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Satyre sur la barbe de monsieur le Président Molé (1).
XVIIe siècle

Je chante d'un chant satirique
Une laide barbe cynique,
La barbe et le menton barbu
De Molé, juge corrompu ;
Barbe sale, barbe vilaine !
Barbe infâme , barbe inhumaine,
Barbe qu'a fait un partisan
Aux frais du pauvre paysan;
Barbe affreuse, barbe maudite
Barbe d'un diable d'hypocrite
Barbe d'un infante Martin,
Grand defendeur de Mazarin
Qui s'offriroit pour un ecu
De serviette à torcher le cul
Barbe qui tout prend et devore
Barbe que tout le monde abhorre
Barbe ravalée en pendant ,
Barbe à qui je porte une dent,
Barbe cruelle, barbe fière !
Barbe que je souhaite en bière,
Par tel et semblable danger
Que le president Boulanger (2)
Barbe qui voudroit voir la France
En Grève, au bout d'une potence
Barbe pendante au vieux menton
D'un avare et lâche poltron ;
Barbe de boue, barbe de chèvre
Barbe qui descend d'une lèvre
Qui cache un ratelier de dents
Plus puantes que souffre ardant ;
Barbe (lui entoure une bouche
Qui produit une voix farouche ;
Barbe (lui pend le long d'un col
A qui je souhaite un licol ;
Barbe qui couvre une poitrine
D'où sort le mal qui nous ruine
Barbe d'un maudit loup-garoux
Qui cause mon juste courroux.
Tu sentiras, barbe de laine,
Les traits plus piquans de ma haine
De laine , non , je me desdis :
Il m'est permis, si j'ay mal dit,
De me reprendre et de mieux dire.
Disons donc mieux, et faisons rire
Tous ceux qui ces vers ecriront (3)
Ou ecrits après les liront.
N'appelons plus barbe de laine
Une barbe qu'avons en haine :
Ce mot est trop doux pour celuy
Qui s'engraisse du bien d'autruy ;
Qui, abandonnant sa patrie,
Noircit sa memoire fletrie,
Et, comme un lache renegat,
Trahit son roy et le senat.
Apellons-la barbe piquante,
Du sang du peuple degoutante ;
Barbe plus fière qu'un griffon,
Barbe du grand geant Tiphon ;
Nommons-la barbe de Megère,
L'appentil de notre misère,
Le fondement de nos malheurs
Et la base de tous nos pleurs ;
Nommons-la barbe à l'escopette
Barbe qui fait notre disette,
Barbe d'un pilote infernal,
Barbe de crain d'un vieux cheval
Barbe de soie à porc farouche,
Les brins faits en pointe de souche,
En piquans d'herisson faché
De porc-epic effarouché,
De chardons, de ronces, d'epines
Qui piquent jusques aux racines;
Barbe d'un laid et vieux magot,
Barbe d'un traître et d'un bigot.
Je voudrois, ô barbe vilaine!
Que de merde tu fusses pleine
Que les mules et les mulets,
Les poules et tous les poulets,
Tous les chevaux et les cavales
Des ecuries cardinales,
Les chiens, les chiennes et les chats,
Toutes les souris et les rats ,
Puissent sur toy, barbe bouquine,
Barbe qui pue comme ravine,
Jetter comme sur un fumier
Tout ce qui sort de leur fessier;
Que les poux , les puces et lentes,
Morpions et punaises puantes,
Fussent dedans ton poil epars
Comme etrons dessus des remparts
Que les chancres et les ulcères,
Plus venimeuses que vipères,
Les pustules et les poulains
Que l'on gagne avec les putains,
Et tous les autres grains semblables
Que les François prirent à Naples
Puissent tous affliger le corps,
Tant par dedans que par dehors,
De celuy, ô barbe bigote!
Qui te cultive et te frotte;
Qu'en tombant tu sois tôt ou tard
Comme celle de Duremard
Ainsi, menton et barbe infâme,
Tu deviendras menton de femme :
Je te souhaite encore plus,
Et cecy n'est pas superflus,
Que, si les choses souhaitées
Etoient un jour executées,
Tous les Poils chus ou arrachés
A un masque soient attachez
Pour servir de bouffonne trogne
Aux foux de l'hôtel de Bourgogne.
C'est là, plutost qu'au Parlement,
Que la paroitras dignement.

NOTES
1. Cette mazarinade se trouve avec le titre qu'elle porte ici dans le Tableau de la vie el du gouvernement de messieurs les cardinaux Richelieu el Mazarin, etc.; Cologne, P. Marteau, 1694, in-12, p. 286-289. On la trouve imprimée à part sous le titre de l'Illustre barbe D. C. en vers burlesques (S.l.n.d.), 4 pages, et sous celui-ci : Poème sur la barbe du prem. presid. ; Bruxelles, 1649, 6 pages. - La barbe de Mathieu Molé étoit, en effet, très fameuse; le surnom par lequel on le désignoit souvent lui en étoit venu. "Le visage de la cour, dit Larroque, se moque de la braverie (Chateauneuf) et du chien au grand collier (Seguier), disant que la Grand'Barbe (Molé) ne fait le philosophe ni l'homme l'Etat, et que le vent lui souffle du derrière." (Cité par M. Moreau, Bibliographie des Mazarinades, t. 1, p. 9.)
2. Il faut, sans doute, reconnoitre ici l'auditeur des comptes Le Boulanger, qui, frappé de plusieurs coups de baïonnette comme il sortoit de l'Hôtel-de-Ville, lors la grande émeute de 1652, mourut peu de jours après. (Mem. de Conrart, Collect. Petitot, 2e série, t. 48, p. 151. Ceci nous donneroit à peu près la date de cette pièce.
3. M. Moreau conclut avec raison de ce vers que cette mazarinade, comme bien d'autres, se répandoit par copies manuscrites.

Edouard Fournier, 1857

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