une haute idée de sa puissance ; il pouvait l'apaiser avec des bonbons, et passer même, à peu de frais, pour magnifique ; d'une autre part, il semblait à cette petite canaille un dieu ou un diable, suivant qu'il était bien ou mal monté ; et son amour-propre s'en trouvait bien... Les gens qui le voyaient ainsi le prenaient pour un pygmée.

Établissement de Croquignole
M. Croquignole et Madame Praline, sa femme, qui ne savaient que faire pour vivre aux dépens du public, voulurent tâter du commerce. Ils avaient l'honneur de connaître M. Croque-Mitaine Comme ce redoutable instituteur devenait riche, ils lui rirent des révérences et lui demandèrent sa protection. La renommée aux cent bouches établissait la célébrité de M. Croque-Mitaine, et les élèves lui venaient en foule, Croquignole fit son plan en conséquence. Il prit une échoppe qu'il nomma une boutique, à côté du pensionnat de Croque-Mitaine. Puis, moyennant six francs, il acheta du pain d'épice, des oublies et des bonbons, et les étala aux yeux des élèves de l'instituteur.
La boutique de Croquignole ne ressemblait pas tout-à-fait à celle du fidèle berger, cependant elle avait son mérite. Croquignole venait d'acheter d'une marchande de vieux chapeaux des feuilles et des fleurs artificielles dont il enjoliva son échoppe ; il eut l'adresse d'entremêler ce feuillage de morceaux de verre qu'il appelait ses glaces, et il mit dans le fond, par-ci par-là, des découpures de papier doré qui sautaient aux yeux d'une manière admirable ! Toutes ces pretintailles attirèrent les enfans, et ils achetèrent les bonbons de M. Croquignole.
Jusqu'alors le nouveau marchand avait vécu dans la misère ; en voyant le prompt débit de sa marchandise, il se crut sur la route de la fortune. Pour aller plus vite, il crut tout simple d'imiter ses confrères et de faire la contrebande. Versé en très-peu de temps dans la finesse de son état, il donnait pour de bonnes dragées de petits morceaux de plâtre saupoudrés de sucre, recouverts de peinture, et vendait deux sous ce qui lui coûtait deux liards. Il faut être juste, ce n'était pas tout bénéfice ; car, indépendamment de six sous par jour de loyer, Croquignole avait encore l'éclairage : c'était un petit lampion composé du suif des bouts de chandelles qu'on lui donnait, et dont il achetait la mèche : quand on veut faire ses affaires, il faut tout calculer. Quoi qu'il en soit, ce lampion des plus utiles, en se répétant dans les petits morceaux de verre de la tapisserie, répandait une clarté vacillante, qui empêchait les acheteurs d'examiner de trop près la marchandise ; et tout n'en allait que mieux.

Les Enfans de CroquignoIe ; leur éducation
On raconte différemment l'origine du nom de Croquignole. Les uns disent qu'on le surnomma ainsi à cause du goût excessif qu'il avait pour la petite pâtisserie qui porte ce nom ; d'autres, en plus grand nombre, assurent que ce fut à cause des chiquenaudes qu'il reçut sur le nez quand il allait à l'école, et qui le rendirent camard. mais cette recherche est assez inutile. Croquignole avait toujours un habit couleur de sucre d'orge, et madame Praline, sa femme, une robe à-peu-près de la même couleur, mais tirant sur le rouge. Gimblette, sa fille, était d'ordinaire habillée de jaune, et Croquet, son fils, aussi en jaune mélangé de blanc. Soit par épargne, soit par goût, ils avaient toujours le même habit : c'était aussi une manière adroite de se faire remarquer parmi les autres marchands qui entouraient la maison de Croque-Mitaine.
Pour ce qui est de leurs personnes, voici à-peu-près comme on les dépeint : le marchand était tout d'une pièce et rond comme une boule ; sa femme au contraire avait une taille élancée ; son air prévenait en sa faveur. Gimblette eût été assez gentille sans sa gourmandise ; mais elle mangeait tant de pain-d'épice qu'elle était toujours barbouillée jusqu'aux oreilles ; outre cela cette friandise lui donnait le dévoiement, ce qui la rendait si pâle, si pâle, qu'elle faisait trembler ! Le petit Croquet avait une figure plate fort insignifiante ; plus sale que sa sœur il mangeait tant de miel qu'il devenait sec comme un coucou et jaune comme son père.
Assez affable avec tout le monde, Gimblette avouait de bonne foi son penchant pour du pain-d'épice. Lorsqu'elle était en goguettes, elle chantait cette Chanson qu'un aveugle des Quinze-Vingts lui avait apprise sur l'air : femmes, voulez-vous éprouver, etc.
Les uns aiment le chocolat,
Et les autres la limonade ;
Ceux-ci préféreront l'orgeat,
Ceux-là cherchent la cassonade:
Quant à moi, le fait est certain.
Soit raison, folie ou caprice,
J'aime aujourd'hui comme demain,
Par-dessus tout, le pain-d'épice. bis.
La voix clairette de cette petite fille était un attrait de plus qui attirait les élèves et les faisait venir chez Croquignole : malheureusement Gimblette ne pouvait pas toujours chanter.
Croquet voulut aussi faire gagner quelques sous à son père ; il prit des leçons du grimacier, mit sur sa tête une vieille tignasse qu'il trouva dans le ruisseau, et il ajusta d'énormes lunettes de pain-d'épice sur son nez ; mais sa laide figure parut horrible sous cet attirail ; et au lieu d'amuser les enfans, il les fit enfuir. Croquignole s'étant aperçu de cette gaucherie, le fit à la hâte rentrer dans sa boutique.



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