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Victor Cousin, Cours de l'histoire de la philosophie, 1829
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LA PHILOSOPHIE AVANT COUSIN : LA PÉRIODE 1809-1815

Le Cours de l'histoire de la philosophie, de 1829, correspond au cours professé à la Faculté des lettres de Paris, de décembre 1828 à juin 1829, par Victor Cousin, pour l'ensemble de l'année universitaire. Mais, pour comprendre la portée de ce cours, il convient d'avoir en tête ce qui s'est passé dans l'histoire institutionnelle de la philosophie, dans les quinze dernières années.

Période 1809-1815

Création et distribution des chaires de philosophie : 1809
1. Après la loi du 10 mai 1806, créant l'Université impériale, et le décret du 17 mars 1808, les premiers enseignements philosophiques de la Faculté se mettent en place entre mai et septembre 1809. Un enseignement de philosophie est prévu à la Faculté des lettres de Paris, avec [et c'est exceptionnel pour Paris] d'emblée deux chaires.
L'une des chaires, créée le 6 mai 1809, est appelée initialement "Philosophie et opinion des philosophes". Elle fonctionnera sous ce titre jusqu'en 1810. À partir de 1810, et jusqu'en 1814, cette chaire s'appelle "Histoire de la philosophie". À dater de 1814, elle prendra définitivement le nom de "chaire d'Histoire de la philosophie moderne". Le premier titulaire est Claude Emmanuel Pierre de Pastoret [1755-1840], avec comme adjoint Charles Millon [1754-1839]. Le second titulaire est Pierre Paul Royer-Collard [1763-1845], dont le suppléant, à partir du 13 novembre 1815, est V. Cousin.
L'autre chaire est la chaire de Philosophie, créée le 19 septembre 1809, attribuée à Pierre Laromiguière [1756-1837], qui en sera le titulaire jusqu'à sa mort, le 12 août 1837. Les suppléants en seront [en 1811] François Thurot [1768-1832], qui deviendra adjoint de 1812 à 1824 ; puis Jean-Jacques Severin de Cardaillhac [1766-1845], suppléant de 1824 à 1829 ; puis Aristide Valette, suppléant de 1827 à 1837.
Enfin fonctionne une chaire "Histoire de la philosophie ancienne", créée en mai 1814. Le premier titulaire en est Charles Millon [1754-1839], de mai 1814 à septembre 1830, avec comme suppléant Jean Baptiste Maugras [1762-1830], de 1824 à 1828 ; puis Théodore Jouffroy [1796-1842], suppléant en 1829 et 1830. Le second titulaire est Victor Cousin, de septembre 1830 au 7 mai 1852, dont les suppléants seront Jean Philibert Damiron [1794-1862], Hector Poret, Étienne Vacherot [1809-1897], etc.
Pour démêler l'histoire des attributions des chaires, il faut se rappeler la hiérarchie des titres : suppléant, adjoint, titulaire [professeur proprement dit] ; en prenant en compte également le glissement d'une chaire à l'autre : V. Cousin est suppléant de Royer-Collard, puis adjoint [de 1828 à 1830] pour la chaire d'Histoire de la philosophie moderne, mais titulaire de chaire d'Histoire de la philosophie ancienne en 1830.

Royer-Collard
2. Pierre Paul Royer-Collard [1763-1845] vient de la vie politique. D'une famille de propriétaires terriens, de tradition janséniste, après des études de droit, il devient avocat au Parlement de Paris. Secrétaire adjoint de la première commune de Paris en 1790, il rompt avec la commune en 1792. Se rapprochant des Girondins, doit se réfugier pendant la Terreur : il quitte alors Paris et s'établit dans sa propriété de Sompuis [où il est né], près de Vitry le François. Il est élu député de la Marne en 1797 au Conseil des Cinq-Cents. Destitué comme modéré au 18 fructidor [4 septembre 1797], devient membre du conseil secret formé autour de Louis XVIII. Après le coup d'État du 18 brumaire, se rallie à la cause du Premier Consul. C'est grâce à l'appui de Louis de Fontanes, devenu Grand-Maître de l'université en 1808, qu'il est nommé dans la toute nouvelle Sorbonne. En 1815, au retour des Bourbons, il sera à nouveau député de la Marne.
On connaît la méchante anecdote de Taine : «Un matin, en 1811, M. Royer-Collard, qu'on venait de nommer professeur de philosophie à la Sorbonne, se promenait sur les quais fort embarrassé. [il refusait d'enseigner la philosophie de Condillac, dont la doctrine avait un parfum de scepticisme et de matérialisme qui répugnait au chrétien fervent, moraliste austère, homme d'ordre et d'autorité] Nouveau en philosophie, il n'avait point de doctrine à lui, et bon gré mal gré, il devait en professer une. Tout à coup, il aperçut à l'étalage d'un bouquiniste, entre un Crevier dépareillé et l'Almanach des cuisinières, un pauvre livre étranger, honteux, ignoré [...] Recherches sur l'entendement humain, d'après les principes du sens commun, par le docteur Thomas Reid. Il l'ouvre et voit une réfutation des condillaciens anglais. Combien ce livre ? Trente sous. Il venait d'acheter et de fonder la nouvelle philosophie française. » [H. Taine,  Les Philosophes classiques du XIXème siècle en France].

Royer-Collard contre Condillac et les Idéologues
3. Toujours est-il que Pierre Paul Royer-Collard [1763-1845], succédant à Pastoret qui n'a été en fonction que quelques mois, du 6 mai 1809 à décembre 1809 [remplacé par Charles Millon, en 1809 ; qui remplira la fonction d'adjoint jusqu'en 1814], enseigne la philosophie moderne à la Sorbonne. Nommé le 24 octobre 1810, sa première leçon, est prononcée le 4 décembre 1811 [ce discours inaugural fait l'objet d'un tiré à part, Paris, imp. de Fain, in-4, 20 p. , tiré à cinq cents exemplaires]. Il y dénonce l'approche de Locke et de Condillac : «Est-ce dans la sensation qu'est tracée la règle éternelle des droits et des devoirs ? Quand elle enseignerait l'utile, enseignerait-elle le beau et l'honnête ? [...] La morale de la sensation n'est-elle pas toute dans le principe abject des intérêts sensibles ? »
Villemain rapporte pour sa part l'anecdote du rapport fait à Napoléon. «Le bibliothécaire du palais, suivant une attribution de sa charge, avait mis sous les yeux de l'Empereur, parmi quelques imprimés du temps, le discours d'ouverture de M. Royer-Collard. Le discours fut parcouru, peut-être pour y chercher ce qui ne se manquait nulle part alors : l'éloge du prince. Malgré ce mécompte, l'Empereur fut assez content du discours pour en parler à son lever au prince de Talleyrand, qui ne connaissait alors que de nom et assez peu l'homme dont il rechercha depuis l'amitié. «Savez-vous bien, monsieur le grand Électeur, lui dit-il, qu'il s'élève dans mon Université une nouvelle philosophie fort sérieuse, qui pourra bien nous faire grand honneur et nous débarasser tout à fait des idéologues.»
Tout au long de son enseignement de première année Royer-Collard se borne à de simples commentaires sur les pages de Reid qu'il lit à ses auditeurs [Jouffroy], à l'origine assez peu nombreux [moins d'une dizaine] .

1812-1813, Royer-Collard
4. Les Fragments théoriques se rapportant à quelques-unes des leçons de la deuxième année de l'enseignement de Royer-Collard portent,

A. sur la distinction de la sensation et de la perception,
B. sur l'origine et les conséquences de la confusion des deux faits,
C. l'exposé et la réfutation de la doctrine de Condillac, dont les erreurs dérivent principalement de la même confusion. [«Voilà où conduit l'esprit de système. Ah ! que l'orgueil est peu fait pour l'homme ! que l'histoire des opinions philosophiques est fatigante, et que ce tableau de l'esprit humain est humiliant. ! Peut-on porter plus loin, que ne le fait ici Condillac, le malheureux talent d'obscurcir les choses les plus claires ? [...] il est réduit à transformer les corps en sensations, comme Locke transforme les sensations en corps. Que ces illustres naufrages servent au moins à signaler l'écueil des systèmes et des hypothèses» [Royer-Collard, Fragments philosophiques]
La même année Royer-Collard traite aussi des qualités de la matière, de la substance, de l'espace et de la durée.

1813-1814, Royer-Collard
5. La première leçon de cette troisième année de l'enseignement de Royer-Collard, portant sur l'existence d'un monde extérieur à la conscience, est éditée en tiré à part [Paris, impr. de Fain, in-8, 40 p.]. Les cours de 1813-1814 portent sur la théorie des idées, l'exposition du système de Descartes, Malebranche, Locke, Berkeley, Leibniz.
Royer-Collard avait créé une société de philosophie spiritualiste, pour s'opposer à la société d'Auteuil où se réunissaient les Idéologues. À cette société participent de Gérando, Ampère, Fauriel. V. Cousin la fréquente. Et lorsque Royer Collard s'oriente à nouveau vers la vie politique, il choisit V. Cousin comme suppléant (13 novembre 1815) [Royer-Collard restera le titulaire en titre de la chaire d'Histoire de la philosophie moderne jusqu'à la date de sa mort, le 4 septembre 1845].

COUSIN ET LA PHILOSOPHIE : PÉRIODE 1815-1820

Décembre 1815 : première leçon inaugurale de V. Cousin
1. V. Cousin assure son enseignement à la Faculté des lettres de Paris, à partir de décembre 1815. Sa leçon inaugurale est éditée : Discours prononcé à l’ouverture du Cours de l’histoire de la philosophie moderne, le 7 décembre 1815 [1815, Paris, Librairie nouvelle [Delaunay], in-8, VII-33 p.]. Le Discours est également publié avec les références suivantes, Paris, impr. de Fain, in-4, 33 p.
Le texte du Discours est repris dans les Premiers essais de philosophie [1846, Paris, Librairie nouvelle, in-18, XX-350 p.] et dans toutes les rééditions de cet ouvrage 1855, 1862, 1873. «Lorsque, appelé à faire paraître dans des fonctions plus élevées la mâle éloquence et cette vigueur de sens et de dialectique qui marquaient son enseignement, l'homme illustre que vous avez tant de fois applaudi dans cette enceinte daigna jeter les yeux sur moi pour le remplacer, l'honneur d'un pareil choix ne m'éblouit point sur ses périls, et, avant de vous surprendre, Messieurs, il me fit trembler.[...]. Le cours de l'histoire de la philosophie présente cette question préliminaire : faut-il classer les systèmes selon l'ordre des temps où ils ont paru, ou suivant leurs rapports naturels ?»

L'année 1815-1816, Victor Cousin
2. Le programme du cours de l'année 1815-1816, est publié dans les Premiers essais de philosophie [1846, Paris, Librairie nouvelle, in-18, XX-350 p.] et dans toutes les rééditions de cet ouvrage 1855, 1862, 1873.
Le cours porte sur la question de l'existence personnelle. Sont exposés la philosophie française du dix-septième siècle, la philosophie anglaise, la philosophie écossaise, la philosophie allemande, la philosophie française du dix-huitième siècle. Des Fragments de leçons, en rapport avec ce programme sont édités dans les Premiers essais de philosophie. Certains des textes de ces fragments paraissent dans la revue Archives de philosophie [1817], et dans les premières éditions des Fragments philosophiques [Paris, A. Sautelet et Cie, 1826, réédités en 1833, 1838-1840, 1847, 1865-1866] .

Enthousiasme dominateur
3. D'emblée V. Cousin connaît le succès. Comme l'indique Paul François Dubois [ancien élève de l'École normale où il reçoit l'enseignement de V. Cousin, professeur et futur fondateur du journal littéraire Le Globe] « M. Cousin ne commence à compter pour la philosophie et pour les lettres qu'à partir du mois de décembre 1815, lorsqu'il monte dans la chaire de M. Royer-Collard. Faudrait-il s'en étonner. Il n'a que vingt-trois ans [...] et, cependant, il y a déjà trois ans qu'il exerce sur l'École normale une influence considérable. Nommé élève répétiteur au mois d'octobre 1812, à vingt ans, et chargé de la conférence de première année, composition française et vers latins, il y porte toutes les ardeurs de son esprit, en crise de transition, de son premier enthousiasme de M. de la Romiguière et Condillac, au dogmatisme écossais de M. Royer-Collard. Il enflamme et domine les tout jeunes esprits qui lui sont confiés ; tous, sauf un ou deux, venus de province, et qu'on a jugés, sinon trop faibles, au moins trop novices auprès des élèves parisiens presque tous lauréats du concours général, pour suivre immédiatement les deux grandes conférences, comme on disait alors, de MM. Villemain et Burnouf.»

L'année 1816-1817, Victor Cousin
4. À nouveau le texte du Discours, prononcé à l'ouverture du cours de l'histoire de la philosophie [le 5 décembre 1816] est édité, ou plutôt "un résumé de ce discours, dépouillé de tout ornement, et réduit à ses idées élémentaires"] est, sous cette forme un peu sèche, d'abord immédiatement inséré dans les Archives philosophiques et littéraires. Puis, comme la plupart de ses textes, V. Cousin veillera à sa réédition maximum, ce qui donnera à ses textes une longévité exceptionnelle. D'abord dans la première édition des Fragmens philosophiques, [Paris, A. Sautelet et Cie, pages 295-311, 1826]. Puis dans ses différentes rééditions : 1833, 1838-1840, 1847, 1865-1866. À nouveau dans les Premiers essais de philosophie [1846, Paris, Librairie nouvelle, in-18, XX-350 p. ; page 267 sq.] et ses différentes rééditions: 1855, 1862, 1873. Le thème de ce cours inaugural porte sur la Classification des questions et des écoles philosophiques. «Au lieu de se précipiter aveuglément et d'égarer ses forces dans le dédale de ces milliers de questions particulières dont l'infinie variété éblouit et déconcerte l'attention la plus opiniâtre, il faut d'abord ramener toutes ces questions qui s'enfuient et s'éparpillent pour ainsi dire à un certain nombre de problèmes éminents, qui comprendraient tous les autres, et sur lesquels se porteraient les forces réunies de l'intelligence.
La première loi d'une telle classification est d'être complète, d'embrasser toutes les questions, et celles qui se présentent elles-mêmes, et celles qu'il faut aller chercher dans les profondeurs de la science.»

L'année 1817-1818, le Vrai, le Beau et le Bien
5. Le cours de philosophie prononcée à la Faculté des lettres en 1818 porte sur le fondement des idées absolues du vrai, du beau et du bien.
La leçon inaugurale a lieu le 4 décembre 1807, sur le thème "De la Philosophie au XIXème siècle". Le texte en est repris notamment dans l'ouverture du livre de V. Cousin : Du Vrai, du Beau et du Bien.
“ Les cours de M. Cousin, de 1818 à 1820, étaient devenus très populaires parmi la jeunesse. L'opposition politique doctrinaire les appuyait de ses suffrages dans les salons royalistes. L'opposition libérale y cherchait un fonds de science qui lui manquait et une occasion de se faire connaître à la jeunesse. Le professeur se montait peu à peu, devenait tribun sans s'en douter.” [Dubois]
Le texte du cours de l'année 1817-1818 paraîtra à de nombreuses reprises, jusqu'à l'édition "canonique" de 1853, assurée par V. Cousin lui-même, et réédité tout au long de la seconde moitié du XIX ème siècle :
A. Dans l’édition en trois volumes des Oeuvres de Cousin parue en 1828-1829,
B. En 1836, par les soins d'Adolphe Garnier, dans la série des cinq volumes édités par Danton, Garnier et Vacherot, parus de 1836 à 1841. [Paris, Hachette, 1836, IV-XXVIII+391]. Le texte est composé à partir des rédactions conservées des auditeurs, dans las archives de V. Cousin
C. En 1846, sous le titre : Cours de l'histoire de la philosophie moderne, histoire des derniers systèmes de la philosophie moderne sur les idées du vrai, du beau et du bien. Paris, Ladrange-Didier, 1846, 443 p. Le texte de cette édition [nouvelle édition revue et corrigée], est dictée par V. Cousin à son jeune élève d'alors, Paul Janet.
Quant au thème du cours, A. Garnier écrit : “Le cours de 1818 a essayé de résoudre la question la plus importante et en même temps la plus difficile de toute la philosophie, celle qui, même pour quelques uns, est la seule question philosophique, ou la philosophie tout entière : Y a t'il des idées qui ne soient ni la connaissance des corps, ni la connaissance de nous-mêmes ; et quel est le fondement de ces idées”

1818-1819, 1819-1820. Le coup d'arrêt de 1820
6. Le cours de ces deux années est intitulé Cours d'histoire de la philosophie morale au XVIIIème siècle. Il sera édité, vingt ans plus tard, par É. Vacherot, qui écrit l’Avertissement de l’éditeur.
Dans cet Avertissement E. Vacherot, évoquant le contenu des cours de V. Cousin écrit : « De telles doctrines étaient bien faites pour élever et fortifier les âmes ; elles eurent un puissant effet sur la jeunesse qui se pressait autour de la chaire de l'illustre professeur. Le gouvernement de la Restauration, dans ses mauvais jours s'effraya de cette influence qu'il ne sut pas comprendre.»

LE COUP DE TONNERRE DE 1820

Février 1820 : l'assassinat du duc de Berry
Dans la nuit du 13 au 14 février 1820, Louis Pierre Louvel, ouvrier sellier, qui espère ainsi interrompre définitivement la lignée des Bourbons, poignarde Charles Ferdinand d'Artois, duc de Berry [1778-1820], alors qu'il sort de la salle Louvois [l'Opéra, situé à l'époque face à la Bibliothèque nationale] pour accompagner sa femme Marie Caroline de Bourbon-Sicile qui a quitté la salle avant la fin de la représentation.
Le duc de Berry, fils du Comte d'Artois [futur Charles X, en septembre 1824], meurt quelques heures après.

La chute du ministère Decazes
Cet assassinat provoque la chute du ministère modéré d'Élie Decazes [1780-1860], constitutionnel de centre gauche, favorable à une monarchie constitutionnelle, et déjà en butte à l'hostilité des ultras. Certains souhaitent mettre Decazes en accusation pour complicité dans l'assassinat du prince. «M. Decazes est tombé, dira Chateaubriand, parce que les pieds lui avaient glissé dans le sang.» Il est remplacé par le duc de Richelieu, le 20 février 1820 : «Le règne du roi, dira le duc de Broglie, est fini, celui de son successeur commence.» Y succèdera, pour de longs mois, le ministère Villèle, acquis lui aussi au programme des ultras.

L'effacement de Cousin
Cousin se sait menacé dans son poste de suppléant à la Sorbonne, dès le mois de mars.
Son sort lui est notifié tardivement par l'intermédiaire des gazettes. Ainsi le Moniteur [29 décembre 1820] fait paraître le communiqué fielleux : «La nouvelle publiée par quelques journaux d'une suspension que le Conseil royal de l'instruction publique aurait prononcé contre M. Cousin n'a aucune exactitude. M. Cousin, qui n'est pas professeur n'aurait pu, même dans aucun cas, être l'objet d'une semblable mesure. Occupé de travaux importants sur d'anciens ouvrages grecs relatifs à la philosophie [Proclus], il ne remplacera pas cet hiver M. Royer Collard.» Cette information est confirmée par le Journal des Débats.
Prosper Alfaric, dans son Laromiguière et son école [Paris, Les Belles-Lettres, 1929] donne l'éclairage suivant : «Après la chute du ministère Decazes et la formation d'un gouvernement de droite soumis à la "Congrégation", Royer-Collard qui avait jusque là soutenu le pouvoir, vanait de passer à l'opposition et de s'allier aux libéraux. en représailles, son suppléant fut invité à ne pas remonter dans sa chaire, par une note, d'une courtoisie hypocrite, insérée dans le Moniteur du 29 décembre 1820.»
Et V. Cousin a beau communiquer aux autorités, par écrit, le programme détaillé des cours qu'il souhaite donner, se démener, écrire et protester, à moitié accepter, à moitié refuser, rien n'y fait : son nom ne paraît plus à l'affiche des cours, il ne reçoit plus son traitement. Pendant huit ans, jusqu'au ministère réparateur de M. de Martignac [et le tout jeune Vatimesnil devenant alors le nouveau ministre de l'Instruction publique], la chaire d'Histoire de la philosophie moderne, sans être expressément supprimée, ne sera pas occupée.
Il reste à Cousin son enseignement à l'École normale. Mais celle-ci, considérée comme un foyer d'agitation libérale est fermée le 8 septembre 1822. Il ne lui reste plus, comme à beaucoup de jeunes enseignants de ce temps [Jouffroy, Dubois], qu'à trouver un poste de précepteur auprès d'enfant de familles de la noblesse ou de la grande bourgeoisie : il devient précepteur de Napoléon Lannes, duc de Montebello [1801-1874], alors âgé de dix-neuf ans, fils aîné du maréchal Lannes, Pair de France.
C'est sa source principale de revenus. Une tentative pour obtenir un poste au Collège de France, avec le soutien du Collège de France, pour remplacer Pierre de Pastoret dans la chaire de Droit naturel, échoue. C'est la candidature de Xavier de Portets, présentée par l'Académie française, qui est retenue [de Portets occupera cette chaire jusqu'en 1854].
Ses revenus ne sont complétés [tout au moins jusqu'en 1825, date à laquelle il retrouve son traitement à l'École normale, bien qu'elle restera fermée jusqu'en 1828] que par les droits d'auteur concernant les différentes éditions savantes qu'il entreprend : édition, et traduction en latin, des oeuvres complètes de Proclus [de 1820 à 1827] ; traduction de Platon [de 1822 à 1840] ; édition de Descartes, en 11 volumes [de 1824 à 1826]

Contre-coups multiples
Comme le dira Étienne Vacherot [1809-1897] : «C'était le temps où, impatient de rentrer dans les voies de la contre-révolution d'où l'avait fait sortir l'administration modérée de M. Descazes, il [le gouvernement] imposait ses mauvais instincts au ministère honnête, mais faible qu'il subissait alors, en attendant qu'il pût s'y abandonner sans mesure sous un ministère de son choix, et commençait à frapper tous ceux qui ne montraient pas moins de dévouement aux libertés publiques qu'au trône. En même temps que M. Royer-Collard et M. Camille Jordan quittèrent le conseil d'État, que M. Guizot cessa de prendre part à l'administration, M. Cousin fut condamné au silence.»
Beaucoup de tenants de l'orléanisme, gravitant autour du mouvement des Doctrinaires, journalistes du Globe, sont touchés. François Guizot [1787-1874], qui, après la chute du ministère Decazes, avait repris ses cours d'histoire moderne à la Sorbonne, perd son enseignement ; A. F. Villemain [1790-1870] voit aussi son cours à la Sorbonne suspendu par le ministère Villèle.

COURS DE L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE, 1829

Description
Cours de l'histoire de la philosophie par M. V. Cousin, professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Paris, [professé à la Faculté des lettres, en 1829]. Paris, Pichon et Didier éditeurs, 2 volumes, in-8, XIV-510+VIII-492 pp., 1829

Le premier tome a pour titre : Histoire de la philosophie du XVIIIème siècle, tome I (et comprend les leçons 1 à 12 inclus) ; le second tome a pour titre : Histoire de la philosophie du XVIIIème siècle, tome II, École sensualiste, Locke (et comprend les leçons 13 à 25).

Le texte du premier tome est précédé d'un "avis des éditeurs" [de 4 pages, rédigé selon tout vraisemblance par V. Cousin] et d'une "table des sommaires" de la première à la douxième leçon ; le texte du second tome est précédé d'un "avis des éditeurs" [2 pages, rédigé selon toute vraisemblance par V. Cousin] et d'une "table des sommaires" de la treizième à la vingt-cinquième leçon.

Succès
Le succès est considérable. Sainte-Beuve, dans une lettre à Louis Jules Loudière, en date du 6 décembre 1828, témoigne : “Cousin a grand succès, quoique contesté comme tous les succès durables, aux époques de crise et de fondation. Il aborde encore la philosophie du XVIIIème siècle et non la grecque, ionienne et dorienne, comme il l'avait annoncé l'année dernière. Il a pensé, et avec raison, qu'à un moment où les vieilles écoles se remuent et se raniment pour pousser leur dernier cri, il ne fallait pas quitter le terrain, et il accepte une dernière fois la lutte, en face de Broussais, Daunou et cette coriace et vivace philosophie sensualiste. Ce dernier coup sera décisif et je me promets bien d'applaudir au résultat ; car, en vérité, ces vieilles gens sont incorrigibles et harcelants, et par la physiologie et la médecine, ils pourraient gagner nos jeunes et spirituels philosophes des amphithéatres, qui ne conçoivent pas que la question de l'immortalité de l'âme soit postérieure à la psychologie, et que, de quelque façon qu'on la tranche, la science n'en est pas moins posée auparavant.”
Quelques jours plus tard, (lettre du 22 décembre à Louis Jules Loudière) Sainte-Beuve confirme : “Cousin fait toujours admirablement, et, malgré toutes les attaques de la philosophie sensualiste coalisée avec le catholicisme et les moqueurs sceptiques, il vient à bout de remuer ses deux mille auditeurs, et de faire casser les portes de la grande salle, tant elle est pleine.”

Enjeu
Sainte-Beuve, proche des libéraux du Globe, définit, sans ambiguïté l'enjeu philosophico-politique de l'enseignement de V. Cousin, représentant, selon lui, du modernisme d'une troisième voie. Cousin, c'est à la fois :
1. Une philosophie moderne et "progressiste", par la rupture qu'elle manifeste contre la religion catholique. Elle est, si on peut tenter la formule, politiquement libérale par l'opposition implicite qu'elle contient contre les positions les plus réactionnaires de la Restauration. [d'où l'opposition catholique à l'enseignement de Cousin]. Le domaine de la philosophie [affaire publique] est distinct de la religion [affaire privée].
2. Une philosophie moderne, mais sage [!], par l'opposition qu'elle manifeste contre le vieux jeu philosophique, trouvant sa racine chez Condillac [dont la doctrine porte en elle, volens nolens, la possibilité du matérialisme] et son expression contemporaine [même si cette expression est peu à peu affadie ou contournée] des idéologues survivants, comme l'est expressément Daunou.
3. Une telle philosophie, qui n'est ni l'un [religion], ni l'autre [matérialisme], est tout entière spiritualisme [et par conséquent pas du tout progressiste, mais au contraire réactionnaire]. Sainte-Beuve l'indique clairement, l'adversaire à abattre, c'est la physiologie médicale matérialiste, qui n'a jamais rencontré l'âme au bout d'un scalpel [Broussais] et qui pourrait se substituer, si l'on n'y prenait garde à la philosophie [selon V. Cousin, le meilleur défenseur des valeurs morales, à travers sa croyance à l'immortalité de l'âme et son apologie de la propriété bourgeoise et de la charité]

PORTRAIT DE VICTOR COUSIN

On trouvera ci-dessous un portrait de V. Cousin écrit par Jules Barthélémy Saint-Hilaire [1805-1895], qui sera son exécuteur testamentaire.
Ce témoignage admiratif se rapporte à la période des cours de 1828, alors que V. Cousin, qui vient d'être nommé professeur-suppléant [de Royer-Collard] dans la chaire d'Histoire de la philosophie moderne à la Faculté des lettres [arrêté Vatimesnil, 5 mars 1828], retrouve son enseignement [qui lui avait été retiré en 1820].
Il recoupe les autres descriptions que nous possédons, ainsi celle de Paul François Dubois [1793-1874], créateur du journal littéraire Le Globe : «M. Cousin, debout dans sa chaire, dominant tout l'auditoire, paraissait tirer des profondeurs de la méditation ses pensées, trahies seulement par le feu de son regard noir et flamboyant, montant pour ainsi dire tout armées, ou se dégageant dans le trajet, pour tomber comme des perles dans l'écrin d'une phrase accomplie.»
Le texte est extrait de Jules Barthélémy Saint-Hilaire, M. Cousin, sa vie, sa correspondance, Paris, Hachette, 3 volumes in-8, page 240 .

«Ajoutez que la personne de l'orateur devait contribuer à la magie qu'il exerçait. M. Cousin avait alors trente-six ans. Il était dans toute sa virilité. Sa taille était assez élevée, et il était très bien fait ; ses yeux lançaient à tout moment des éclairs ; les traits de la figure étaient réguliers, et d'une beauté sculpturale ; la physionomie très expressive et mobile, attestait l'habitude de la pensée et du travail ; quelques rides sur le front et des joues amaigries étaient loin de déparer l'ensemble. La voix était sonore, d'un timbre qui n'était, ni trop grave, ni trop aigu ; elle n'avait rien de précipité, et elle n'était pas lente. Elle se faisait entendre dans toutes les parties de la salle ; pas un mot n'était perdu. Une chevelure très brune et très abondante surmontait le visage, qu'encadrait un collier de barbe allant sous le menton. Le costume était l'habit et le pantalon noirs. Le geste était sobre ; et comme il n'était pas fréquent, il ne pouvait pas détourner l'attention des auditeurs.»

© Philo19
@ Textes Rares 2004