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Les Plaisirs de l'Amour, 1782
(Charles Borde), Parapilla

CHANT I
D'AUTRES pourront chanter le Labarum,
Le bouclier de l'Amant d'Egérie,
Rhémois l'Ampoule si chérie
Présens sacrés, tous descendus des Cieux,
Des Rois dévots merveilleuses étrennes:
Je veux chanter un don plus précieux.
Ce bijou-ci plairoit beaucoup aux Reines
Il est céleste, unique, plein d'attraits :
Mais par malheur, sur les traces d'Astrée
Il remonta là-haut dans l'Empirée ;
Le Ciel jaloux a repris ses bienfaits.
Tendre Vénus, & vous Minerve même
Guidez mes chants, inspirez tous mes Vers
Vous m'aiderez à charmer l'univers ;
Et mon Héros, par sa beauté suprême,
Tiendra sur lui vos yeux toujours ouverts.
Grace à ma muse, Emule de Virgile,
J'ai fait l'exorde & c'est beaucoup, dit-on
Parler des Dieux n'est pas chose facile :
Or sus, ma lyre il faut baisser d'un ton.
Jadis vivoit dans les murs de Florence
Un beau Galant, d'une haute naissance,
Nommé Rodric ; hélas ! trop généreux.
Car de la Blonde allant droit à la Brune,
En beaux festins, cadeaux, plaisirs & jeux,
Il eut bientôt dissipé sa fortune.
Que devenir en cette extrémité ?
Sage il devint, grace à l'adversité.
Fuyant la honte, & cachant fa misere,
L'infortuné, d'un peu d'argent comptant
Qui lui restoit, achete une chaumiere.
Et tout auprès un petit bout de champ.
Là, tout pensif, sans valets ni servantes
Il travailloit, ayant parmi ces soins
Un peu d'humeur: on en auroit à moins.
L'aurore ouvroit les portes éclatantes,
Quand tout-à-coup un beau jeune Garçon
Vint l'aborder, & lui dit sans façon :
"L'ami, dis- moi ce que tu plantes ?
Rodric, peu fait à ces tons élevés,
Lui répondit : "c'est ce que vous savez.
Jeunes Beautés, ce ne font pas les termes.
Ils se servit de mots un peu plus fermes,
Disant tout haut les choses par leur nom,
Que je tairai, si vous le trouvez bon.
Vous connoissez cette plante si belle ;
De vos beaux yeux un doux regard suffit,
Un seul regard, c'est le soleil pour elle,
Mais reprenons le fil de mon récit.


Lorsque Rodric, ayant martel en tête,
Eut proféré ce discours malhonnête,
Le beau Garçon froidement déclara :
"Vous en plantez, eh bien, il en viendra."
Soudain il fuit comme une ombre légere,
Et de son pied touche à peine la terre.


Rodric alors resta pétrifié,
Lui qui parloit en tout tems comme un livre
Avoir ainsi manqué de savoir-vivre,

Brutalement avoir congédié,
O Ciel ! & qui ? ... c'est un Ange.... sans doute
C'est Gabriel, de la céleste voûte
Exprès pour lui descendu par pitié.
Un tel soupçon n'a rien de fort étrange.
Durant le cours de ses plaisirs mondains,
Toujours Rodric honora ce bel Ange
Beau messager du Maître des destins.
Car à Florence on brûle plus de cierges
Aux Chérubins, qu'aux onze mille Vierges;
Informez-vous, chacun vous le dira.
Mais quel remords, & quelle étourderie !
Comme il gémit & se désespéra !
Si de l'effet la menace est suivie.
Plus de ressource ; & comment se nourrir
Pauvre Rodric, tu n'as plus qu'à mourir


L'astre du jour, durant cette élégie,
De ses rayons prodigant les bienfaits,
Lançoit par-tout la chaleur & la vie :
Soir & matin Rodric est aux aguets.
Finalement, ô douleurs ! ô regrets !
Le fruit fatal s'élevant sur la terre,
Nouvel Oedipe, est vainqueur de sa mere.
Fille qui trouve un serpent sous ses pieds
En folâtrant fur la verte prairie,
De plus d'effroi ne peut être saisie.
Point de pécheurs qui ne soient châtiés.
Rodric puni, se signe, s'agenouille,
De pleurs amers son visage se mouille,
Ecoutez-bien, mes vers sont un sermon.


Le Gabriel est né plaisant, mais bon;
Il pardonna. Les ailles étendues.
Je l'apperçois, qui, d'un air triomphant,
Paré de pourpre & porté sur des nues,
Dit à Rodric : "CaIme-toi, mon enfant
Tu viens de voir un singulier prodige,
Mais ce n'est rien, prends la plus belle tige ;
Dans un panier alors tu la mettras ;
Cours à la Ville, & là tu la vendras
Cent mille écus ; c'est le prix, & pour cause
Car aussi-tôt que l'on verra la chose,
Femme ni fille, à tous ne manquera
De s'étonner, & de crier Ah ! Ah !
Or, dans l'instant la divine merveille
Chez celle-là qui poussera ce cri,
S'introduira, mais non pas par l'oreille
Et là sans cesse, un doux charivari
Excitera volupté sans pareille,
Si l'on ne dit ce mot, PARAPILLA.
Adieu, Rodric ; retiens bien tout cela."
L'Ange s'envole, & Rodric s'humilie.


Il s'en va donc cueillir le fruit de vie
Bien proprement le place en un panier,
D'un tas de fleurs lui fait un oreiller,
Le tout couvert de belle mousseline :
Le Pain béni n'a pas meilleure mine.
Quant au surplus des fruits de ce jardin,
Vous le dirai-je ? il disparut soudain.


Le cher Rodric cependant s'achemine
Il va bientôt revoir ces lieux chéris,
Temple des Arts, enfans des Médicis.
Tout s'embellit sous leurs mains souveraines,
Nobles Tyrans, & modeles des Rois,
Les Muses même avoient dicté leurs loix
Et leur Palais est l'asyle d'Athènes,
Avec transport Rodric hâte ses pas,
Et le voilà, criant sa marchandise,
Et par son nom de crainte de méprise,
Sans quoi les gens ne devineroient pas.
Car lisez bien Fable, Roman, Histoire,
Interrogez Sorciers & Loup-garoux,
Point ne verrez que jamais à la foire
On ait vendu de semblables bijoux.
Contes en l'air, me diront cent critiques
Tant pis pour eux : c'est un homme de bien
Qui nous transmit tous ces faits authentiques ;
Si l'on endoute, on ne croira plus rien.
Gens indévots, grands faiseurs d'Epigrames
Exercez-vous, j'en prends peu de souci ;
Moi je suis simple, & c'est aux bonnes ames
Que je veux plaire en écrivant ceci.
Or, préparez vos yeux & vos oreilles.
O Gabriel ! que ton bras est puissant !
Vous' allez voir d'étonnantes merveilles;
Mais laissez-moi respirer un moment.

à suivre

 


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