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Alfred de Bougy, Un million de rimes gauloises... anthologie, 1858 

Sonnets
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**Les notes sont d'Alfred de Bougy

Sonnet
Tant que mes yeux pourront larmes répandre,
Pour l'heur passé avec toi regrettter,
Et que, pouvant aux soupirs résister,
Pourra ma voix un peu se faire entendre ;

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard luth, pour tes grâces chanter ;
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien, fors que toi comprendre.

Je ne souhaite encore point mourir ;
Mais, quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,

Et mon esprit, en ce mortel séjour,
Ne pouvant plus montrer signe d'amante,
Prierai la port de me ravir le jour.

Louise Labé (1526-1566)

Sonnet

Mouches qui maçonnez les voûtes encirées
De vos palais dorés, et qui, dès le matin,
Volez de mont en mont pour effleurer le thym,
Et suçoter des fleurs les odeurs savourées,

Dressez vos ailerons sur les lèvres sucrées
De ma belle maîtresse, et, baisant son tetin,
Sur sa bouche pillez le plus riche butin
Que vous chargeâtes onc sur vos ailes dorées.

Là trouverez un air embaumé de senteurs,
Un lac comblé de miel, une moisson d'odeurs ;
Mais gardez-vous aussi des embûches cruelles ;

Car de sa bouche il sort un brasier allumé,
Et des soupirs ardens un escadron armé,
Et, pour ce, gardez-vous de n'y brusler vos ailes.

Rémi Belleau**

** Né à Nogent-le-Rotrou en 1528, mort à Paris en 1577. Entretint des relations d'amitié avec Baïf, Ronsard et Philippe Desportes. Membre de la Pléiade.


Sonnet
Le monde me déplaist, je vis de cette sorte,
Que je ne fais meshui que tousser et cracher,
Que de fascher autrui, et d'autrui me fascher
Je ne supporte nul et nul ne me supporte.

Un mal de corps je sens, un mal d'esprit je porte;
Foible de corps, je veux, mais je ne puis marcher;
Foible d'esprit, je n'ose à mon argent toucher :
Voilà les beaux effets que la vieillesse apporte.

Oh! combien est heureux celui qui, de ses ans,
Jeune, ne passe point la fleur de son printemps.
Ou celui qui venu s'en retourne aussi vite!

Non, je m'abuse : ainçois ces maux ce sont appas,
Qui me feront un jour trouver doux mon trépas
Quand au ciel il plait, que ce monde je quitte.

Étienne Pasquier

** Né à Paris en 1529 mort à Paris le 31 août 1615. Il fut enterré à Saint-Séverin.

Sonnet

Ce que j'aime au printemps je te veux dire mesme :
J'aime à flairer la rose, et l'oeillet, et le thym;
J'aime à faire des vers et me lever matin
Pour, au chant des oiseaux, chanter celle que j'aime,

En été, dans un val, quand le chaud est extresme,
J'aime à baiser sa bouche et toucher son tetin;
Et, sans faire autre effet, faire un petit festin,
Non de chair, mais de fruit, de fraises et de cresme:

Quand l'automne s'approche et le froid vient vers nous.
J'aime avec la chastaigne avoir le bon vin doux
Et, assis près du feu, faire nue chère lie.

En hiver, je ne puis sortir de la maison
Si n'est au soir masqué; mais en toute saison,
J'aime fort à coucher dans les bras de ma mie,.

Olivier de Magny

** Mort vers 1560, vivait du temps de Ronsard et de la Pléiade. Le sonnet qu'on vient de lire est un des plus charmants du siècle.

L'Amant au désert
Ces vieux rochers tout nus, glissant en précipice,
Ces chutes de torrens froissés de mille sauts,

Ces sommets plus neigeux et ces monts les plus hauts

Ne sont que les portraits de mon cruel supplice .

Si ces rochers sont vieux, il faut que je vieillisse,
Lié par la constance au milieu de mes maux;
S'ils sont nus et sans fruit, sans fruit sont mes trafvaux,

Sans qu'en eux nul espoir je retienne ou nourrisse!

Et ces terre- rompus, sont-ce pas mes desseins ?
Ces neiges vos froideurs, ces grands monts vos dédains ?
Bref, ces déserts, en tout, à mon être répondent.

Sinon que vos rigueurs plus malheureux me font:
Car d'en haut bien souvent quelques neiges se fondent,
Mais, las ! de vos froideurs pas une ne se fond.

Honoré d'Urfé

** Né à Marseille le 11 février 1567, mort à Villefranche en 1625. Sa famille habitait le Forez et était d'origine allemande. Auteur du célèbre roman de I'Astrée, qu'il com posa dans sa terre des environs de Nice.

Sonnet
Sire Thulène* est mort, j'ai vu sa sépulture
Mais il est presque en vous de le ressusciter
Faites de son état un poëte héritier,
Le poète et le fou sont de même nature.

L'un fuit l'ambition, et l'autre n'en a cure;
Tous deux ne font jamais leur argent profiter.
Tous deux sont d'une humeur aisée à irriter;
L'un parle sans penser, et l'autre à l'aventure.

L'un a la teste verte, et l'autre va couvert
D'un joli chaperon fait de jaune et de vert;
L'un s'amuse aux grelots, et l'autre à des sornettes,

Le plus grand différent qui se trouve entre nous,
C'est qu'on dit que toujours Fortune aime les fous,
Et qu'elle est peu souvent favorable aux poëtes.

Jean Passerat

* Fou du roi, je présume

Les Goinfres
Coucher trois dans un drap, sans feu ny sans chandelle,
Au profond de l'hyver, dans la salle aux fagots,
Où les chats, ruminant le langage des Gots,
Nous éclairent sans cesse en roulant la prunelle;

Hausser nostre chevet avec une escabelle,
Estre deux ans à jeun comme les escargots,
Resver en grimassant ainsi que les magots
Qui, baillans au soleil, se grattent soubs l'aisselle;

Mettre au lieu de bonnet la coëffe d'un chapeau,
Prendre pour se couvrir la frise d'un manteau
Dont le dessus servit à nous doubler la pause

Puis souffrir cent brocards d'un vieux hoste irrité,
Qui peut fournir à peine à la moindre despense,
C'est ce qu'engendre enfin la prodigalité.

Saint-Amant


Le Ravissement d'Europe, sonnet

Europe, s'appuyant d'une main sur la croupe,
Et se tenant de l'autre aux cornes du taureau,
Regardait le rivage et réclamoit sa troupe,
Qui s'affligeoit de voir cet accident nouveau.

Tandis, l'amoureux dieu qui brusloit dedans l'eau
Fend son jaspe liquide et de ses pieds le coupe
Aussi légèrement que peut faire un vaisseau
Qui le vent favorable a droitement en poupe.

Mais Neptune, envieux de ce ravissement,
Disoit par moquerie à ce lascif amant
Dont l'impudique ardeur n' a jamais eu de bornes:

"Inconstant, qu'un sujet ne sçauroit arrester,
Puisque malgré Junon tu veux avoir des cornes,
Que lie se résout-elle à t'en faire porter? "

Tristan L'Hermite

Sonnet
Superbes monuments de I'orgueil des humains,
Pyramides, tombeaux, dont la vaine structure
A témoigné que l'art, que l'adresse des mains
Et l'assidu travail peut vaincre la nature;

Vieux palais ruinés, chefs-d'oeuvre des Romains,
Et les derniers efforts de leur architecture,
Colysée, où souvent ces peuples inhumains
De s'entr'assassiner se donnaient tablature

Par l'injure des ans vous êtes abolis,
Ou du moins la plupart vous êtes démolis.
Il n'est point de ciment que le temps ne dissoude ;

Si vos marbres Si durs ont senti son pouvoir,
Dois-je trouver mauvais qu'un méchant pourpoint noir
Qui m'a duré deux ans soit percé par le coude ?

Scarron

Description de Paris
Un amas confus de maisons,
Des crottes dans toutes les rues,
Ponts, églises, palais, prisons,
Boutiques bien on mal pourvues;

Voi-ce gens noirs, blancs, roux, grisons,
Des prudes, des filles perdues,
Des meurtres et des trahisons,
Des gens de plume aux mains crochues;

Maint poudré qui n'a point d'argent,
Maint homme qui craint le sergent,
Maint fanfaron qui toujours tremble;

Pages, laquais, voleurs de nuit,
Carrosses, chevaux et grand bruit,
C'est là Paris; que vous en semble ?

Scarron

 

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