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Théodore Jouffroy
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[Thomas Simon, dit] Théodore  JOUFFROY (1796-1842)

Né le 6 juillet 1796, à Pontets [Doubs] ; mort le 1er mars 1842, à Paris

Études :

Mis en pension à Nozeroi [Doubs] en1805-1807, où il reçoit une éducation chrétienne, il fut envoyé  de 1807 à 1811 au collège de Lons-le-Saunier où l'un de ses oncles, l’abbé Jouffroy, était régent. Il suit sa rhétorique [classe de première] au lycée de Dijon.

1813 : École normale :

C'est là, à Dijon, qu'examiné en 1813 [il a alors dix-sept ans] par l'inspecteur général de l'Université François Roger [1776-1842], il est remarqué et sélectionné pour être admis à l'École Normale à Paris [il y est admis en 1813, la même année que Louis Bautain]

Au cours de ses études Jouffroy choisit de se consacrer à  la philosophie sous l'impulsion  de deux hommes qui enseignaient alors à la Sorbonne : Pierre Laromiguière [chaire de Philosophie] et Paul Royer-Collard [chaire d’Histoire de la philosophie moderne]. Il est également [1815-1822] l’élève de V. Cousin à l’École normale. À la fin de ses deux années d'études à l'École normale [1813-1815] est nommé élève répétiteur à l’École [1815] dont la fonction, à l'époque, consiste simplement «  à reprendre et à expliquer dans des séances particulières les cours que les élèves suivaient à la Faculté des lettres. » [Damiron]

1814 : Incrédulité, lumières de la foi, lumières de la raison

C'est dans cette période que se situe l'épisode de la nuit du doute. Il est rapporté dans la deuxième partie de l'article intitulé « De l'Organisation des sciences philosophiques » publié par J. Ph. Damiron dans les Nouveaux mélanges philosophiques [1842] :

« Je n'oublierai jamais la soirée de décembre où le voile qui me dérobait à moi-même ma propre incrédulité fut déchiré. J'entends encore mes pas dans cette chambre étroite et nue où longtemps après l'heure du sommeil j'avais coutume de me promener ; je vois encore cette lune à demi voilée par les nuages, qui en éclairait par intervalle les froids carreaux. Les heures de la nuit s'écoulaient, et je ne m'en apercevais pas ; je suivais avec anxiété ma pensée qui de couche en couche descendait vers le fond de ma conscience, et, dissipant l'une après l'autre toutes les illusions qui m'en avaient jusque-là dérobé la vue, m'en rendait de moment en moment les détours plus visibles.

En vain je m'attachais à ces croyances dernières comme un naufragé aux débris de son navire ; en vain, épouvanté  du vide inconnu dans lequel j'allais flotter, je me rejetais pour la dernière fois avec elles vers mon enfance, ma famille, mon pays, tout ce qui m'était cher et sacré : l'inflexible courant de ma pensée était plus fort ; parents, famille, souvenirs, croyances, il m'obligeait à tout laisser ; l'examen se poursuivait plus obstiné et plus sévère à mesure qu'il approchait du terme, et il ne s'arrêta que quand il l'eut atteint. Je sus alors qu'au fond demoi-même il n'y avait plus rien qui fut debout.

Ce moment fut affreux ; et quand vers le matin je me jetai épuisé sur mon lit, il me sembla sentir ma première vie, su riante et si pleine, s'éteindre, et derrière moi s'en ouvrir une autre sombre et depeumlée, où désormais j'allais vivre seul, seul avec ma fatale pensée qui venait de m'y exiler et que j'étais tenté de maudire. »

1816 : Thèses de doctorat :

Alors que le beau est un des thèmes du cours de V. Cousin à l’École normale, Jouffroy soutient ses thèses de doctorat en 1816 [Paris, 12 août] : Le sentiment du beau est différent de celui du sublime ; ces deux sentiments sont immédiats [in-4, 34 p.]. La thèse latine porte sur De Causalitate [in-4, 26 p.].

Jean-Philibert Damiron [promotion 1814] et Louis Bautain [promotion 1813] soutiennent leurs thèses la même année.

Enseignement à l’École normale [1817] et au Collège Bourbon:

Sa thèse ayant été soutenue, il est nommé [1817-1822] chargé de conférences pour la philosophie à l’École normale. À ce titre, en 1817, il traite des questions de méthode, et en 1818 son enseignement se compose de quarante sept leçons sur la psychologie intellectuelle, neuf sur la psychologie morale, six sur la destinée humaine. En 1818-1819 il reprend les mêmes leçons.

Devenu agrégé, il fait également, comme professeur suppléant de philosophie, un cours au collège Bourbon, l’actuel lycée Condorcet [qu’il n’assure volontairement que jusqu’en 1820-1821]. La mort de son père et des soucis de santé l'amènent à demander un congé d'un an.

La tentation de Pestalozzi

L'été 1820 Paul Dubois [qui a été le condisciple de Jouffroy à l'École normale] se rend aux Pontets pour rencontrer T. Jouffroy. Ils partent ensemble voyager à pied vers la Suisse : Ferney, Coppet, Genève, Lausanne, Yverdon,  Neufchâtel.

Ils se rendent aussi à Berne et rendent visite à l'Institut d'Hofwil [canton de Berne] dirigé par Philipp Emanuel von Fellenberg [1771-1844], selon les principes pédagogiques de Johann Heinrich Pestalozzi [1746-1827], inspirés de la pensée rousseauiste d'une éducation concrète, orientée sur le travail pratique et respectueuse des spécificités de l'enfant. Pestalozzi est un personnage considérable de la nouvelle pédagogie. Goethe s'intéresse à son oeuvre, Maine de Biran [1766-1824] s'entretient avec lui par lettres et fera même le voyage à Hofwil en 1822

Adolphe Lair indique : « La visite d'Hofwil leur [Dubois et Jouffroy] fit une impression profonde. Déjà ils étaient inquiets des tendances de l'Université française, et sentaient leur situation plus ou moins menacée. De son côté Pestalozzi souhaitait agréger à son Institut des professeurs français pour y fonder une section française. Il fit aux deux jeunes maîtres des propositions qu'ils furent sur le point d'accepter. Un moment ils révêrent d'abandonner l'Université et de venir enseigner ensemble à Hofwil. »

Écrire pour la presse [1821]

Autour de 1821, Ary Scheffer, Corcelle et Augustin Thierry font entrer T. Jouffroy, en même temps que Paul Dubois, au Courrier français.

Fermeture de l’École normale [1822] :

En septembre1822, sous le ministère Villèle, il perd son emploi à l’École normale [comme V. Cousin], fermée par décision du gouvernement, comme un foyer d’agitation libérale [ordonnance Corbière du 6 septembre 1822]. Il sera réintégré comme maître de conférences, à la réouverture de l’École en 1828 [réouverte sous le nom d’École préparatoire].

1822-1828 : Enseignement privé :

T. Jouffroy ouvre chez lui, dans son appartement parisien de la rue de Seine, puis par la suite de la rue du Four Saint Honoré, un cours privé de philosophie, qui va fonctionner sur quatre années, à raison d’une ou deux fois par semaine : la première année [1er décembre 1822-22 mai 1823], cours de psychologie ; la deuxième année [1823-1824], cours de morale ; la troisième année [1825-1826], cours d’esthétique ; la quatrième année [1826-1827], cours de philosophie de l’histoire. Une autre série de cours a lieu en 1828.

Ces cours privés suivis à chaque fois par une vingtaine de personnes [la loi interdit des réunions privées plus nombreuses] assurent à T. Jouffroy une célébrité dans le milieu “doctrinaire” et libéral. Parmi les personnalités qui assistent plus ou moins régulièrement à cet enseignement : Charles Marie Duchâtel, Ludovic Vitet, Sainte-Beuve, J. Ph. Damiron, Eugène Lerminier, Hippolyte Carnot, Eugène Burnouf, etc.

Sainte-Beuve [Portraits littéraires] en fait la description : « Quand les quinze ou vingt auditeurs s’étaient rassemblés lentement, que la clef avait été retirée de la porte extérieure et que les derniers coups de sonnette avaient cessé, le professeur, debout, appuyé à la cheminée, commençait presque à voix basse, et après un long silence. La figure, la personne même de M. Jouffroy est une de celles qui frappent le plus au premier aspect, par je ne sais quoi de mélancolique, de réservé, qui fait naître l’idée involontaire d’un mystérieux et noble inconnu. Il commençait donc à parler ; il parlait du Beau, ou du Bien moral, ou de l’immortalité de l’âme ; ces jours-là, son teint plus affaibli, sa joue légèrement creusée, le bleu plus profond de son regard, ajoutaient dans les esprits aux réminiscences idéales du Phédon. »

Cet enseignement prendra fin en décembre 1828, T. Jouffroy obtenant alors la suppléance de la chaire d’Histoire de la philosophie ancienne en janvier 1829, dont le titulaire est Charles Millon[1754-1839], en remplacement de Jean-Baptiste Maugras [1762-1830] brutalement suspendu de son enseignement. Ce dernier, qui a appris sa suspension par les gazettes, proteste dans le Journal des Débats, d'autant qu'il voit en T. Jouffroy «un des adeptes les plus distingués de cette école philosophique qu'il avait combattu toute sa vie » .

Des textes longuement mûris

C’est dans cette période qu’il écrit des textes qui paraîtront comme articles dans le journal Le Globe, et qui prendront place dans les Mélanges philosophiques [1833]. Tel est l’article fameux : « Comment les dogmes finissent », rédigé initialement en septembre 1823, mais qui ne paraîtra  dans Le Globe que le 24 mai 1825 [tome 2, page 565], avant d’être réédité une première fois dans les Mélanges philosophiques en 1833.

De même « La première leçon d’un cours sur la loi du développement de l’humanité », publié le 13 décembre 1827 a été mise au point un an plus tôt, fin novembre 1826.

Ou encore les trois articles « Du matérialisme et du spiritualisme », publiés en décembre 1828-janvier 1829 dans Le Globe [tome 6, pages 926 et 933 ; tome 7, page 3], puis repris dans les Mélanges philosophiques [1833], sont empruntés à une étude rédigée en 1825

1824 : Le Globe

Parmi les auditeurs de T. Jouffroy, au cours de la première et deuxième année [1822-1823 ; 1823-1824] nombreux sont de futurs rédacteurs du Globe. Paul François Dubois [lui aussi ançien élève de l’École normale -1812] lui annonce la création du journal en août 1824. T. Jouffroy  contribue au soutien financier du journal en se portant acquéreur d’une action de création en 1826, puis d’une action de seconde création en 1830. 

Il apporte sa collaboration par une quarantaine d’articles [de 1824 à 1830]. Un certain nombre d’articles sont repris ultérieurement dans les Mélanges philosophiques [Paris : Paulin, 1833]

Il contribue également au Courrier français, et à l’Encyclopédie moderne, notamment avec des articles sur la géographie.

1826 : Préceptorat

En octobre 1826 accepte d’être le précepteur du fils aîné de Madame Narychkine, dont Georges Farcy [lui aussi ancien élève de l’École normale-1819] a été le précepteur  de 1823 à septembre 1826.

1827 : Compte-rendus des ouvrages de V. Cousin

Articles de T. J. [Théodore Jouffroy], faisant le compte-rendu du volume 4 des Oeuvres de Platon. Journal Le Globe, tome 4, n° 96 et tome 5, n° 2, jeudi 24 mars et samedi 7 avril 1827. Ce compte-rendu porte aussi sur les Oeuvres de Proclus : « Oeuvres inédites de Proclus, philosophe grec du cinquième siècle, d'après les manuscrits de la Bibliothèque royale de Paris, publiées par Victor Cousin. Le dernier volume vient de paraître. »

Deuxième article : pages 5-9

 [1828-1836] : Travaux de traduction

Il traduit de l’anglais en français, à partir de la quatrième édition anglaise les Esquisses de philosophie morale à l’usage des étudiants de l’Université d’Édimbourg, de Dugald Stewart, en 1826 et rédige une longue Préface où il établit la distinction des faits de conscience et des faits sensibles [Paris : A. Johanneau, in-8, CLV-236 p., 1826]. Réédité en 1841 comme deuxième édition

Il commence également [1828], avec la collaboration de son élève Adolphe Garnier [1800-1864], la traduction des "Oeuvres complètes de Thomas Reid, chef de l’École écossaise, publiées par Jouffroy, avec des Fragments de M. Royer-Collard, et une introduction de l'éditeur", en six volumes, qui s’échelonnera de 1828 à 1836 [Paris : V. Masson, puis A. Sautelet, in-8] Le premier volume à paraître [1828] est : Thomas Reid. Recherches sur l’entendement humain [Paris : V. Masson, in-8, 394 p.] qui constituera le deuxième volume des Oeuvres complètes

1828 : Suppléant de la chaire d’Histoire de philosophie ancienne

T. Jouffroy se voit confier la suppléance de la chaire d’Histoire de la philosophie ancienne en décembre 1828, en remplacement de Jean-Baptiste Maugras [1762-1830] qui a été suppléant de 1824 à 1828 [ce remplacement fera, de la part de J. B. Maugras, l'objet d'une polémique]. Le titulaire de la chaire est depuis sa création, en 1824, Charles Millon [1754-1839] qui en restera titulaire jusqu’en septembre 1830

Le texte de la première leçon [Ouverture du cours d'histoire de la philosophie ancienne] est publié quatorze ans plus tard par J. Ph. Damiron dans les Nouveaux Mélanges philosophiques.

T. Jouffroy, selon le témoignage d'A. Garnier, prend comme thème de son enseignement le Premier Alcibiade de Platon et l’utilité de la connaissance de soi-même, ce qui lui permet de traiter de psychologie et des facultés de l’âme.

1830 : Professeur adjoint de la chaire d’Histoire de la philosophie moderne

Après la Révolution de 1830, T. Jouffroy voit sa carrière progresser. Il est nommé [par Victor de Broglie, ministre de l’Instruction publique] professeur adjoint de la chaire  d’Histoire de la philosophie moderne, dont le titulaire est depuis 1810 Royer-Collard. Il succède ainsi, dans la position de professeur-adjoint, à V. Cousin qui, après avoir été suppléant de 1815 à 1822, avait assumé cette fonction, au moment de sa réintégration en mars 1828 [V. Cousin qui en septembre1830 devient professeur titulaire de la chaire d’Histoire de philosophie ancienne, succédant à Charles Millon].

Le texte de sa première leçon [Du Problème de la destinée humaine] est publié dans la première édition [1833] des Mélanges philosophiques, dans la quatrième partie de l'ouvrage, consacrée à la morale. Ce texte sera repris dans les rééditions successives.

Le texte de la deuxième leçon [Méthode pour résoudre le problème de la destinée humaine] est publiée seulement à partir de la deuxième édition [1838] des Mélanges philosophiques, puis dans les rééditions successives.

En même temps qu'il est maître de conférences de philosophie à l'École normale [rebaptisée École préparatoire], pour la deuxième et troisième année, il reste professeur-adjoint assez peu de temps, de 1830 à 1832, étant élu au Collège de France en 1832

1832 : Rédacteur du nouveau programme de philosophie :

V. Cousin confie à Pierre Laromiguière, auquel s'adjoint T. Jouffroy, le soin d'élaborer le nouveau programme de questions de philosophie sur lesquelles les aspirants au grade de bachelier ès-lettres doivent être interrogés - et que les professeurs doivent traiter dans leur enseignement. P. Laromiguière délègue J. J. S. de Cardaillac. Le programme est promulgué par un arrêté du ministère Guizot, le 28 septembre 1832.

1. Se trouve confirmé l'arrêté signé par le duc de Broglie et V. Cousin, pris en septembre 1830, sur la suppression du latin comme langue des épreuves du baccalauréat [le français avait déjà été prescrit par une ordonnance de mars 1829, mais le latin rétabli en septembre 1829]

2. Le programme se compose de quarante-deux questions réparties en Introduction [3 questions]; Psychologie [8 questions] ; Logique [10 questions] ; Morale [6 questions] ; Théodicée [5 questions] ; Histoire de la philosophie[10 questions]

Ce programme remplace celui de 1823, rédigé par l'abbé Jean Marie Burnier-Fontanel [1763-1827], doyen de la Faculté de théologie qui avait présidé le jury du premier concours d'agrégation de philosophie en 1825. Ce programme s'inspirait d'un manuel antérieur à la Révolution française, appelé Philosophie de Lyon.

Comme l'écrit Prosper Alfaric : « [Le nouveau programme] opéra, au point de vue intellectuel, une émancipation analogue à celle que la Révolution de juillet avait accomplie dans l'ordre politique. Il laïcisa, dans une large mesure, la philosophie. »

1831 : Carrière politique :

Dans la période 1821-1822 semble appartenir à la Charbonnerie, mouvement secret hostile à la Restauration. Sainte-Beuve donne cette information : « M. Cousin s'était engagé dans le carbonarisme et y poussait avec prosélytisme ; après quelque hésitation, les deux amis [Jouffroy et Dubois] y entrèrent, mais par M. Augustin Thierry  »

En 1831, se présentant dans l’arrondissement de Pontarlier, est élu, comme député libéral, à la Chambre des députés [5 juillet 1831]. Il est réélu le 21 juin 1834, le 4 novembre 1837 et le 4 avril 1840. Il reste député jusqu’en 1841, comme membre du parti de la Résistance [autour de F. Guizot] plus conservateur que le parti du Mouvement. Hostile au suffrage universel il est partisan du maintien du cens à 300 francs. Sa mort en mars 1842 l'empêche de se présenter aux élections de juillet 1842

1833 : Vie privée

T. Jouffroy se marie le 13 août 1833 à Marie Mourcet, dont il aura deux enfants : Charles et Marie.

1832-1837 : Chaire de philosophie grecque et latine au Collège de France :

En effet, à la mort de François Thurot [1768-1832], qui était chargé au Collège de France, depuis 1814, de la chaire de langue et philosophie grecques, il est élu pour lui succéder, la chaire s’appelant désormais Philosophie grecque et latine [il occupera cette chaire de 1832 à 1837, à laquelle succédera Jules Barthélémy Saint Hilaire [1805-1895] élu en 1838, et qui sera titulaire de la chaire jusqu'en 1852]

C’est dans cette période, au cours de l’hiver 1835, qu’il se rend pour un séjour de sept ou huit mois en Italie [à Florence et à Pise], où il achève la publication des Oeuvres complètes de Reid [parution du dernier volume : 1836]

La maladie : le soutien et le témoignage de François Guizot

Dans ses Mémoires [tome 3, page 119] F. Guizot témoigne : « Trois ans après sa nomination[à la chaire de philosophie grecque et latine au Collège de France] [T. Jouffroy] fut atteint du mal auquel, sept ans plus tard, il devait succomber. Sa poitine gravement menacée lui rendait nécessaire, non seulement le repos, mais l'air doux et chaud de Midi. Il était marié et presque sans fortune. Je lui offris une mission en Italie, à Florence et à Pise, où il pourrait se rétablir en faisant à loisir des études sur l'état de l'instruction publique en Toscane, et des recherches dans les manuscrits de ses bibliothèques. Dans les journaux et dans les Chambres, une légéreté dure et brutale a souvent attaqué ces faveurs accordées, sous des prétextes plausibles, pour des causes très légitimes. [...] M. Jouffroy accepta la mission que je lui proposais ; et je prends plaisir à retrouver dans les lettres qu'il m'écrivit d'Italie, la preuve qu'elle lui fut bonne pour la tranquilité de son esprit comme pour la prolongation de sa vie. »

T. Jouffroy démissione de sa chaire au Collège de France [30 novembre 1837] au moment où il est nommé professeur à la chaire de Philosophie, de la Faculté des lettres de Paris, place rendue vacante par la mort de P. Laromiguière.

1837 : Chaire de Philosophie à la Faculté des lettres de Paris

Pierre Laromiguière [1756-1837] meurt le 12 août 1837. Il est le titulaire de la chaire de Philosophie à la Faculté des lettres de Paris, depuis 1809. François Thurot [1768-1832] avait été son suppléant [1811] puis son adjoint [de 1812 à 1824]. Après la mort de F. Thurot [16 juillet 1832] sont suppléants Jean-Jacques Severin de Cardaillhac [suppléant de 1824 à 1829] ; puis Aristide Valette [suppléant de 1827 à 1837]

Un arrêté du 28 novembre 1837 nomme T. Jouffroy, successeur de P. Laromiguière, comme titulaire de la chaire de Philosophie. Comme l’avait fait Laromiguière, il assure également la charge de bibliothécaire de la Sorbonne [tandis qu'il a renoncé à son cours au Collège de France dont il a démissionné].

Son cours de 1838 traite des prolégomènes de la psychologie et des questions de méthode. Mais son état de santé ne lui permet pas de continuer son enseignement et il se fait suppléer, dès la fin de l’année 1838, par son élève et disciple Adolphe Garnier [1800-1860], qui sera son successeur. Il est en congé à partir de 1839, pour maladie de poitrine.

1838-1841 : Remplacement de V. Cousin comme Président du jury d'agrégation

En 1838, après avoir été nommé membre du Conseil royal de l’Université, et semble-t-il compte-tenu aussi de son état de santé, V. Cousin abandonne la présidence du jury d’agrégation de philosophie qu’il assure depuis 1830 , présidence qui est confiée à T. Jouffroy, pour les années 1838, 1840, 1841.

Mars 1840 : Conseiller chargé de la philosophie

Lorsque V. Cousin est nommé ministre de l’Instruction publique, en mars 1840 [il exerce cette fonction dans le second ministère Thiers du 1er mars au 28 octobre 1840], il désigne T. Jouffroy comme Conseiller chargé de la philosophie.

1840-1842 : Au Conseil royal de l'Université

Et V. Cousin, en tant que ministre, est contraint d'abandonner ses fonctions au Conseil royal de l’Université. C’est aussi T. Jouffroy qui le remplace, et qui assumera cette charge rémunérée jusqu’à sa mort [1er mars 1842], V. Cousin ne retrouvant sa place qu’après cette date.

Distinctions :

Membre de l'Académie de Besançon et de l'Académie des sciences morales et politiques

1833 : Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

T. Jouffroy pose sa candidature à l'Académie des sciences morales et politiques, par une lettre en date du 3 décembre 1832. L'occasion de son élection se présente avec le décès du baron Joseph Dacier [1742-1833], survenu le 4 février 1833.

Est élu le 6 avril 1833 à l'Académie des sciences morales et politiques, dans la section de morale, fauteuil 1

Se présentent à cette élection de nombreux candidats : Charles Renouard [1794-1878], Jacques Matter [1791-1864] déja membre correspondant de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, Charles [1803-1889] qui sera ultérieurement élu dans la section de morale [élu le 19 mars 1836] et Étienne de Sénancour [1770-1846], ainsi que Augustin Hilarion de Keratry [1769-1859] et J. Ph. Damiron [1794-1862] qui sont tous deux présentés par V. Cousin, pour la forme et éventuellement pour prendre date [Damiron sera élu dans la section de philosophie en 1836]. T. Jouffroy est placé en première ligne par la section de morale, ce qui lui accorde d'emblée les faveurs de l'Académie. Il est élu à une forte majorité, par dix-sept voix sur vingt présents [une voix à Charles Renouard, une voix à Kératry]

La section de morale

En étant élu à l'Académie des sciences morales et politiques, T. Jouffroy [qui a alors trente-six ans] rejoint un corps recréé, en 1832, par ordonnance du roi Louis-Philippe [octobre 1832]. La section de morale qui le reçoit est alors composée des membres nommés et élus en 1832 : Dominique Joseph Garat [1749-1833], dans sa quatrevingt quatrième année ; Jean Girard Lacuée, comte de Cessac [1753-1841], dans sa quatrevingt unième année ; Pierre Louis Roederer [1754-1835], dans sa soixante dix neuvième année ; Joseph Droz [1773-1851] ; Charles Dunoyer [1786-1862] qui est dans sa quarante-septième année. T. Jouffroy est par conséquent, très largement, le benjamin de cette assemblée.

Investissement de la section de philosophie par V. Cousin

Il est à noter également que c'est la première élection qui intervient à la suite du décès d'une personnalité fondatrice [à la même séance sera également élu Laurent François Feuillet, comme membre libre]. Aussi on a souvent interprété cette élection de T. Jouffroy comme le premier moment de l'investissement progressif de l'Académie des sciences politiques, ou plutôt de la section de philosophie de cette académie, par V. Cousin, favorisant autant qu'il le peut des hommes partageant fortement ses propres orientations philosophiques et idéologiques. Le contrôle ultérieur de la section de philosophie se faisant aussi - grâce à un jeu de ricochet- par telle ou telle élection dans la section de morale. Après l'élection de T. Jouffroy [section de morale], il y aura successivement pour la section de philosophie celle de J. Ph. Damiron [1794-1862] au fauteuil de Destutt de Tracy [17 décembre 1836], celle de Barthélemy Saint Hilaire [1805-1895] au fauteuil de Victor Broussais [23 mars 1839]. Entre temps T. Jouffroy passera de la section de morale à celle de philosophie [9 décembre 1837]. À cette date [fin 1837] V. Cousin et ses partisans disposeront dans la section de philosophie de quatre voix sur six.

Enfin, en 1844, avec l'électiond'Adolphe Franck [1809-1893] au fauteuil de William Frédéric Edwards [20 janvier 1844] et le remplacement de T. Jouffroy par Charles de Rémusat [26 avril 1842] V. Cousin et ses partisans disposeront dans la section de cinq voix sur six. . 

Passage de la section de morale à la section de philosophie

Dès le 10 décembre 1836, V. Cousin exprime le désir de voir T. Joufroy passer de la section de morale à celle de philosophie. À la mort de Pierre Laromiguière, survenue le 12 août 1837, Jouffroy sera autorisé, par décision unanime de l’Académie du 9 décembre 1837, à rejoindre la section de philosophie [au fauteuil 4] section alors composée de J. P. Damiron, au fauteuil 1 [élu en 1836 en remplacement de Destutt de Tracy, décédé le 9 mars 1836], Joseph Marie de Gérando, au fauteuil 2, Victor Cousin au fauteuil 3, William Frédéric Edwards au fauteuil 5, François Broussais au fauteuil 6. La place laissée vacante dans la section de morale, par ce passage de T. Jouffroy à la section de philosophie, sera occupée par Alexis de Tocqueville [1805-1859], élu le 6 janvier 1838.

Travaux académiques

Les travaux académiques comportent plusieurs types d'activité : des Rapports sur des concours ; la participation à des Commissions ; la présentation de Mémoires, ou de textes liés à des travaux personnels

1. le Rapport sur le concours des écoles normales primaires

Le 13 juin 1840, T. Jouffroy rédige et expose le Rapport sur le concours fait au nom de la section de morale relatif aux écoles normales primaires [séance du 13 juin 1840].

En effet, l'Académie des sciences morales et politiques, sur proposition de la section de morale, avait mis au concours, pour l'année 1838, la question : « Quels perfectionnements pourrait recevoir l'institution des écoles normales primaires, considérée dans ses rapports avec l'éducation morale de la jeunesse ? » T. Jouffroy avait fait la mise au concours par un rapport [de Jouffroy] les 10 et 17 décembre 1836 [terme du concours fixé au 31 décembre 1837]

Mais les résultats de ce premier concours ne donnent pas satisfaction ; aussi le concours est-il prorogé [dans la séance du 26 mai 1838] au 31 décembre 1839

Sur les neuf mémoires envoyés, le n° 4 reçoit le prix. Il est remis à M. Barrau, principal du collège de Chaumont [manuscrit in-4, de 503 p.], qui sera publié sous le titre De l'Éducation morale de la jeunesse à l'aide des écoles normales primaires. Paris : Hachette, in-8, 1840.

Un autre prix "extraordinaire", une médaille d'or de 1500 francs, est remis à M. Prosper Dumont, inspecteur spécial de l'instruction primaire à Fontainebleau [manuscrit in-folio de 301 p.] et sera publié sous le titre De l'Éducation populaire et des écoles normales primaires considérées dans leurs rapports avec la philosophie du christianisme. Paris : Dezobry, E. Magdeleine et Cie, in-6, 1841

Le rapport de T. Jouffroy est publié dans les Mémoires et travaux de l'Académie des sciences morales et politiques, tome 3, 1841, pages 313-358.

Le texte du rapport sera réédité dans l'édition par Ph. Damiron des Nouveaux mélanges philosophiques [1842]

2. La participation à des Commissions

En 1834 fait partie de la Commission de contrôle des comptes, et en fera partie à nouveau en 1835

Le 16 avril 1835 fait partie de la Commission chargée de déterminer le sujet du prix extraordinaire pour 1837

Le 7 janvier 1837 fait partie de la commisssion spéciale du prix Beaujour. En fera partie à nouveau le 4 mai 1840

Le 7 janvier 1837 fait également partie de la commission chargée de signifier les préférences de l'Académie en matière d'associés étrangers

Le 22 avril 1837 fait partie dela commission chargée d'organiser la distribution des mémoires de l'Académie auprès des sociétés et des bibliothèques

Le 27 mai 1837 est rapporteur de la section de morale dans l'élection de ses correspondants

3. La présentation de Mémoires, ou de textes liés à des travaux personnels

En 1837, T. Jouffroy présente le résumé  du premier volume de son cours de Droit naturel qu'il professe à la Faculté des lettres de Paris [comme professeur adjoint de Royer-Collard dans la chaire d'Histoire de la philosophie moderne]. Ce résumé est publié dans les Mémoires et travaux de l'Académie des sciences morales et politiques, tome 1, 1837, pages LXXXVIII-CI

« Le problème qu’il s’est proposé de résoudre, est de déterminer la destinée humaine envisagée sous le triple aspect de la destinée de l’individu, de celle des sociétés, et de celle de l’espèce.  [...] il a traité de la question de savoir quelle est la fin de l’homme dans cette vie. »

En septembre 1838, T. Jouffroy [au nom de la section de philosophie] présente un Mémoire : De la Légitimité de la distinction de la psychologie et de la physiologie. Publié dans les Mémoires et travaux de l'Académie des sciences morales et politiques, tome 2, 1839, pages 1-41 [le texte en sera réédité, en 1842, par J. Ph. Damiron dans les Nouveaux mélanges philosophiques]

4. L'hommage à l'Institut de ses propres ouvrages venant d'être publiés

C'est le cas des Mélanges philosophiques [25 mai 1833] ; de la traduction de la deuxième édition de la traduction des Esquisses de philosophie morale de Dugald Stewart [29 juin 1833] ; du Fragment d'un ouvrage ayant pour objet de faire sortir la morale de la connaissance de la nature de l'homme [2 juillet 1835] ; de la traduction des Oeuvres de Reid [12 novembre 1836] ; du Fragment sur l'histoire de l'insurrection grecque [11 août 1836], qui reprend le texte de la présentation faite, le 2 mai 1838, dans la séance publique annuelle des cinq académies ; d'un texte sur la Politique de la France en Afrique [11 janvier 1840]., qui sera repris dans la Revue des Deux-Mondes

5. La présentation à l'Institut d'ouvrages venant de paraître

Présentation de l'Histoire de la vie et des ouvrages de Bacon, de J. B. de Vauzelles [29 mars 1834] ; des Vues politiques sur les intérêts moraux de J. Le Chevalier [27 janvier 1838] ; des Prolégomènes historiques et bibliographiques de P. Varin [13 juillet 1839]

6. Des interventions sur des sujets concernant la vie de l'Institut

Intervention au sujet du cadre territorial des sociétés savantes [3 janvier 1835] ; sur les sujets qui sont ou non de la compétence de l'Académie [10 janvier 1835] ; sur la limitation du choix des candidats en économie politique aux seuls statisticiens [6 mai 1837] ; le soutien de la candidature d'Hippolyte Passy en économie politique [7 juillet1838] en remplacement de Talleyrand, décédé le 17 mai 1838

7. Des interventions publiques dans la vie instituionnelle de l'Institut

Le jeudi 2 mai 1838 intervient dans la séance publique annuelle des cinq académies [Institut royal de France], présidée par M. Chevreul, avec un discours : Fragment d'une histoire de la révolution grecque. Le texte en est publié dans Institut royal, tome 12 [1838-1839], pièce 4, pages 39-59

Fin février 1842 : la mort d'un philosophe

Adolphe Garnier [son élève et son successeur à la chaire de Philosophie, à la Faculté des lettres deParis], dans son article sur Jouffroy [Dictionnaire des sciences philosophiques d'Adolphe Franck], fait un tableau convenu et touchant de la mort du philosophe : «Ses amis le pressaient de retourner dans cette Italie, où il avait déjà trouvé son salut ; il crut pouvoir résister au mal sans changer de climat ; mais il ne fit plus que languir, et vers la fin du mois de février de l'année 1842, après s'être vu lentement s'affaiblir, il s'éteignit. Il ne démentit pas un seul instant le calme et la fermeté de son âme ; il voulut, pendant les derniers jours, se recueuillir dans une solitude complète ; il n'admit auprès de lui que sa femme et ses enfants ; il ordonna de fermer les volets de ses fenêtres ; il se priva même de la société de la lumière et demeura seul avec sa pensée jusqu'au moment de sa mort. »

 

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