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Feutry, Nouveaux opuscules ... 1779

Prologue
Fable première
L'imprimeur de ce recueil, & l'Ami de l'Auteur, lequel s'est chargé d'en revoir les Epreuves.

Quoi ! vous voulez, Monsieur le Correcteur,
Que j'imprime le tout !... Il me reste une crainte ;
C'est que cela ne donne atteinte
A la tranquillité de votre Ami l'Auteur.
On sçait que les gens de finance
Ont du crédit, & n'aiment point les Vers
Où l'on semble, pour eux, manquer de déférence ;
Je l'avouerai, j'en suis en transe,
Ils pourroient bien voir ceux-ci de travers-.
Allons donc, quel grand mal peut causer une Fable ?
Entre-nous, cette crainte est folle, sur ma foi ;
Quand on est riche, & qu'on tient bonne table,
On a toujours les gros rieurs pour soi,
Et l'on rit le premier d'un Ouvrage semblable.

Fable II
Le Socle et la Statue

Oses-tu t'égaler à moi,
Disoit au Socle une fiere Statue;
J'élève mon front dans la nue,
Et je pose le pied sur toi :
Encore, trop heureux qu'un jour je ne t'écrase. -
Plus de douceur & moins d'emphase ;
Il te sied bien de m'insulter,
Être foible, injuste et superbe !
Si je cessois de te porter,
Je te verrois bientôt sous l'herbe.

Fable IV
Un Masque du Faubourg Saint Antoine, & un Monsieur.

Avec ton cheval de carron,
Range-toi, vilain Masque. - Oh ! oh ! vilain vous-même. -
Insolent ! Range-toi, mais très-vite, sinon...-
Tout doux, mon beau Monsieur, quel que soit votre nom,
Cette dureté semble extrême ;
Le Peuple doit avoir du plaisir à son tour :
Il se masque, par an, trois fois, vers le Carême,
Et vous vous masquez chaque jour.

Fable V
Un Financier, son Valet-de-Chambre et un Protégé

Un jeune homme, Monsieur, apporte une Lettre. -
Qu'il attende. - Il est là dès la pointe du jour,
Et midi sonne. - Eh bien ! - Il ne veut la remettre
Qu'en mains propres - Qu'il entre - Entrez - Monsieur Danjour,
Maonsieur, me charge de ... - Voyons donc la missive...
"Vous feriez plaisir"... Coment diable ! elle est vive ;
Il paroît vous aimer, lui qui n'aime que soi ;
Il vante vos vertus. - Je crois être honnête-homme,
Monsieur, si vos bontés m'accordoient cet emploi,
Pour emplir mes devoirs, je prendrois sur mon somme,
Et j'empêcherois bien qu'on ne volât le Roi. -
(A part)
Honnête-homme !... Le sot !... Empêcher qu'on ne vole !...
(Haut)
Repassez... Oh ! Dumont, va consigner ce drôle
A ma porte, & si bien qu'il ne rentre chez moi.

Fable V : Le Chiffre et le Zéro

Pauvre Zéro, cache ta honte,
Disoit un gros Chiffre orgueilleux ;
Pourrois-tu faire seul un compte ?
Être nul, fuis loin de mes yeux.-
Je connois mon néant, graces à ton injure,
Répondit l'humble créature,
Et sçais bien que tu peux faire un compte sans moi :
Mais, que je plains, ton ignorance !
Apprends que, placé près de toi,
Je décuple ton existence.

Je crois la leçon d'importance ;
La prenne qui voudra pour soi.

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