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Paris ridicule et burlesque au XVIIe siècle, 1859
Introduction par P. L. Jacob


La Foire de Saint-Germain par Scarron
La Foire de Saint-Germain, par Scarron, dont la première édition, dédiée à Monsieur, est anonyme (Paris, Jonas Breguigny, 1643, in-4° de 19 pages), ne pouvait pas être séparée de la Ville de Paris, de Berthod, qu'elle accompagne presque toujours dans les anciennes éditions de format in-12, et dont elle se distingue par l'esprit, la gaieté et la malice qu'on rencontre invariablement dans les vers de Scarron.

François Colletet
Le Tracas de Paris, par François Colletet, est une suite encore plus naturelle de la Ville de Paris de Berthod; car Colletet avait rimé son poëme burlesque avec l'intention préméditée de continuer l'ouvrage de son devancier, qu'il s'efforçait d'imiter et qu'il surpassa quelquefois en niaiserie et en balourdise : peu de poëtes, il est vrai, surpassèrent François Colletet sous ce rapport. Son Tracas de Paris n'en est pas moins une pièce très-curieuse pour l'histoire des mœurs de la Capitale. « Comme recherches, comme écho de mœurs, dit Viollet-Le-Duc dans sa Bibliothèque poétique, ces sortes d'ouvrages ont un intérêt de curiosité, mais encore une fois ce n'est pis là de la poésie. » Ce n'est pas même du style français, mais c'est nu précieux monument d'archéologie pittoresque, c'est un tableau de Paris au dix-septième siècle, plus naïf et aussi vrai que le Tableau de Paris, de Mercier, au dix-huitième.
La première édition intitulée : Le Tracas de Paris ou la seconde partie de la Ville de Paris, parut à la suite du poëme de Berthod, dans la plupart des réimpressions de ce poëme: mais la continuation de Colletet forme toujours une partie séparée, avec titre particulier. Cette première édition du Tracas de Paris est un volume petit in-12 de 6 feuilles préliminaires et 84 pages, Paris, Antoine Rafflé, 1666. Le privilége accordé à François Colletet, en date du 16 avril 1658, pour l'impression de ses Muses illustres, nous apprend que le Tracas de Paris devait faire partie de ce recueil des Muses illustres, dont Colletet n'a fait paraître qu'un seul volume (Paris, Louis Chamhoudry, 1658, in-12) composé de diverses poésies par différents auteurs. Antoine Rafflé réimprima plusieurs fois le Tracas de Paris jusqu'en 1689, et le rendit tellement populaire par ses éditions successives, que l'éditeur de la Bibliothèque Bleue, Oudot, libraire-imprimeur à Troyes, n'hésita pas à le faire entrer dans cette collection avec la Ville de Paris, de Berthod. Les deux poëmes burlesques se réimpri mèrent aussi souvent et aussi incorrectement ]'un que l'autre. Nous avons eu sous les yeux une édition de 1699, une autre de 1705, une autre de 1714, sans date, à Troyes, et se vendent à Paris, chez la veuve Nicolas Oudot, rue de la Vieille-Bouclerie (in-12 de 4 feuilles et 87 pages, avec une approbation signée Passart), etc.
Le continuateur du poëme burlesque de Berthod, François Colletet, n'est guère plus connu que Claude Le Petit ; les biographes nous fournissent peu de détails sur sa vie. Il a composé pourtant un grand nombre d'ouvrages en tous genres, mais ces ouvrages, dont aucun ne s'élève au-dessus du médiocre et du trivial, ne l'avait pas même fait connaître Je ses contemporains, puisque Baillet l'a confondu avec son père Guillaume, en parlant d'un seul Colletet dans les Jugements des savants. Furetière avait fait la même confusion, dans un article de son Dictionnaire. C'est à regret que les éditeurs de Moreri ont accordé quelques lignes à François Colletet; et l'abbé Goujet lui a consacré une courte notice, dans le tome XVI de la Bibliothèque françoise. Voici en quels ternies Viollet-Le-Duc a résumé ce qu'on sait de la vie de ce Colletet, dans un article de sa Bibliothèque poétique : « François Colletet, fils de Guillaume, né à Paris en 1628, fut élève de son père, mauvais poëte, mais bon littérateur, qui composa pour François plusieurs traités compris dans son Art poétique. François fit sans doute peu d'honneur à son père, mais il fut reconnaissant. Laissons parler Tallemant des Réaux, dans son historiette de Guillaume Colletet : « Pour son fils, il l'a toujours pris pour quelque chose de merveilleux, et, dans l'élégie sur la naissance de M. le Dauphin, il l'offre à ce prince ; ce fils pourtant n'est qu'un dadais. Un jour, je ne sais en quelle compagnie, il lui dit : Saluez ces dames. Il les salua toutes, et puis il dit : Mon père, j'ai fait, etc. » François paraît avoir été militaire, car, fait prisonnier par les Espagnols en 1651, et conduit en Espagne, il y subit trois ans de captivité. Il vécut et mourut fort pauvre en 1672. Certes, dans la prodigieuse quantité devers composés Par François Colletet, il était bien facile de trouver matiére à satire, et l'on regrette que Boileau ne se soit attaché qu'à la misère de ce malheureux. »
C'est dans sa première satire que Boileau a représenté la misère de Colletet, qui est restée proverbiale, grâce à ces deux vers :

Tandis que Colletet, crotté jusqu'à l'échine,
S'en va chercher son pain de cuisine en cuisine.

« Il y avoit ainsi dans la première édition, dit une note de Brossette relative à ce passage ; mais depuis, à la prière de M. Ogier, ami de Colletet, on mit Pelletier pour Colletet. « Jamais personne ne fut moins parasite, dit Richelet (Traité de la versification française, page 146), que le bonhomme Du Pelletier, lorsqu'il alloit se montrer en ville; c'étoit un véritable reclus. » C'est pourquoi l'auteur ingénieux de la Guerre des auteurs (Guéret, avocat, qui a fait aussi le Parnasse réformé), a fait parler ainsi Du Pelletier dans un sonnet :

On me traite de parasite,
Moi, qui plus reclus qu'un hermite,
Ne mangeai jamais chez autrui.
O fatalité sans seconde !
Faut-il qu'on déchire aujourd'hui
Celui qui loue tout le monde ?

« Ce n'est que dans la dernière édition des satires, que M. Despréaux remit le nom de Colletet; et c'est François Colletet, fils de Guillaume, qu'il a voulu désigner : ils ont été poëtes tous les deux. Guillaume Colletet n'avoit laissé que des dettes à son fils, qui ne les paya jamais et qui vécut misérablement à la solde des libraires. »
Il faisait, pour gagner quelques écris, des traductions et des compilations; son goût dominant le portait vers la poésie, mais alors, comme aujourd'hui, la poésie ne nourrissait pas le poêle le plus sobre. Il était toujours, comme Boileau l'a dépeint, « crotté jusqu'à l'échine, » et il ne fréquentait guère que les cabarets, où il se trouvait en compagnie d'autres poëtes aussi gueux que lui, tels que Charles de Beys, Du Pelletier, Loret, etc. Il prenait gaiement son parti contre la misère, d'après les leçons et l'exemple de son père. Voici comment il a fait le tableau de sa détresse, dans son élégie, bouffonne de la Muse bernée :

Je languis, je gèle de froid ;
En tous temps le mois de decembre
Loge avec moy dedans ma chambre;
Je suis toujours, comme tu vois,
Sans feu, sans chandelle et sans bois ;
Toujours l'indigence m'accable...
Mon sort est un sort déplorable...
A tous momens je suis fantasque,
Je cours nuit et jour comme un Basque,
Je suis rêveur, pasle et defait.,
Et peut-être fol en effet...

Le pauvre Colletet s'est peint lui-même d'après nature, dans son Tracas de Paris, où nous le voyons apparaître avec toute sa candeur et toute sa bonhomie, mélangée parfois de finesse et de malice: il connaît les bons endroits et où l'on mange; il s'arrête volontiers dans quelques-uns avec son compagnon de voyage, qui est aussi son compagnon de bouteille. Ce serait alors Charles Beys, dont il a fait l'épitaphe bacchique :

Passant, celuy qui gît icy
Fut un poêle sans soucy,
Qui pratiqua de bonne grace
Le precepte du bon Horace :
" Boy, mangé tout, aujourd'huy sain,
Et moque-toy du lendemain. "

François Colletet, comme Beys, était un épicurien incorrigible, quoique d'ailleurs bon catholique ; il s'enivrait tant qu'il avait un écu dans sa bourse, mais il se gardait bien de faire l'esprit fort, de peur de se brouiller avec l'Eglise. Son poëme, burlesque ne lui attira donc aucun fâcheux accident. Il lui rapporta plus d'argent que tous ses ouvrages à la fois.
Ce poëme, quoique souvent réimprimé du vivant de Colletet, ne nous a fourni aucune variante, car l'auteur ne corrigeait pas plus ses défauts littéraires que ses vices et ses mauvaises habitudes. Nous avons autant que possible éclairci et perfectionné le texte par la ponctuation dont se souciait peu notre poëte fantasque et rêveur, Les notes de M. A. Bonnardot, ajoutées aux nôtres, viennent concourir à l'intelligence de ce texte souvent obscur; elles complètent aussi beaucoup de détails historiques, consignés dans les mauvais vers de François Colletet, qui parcourait en observateur les rues de Paris, la nuit et le jour.


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