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Le Gay, Mes souvenirs et autres opuscules poétiques, 1788 :

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LES ROSATI D'ARRAS.
par Hippolyte Carnot, Membre de l'Institut, texte publié dans Le Magasin pittoresque, 1886
[Nous avons ajouté les intertitres]

Il a existé en France des sociétés littéraires qui, sans prétention au titre d'académies, auraient mérité une place au moins dans nos chroniques régionales et qui ne l'ont pas toujours obtenue.
Je n'exprime pas ce regret à l'occasion des Rosati d'Arras; ils ont trouvé leur historien en M. Arthur Dinaux, de Valenciennes, savant modeste, collectionneur de curieux documents, connu surtout par les fouilles faites au village de Famars (Nord), qu'il avait provoquées et qui ont mis au jour plus de trente mille médailles romaines. M. Dinaux a publié autrefois (août 1850) dans les Archives du Nord de la France, une notice sur les Rosati, imprimée à part, in-4, sur papier rose, avec des vignettes, rareté typographique alors même qu'elle n'eût pas d'autre intérêt. Je serais ingrat si je n'en faisais pas un éloge mérité, puisque l'auteur voulut bien dans le temps me l'envoyer comme fils d'un Rosati [NDLE : Hyppolite Carnot est fils du célèbre Lazare Carnot, lui-même membre des Rosati].
Je veux simplement rappeler ici la notice de M. Dinaux, en y ajoutant quelques traditions qu'il m'a été donné de recueillir. Je sais que des pièces intéressantes concernant cette compagnie de la gaie science ont été rassemblées par une main soigneuse, et mon esquisse a surtout pour but d'inviter celui qui possède ce petit trésor à en faire jouir le public.
Les Rosati ont duré dix ans : c'est plus que ne durent les roses, mais c'est peu pour une société.
Le 19 juin 1778, un groupe de jeunes gens d'Arras, de ceux qui aiment l'art dans le plaisir, faisant une partie de campagne aux environs de la ville, se reposèrent dans un jardin plein d'ombrage et de fleurs, au bord de la Scarpe. On déjeuna gaiement, on lut des vers; puis l'un de ces .jeunes gens, répandant sur la table des feuilles de roses, proposa aux convives de se réunir, chaque année au même lieu pour y célébrer de la même manière une fête champètre. Son voeu fut acclamé, et des libations saluèrent l'acte de naissance des Rosati.

Arras
Arras a possédé jadis une république des lettres, monarchie si l'on veut, puisqu'elle avait un roi, le roi des ménestrels. Ses fêtes joyeuses et ses représentations satiriques eurent de la célébrité ; et le nom d'un de leurs coryphées, Adam de la Halle, ne doit pas être mis en oubli. Son existence fut très agitée. Des couplets trop hardis l'ayant obligé de s'expatrier, il suivit Charles d'Anjou à Naples, et mourut dans cette ville vers 1285. Un trouvère rapporta à Arras son dernier ouvrage, le Jeu de Robin et Marion, une des meilleures parmi nos anciennes pastorales, qui fut longtemps représentée au jour anniversaire de la mort de l'auteur: Adam de la Halle a laissé des Jeux partis (petites pièces dialoguées), des chansons, des motets, des rondeaux.

Le lieu
Revenons aux Rosati: ils furent le dernier écho des Trouvères artésiens, dont M. Arthur Dinaux s'est aussi fait l'historien. Pendant la durée éphémère de leur Société, le goût des lettres sembla réellement un peu ranimé dans le pays.
Le jardin où ils se réunissaient était situé dans un des faubourgs d'Arras (à Avesne), au voisinage d'une ancienne abbaye de filles de l'ordre de Saint-Benoit. Douze religieuses seulement composaient cette abbaye, oit l'on devait pour entrer fair epreuve de noblesse militaire; leur cloître et leur église furent incendiés pendant le siège de 1654, qui mit en présence l'un de l'autre deux célèbres capitaines français, Turenne et Condé, ce dernier malheureusement allié de l'étranger.

Statuts
Les statuts des Rosati étaient fort simples, et fort simple aussi la cérémonie d'admission. Le récipiendaire se présentait devant la société, sous un berceau orné des bustes de la Fontaine, de Chapelle et de Chaulieu. On lui offrait une rose dont il respirait trois fois le parfum, puis il l'attachait à sa boutonnière. Une coupe de vin rosat lui étant présentée, il la vidait en l'honneur de la compagnie. Après quoi on lui délivrait un diplôme en vers, auquel il répondait par des couplets. Un certain nombre clé ces diplômes se sont conservés, écrits avec une encre rose ; quelques-uns sont agréablement tournés.

Les membres des Rosati
Si maintenant nous parcourons la liste des Rosati, nous y voyons des noms un peu surpris de se trouver ensemble, ceux de magistrats, de militaires, d'ecclésiastiques, etc.
Parmi les premiers, M. Foacier de Ruzé, avocat général au conseil d'Arras;
Parmi les militaires, assez nombreux, le marquis Baillot de Vaugrenant, major de la citadelle d'Arras; M. de Champmorin, major du génie;
MM. Carnot, Marescot, Dumény (le chevalier), tous trois capitaines du génie; les deux premiers sont devenus généraux;
Parmi les membres du clergé, nombreux aussi, citons d'abord l'abbé Roman, le gentil Roman, disait-on, et nous avons lu de lui des poésies assez légères. Il avait fondé l'Académie bocagère du Valmuse, titre emprunté au nom d'une maison de plaisance que l'abbé s'était fait construire dans le parc d'un de ses amis, près de Douai. Chacun des académiciens choisissait un arbre de ce beau parc, et y gravait sa signature. Les Valmusiens s'occupaient de botanique et se livraient aux exercices du corps, à la danse, à l'escarpolette, etc. M. Daubigny, professeur de théologie, se faisant scrupule, sans doute, de figurer sur la liste d'une confrérie anacréontique comme celle des Rosati, ne donnait que les premières lettres de son nom.
Un chanoine régulier, M. Dumarquez, se gênait moins; il s'excusait en ces termes de ne pas assister à une Fête des roses.

Malgré mon absence,
Je serai, Messieurs,

Ici comme ailleurs,

Mais surtout à table,

D'esprit et de coeur,

Votre serviteur,

Dumarquez, bon diable.


Un nom que nous aurions dû prononcer avant tous les autres est celui de M. Legay, chancelier de l'ordre et son constant inspirateur, puisque nous voilà en train de lire des vers, lisons-en quelques-uns de lui où il peint les réunions amicales des Rosati:

    Sur un banc raboteux, chancelant, mal posé,
    Nous nous plaçons à l'aventure.
    Chaque bouquet bientôt, en couronne tressé,
    Presse nos fronts d'une fraîche ceinture.
    La nappe au même instant disparaît sous les fleurs.
    La couleur du vin qu'on varie,
    Tantôt contraste et tantôt se marie
    A l'incarnat de leurs couleurs.
    Le Dieu de la plaisanterie,
    Momus, vient animer les propos des buveurs.
    On parle vers, amour, même philosophie.

Nous avons connu le fils de M. Legay, excellent proviseur du lycée Bonaparte, aujourd'hui Condorcet.
Citons encore, parmi les Rosati, M. Harduin, secrétaire perpétuel de l'Académie d'Arras ; M. Lenglet, jurisconsulte, dont le fils fut représentant du peuple en 1848; le chevalier de Bertin, l'émule de Parny; Caigniez, le Racine des boulevards, dont les mélodrames nous ont fait pleurer dans notre enfance; Dubois de Fosseux, ancien écuyer du roi, auteur d'un Éloge de Suger.
Et encore Charamond, jeune avocat fort distingué, qui devint plus tard inspecteur aux revues, et périt dans la retraite de Russie; Tarenget, médecin, mort recteur de l'Académie de Douai; Pierre Cot, musicien; Corbet, statuaire; Bergaigne, peintre de fleurs, qui se plaisait à décorer les diplômes de la société.
Un Rosati chantait, nous devons le croire, avec beaucoup de sensibilité, puisqu'un de ses collègues s'écriait en parlant de lui :

Ah ! redoublez d'attention,
J'entends la voix de Robespierre ;
Ce jeune émule d'Amphion
Attendrirait une panthère.

C'est par d'autres chansons que ce Rosati devait se distinguer plus tard ; à l'époque dont nous parlons il travaillait à l'Éloge de Gresset.
Beffroy de Reigny, fameux autrefois sous le nom du cousin Jacques, aujourd'hui parfaitement oublié, était un type bien original pourtant, bouffon qui riait et faisait rire le public en pleine terreur; journaliste, poète, auteur de pièces de théâtre dont il composait la musique. Il a fait courir tout Paris au Club des bonnes gens, à Nicodème dans la lune; et peut-être devrait-on ne pas refuser dans les chansonniers français une place à ses jolis couplets si connus
      Petit à petit,
      L'oiseau fait son nid.
Ce qui vaut mieux que tout cela, c'est que le cousin Jacques, grâce à des amis influents qu'il avait conservés, se fit, pendant la révolution, l'intermédiaire de beaucoup d'actes de clémence et de bienfaisance. Je l'ai vu peu de temps avant sa mort; il me paraissait vieux, quoiqu'il ne le fût pas, mais j'étais si jeune ! D'ailleurs toujours le même : franchise et gaieté.
Les Rosati célébrèrent encore une fête dans l'été de 1787. Le procès-verbal de leur réunion, rédigé en vers par M. Legay, se termine ainsi
    Dans ces lieux, joyeuse troupe,
    Au mois de mai retrouvez-vous.
Se retrouva-t-on? oui certainement, puisqu'un diplôme, rimé selon l'usage, fut délivré en 1788 à un poète lillois, nommé Feutry. Ce jeune homme a péri tragiquement. Mais n'attristons pas nos dernières lignes. La date du diplôme en question n'est pas douteuse :

Au déclin d'un beau jour, en l'an mil huit cent moins douze.

M. Legay, qui avait été l'un des fondateurs de la Société, lui demeura fidèle jusqu'à la fin; car il publia en 1788, sous le titre de Souvenirs, deux volumes de vers, avec un appendice qui contient un choix de morceaux lus ou chantés dans les assemblées des Rosati; et il donna pour épigraphe à cette collection un quatrain de Carnot :
    Venez, illusions légères,
    Du rêve de la vie embellir les tableaux
    Venez réaliser des biens imaginaires,
    Et sur des maux réels étendre vos bandeaux.

Les Rosati de Paris
Après la tourmente révolutionnaire, quand la constitution de l'an 3 fut fondée, Carnot, devenu l'un des directeurs de la République, ouvrit son salon aux savants, aux artistes et aux gens de lettres. On y voyait Bougainville, Berthollet, Prony, Népomucène Lemercier, Monsigny, Dalayrac. Plusieurs anciens Rosati d'Arras s'y présentèrent, entre autres Beffroy de Reigny et Dubois de Fosseux. L'idée de créer des Rosati de Paris fut mise en avant et reçut même un commencement d'exécution. Nous trouvons dans le Furet littéraire, recueil des plus rares ouvrages en vers et en prose (1800), une Épître des Rosati de Paris au citoyen Carnot, signée Mercier, de Compiègne. Cet écrivain est d'ailleurs plus connu par sa fécondité que par son talent.

Permettez-moi, en façon de post-scriptum, d'emprunter quelques lignes à mes Mémoires sur Carnot:
« Le directeur habitait l'hôtel du Petit-Luxembourg. Il lui naquit un fils. L'usage n'était plus alors de prendre ses prénoms dans le catalogue de l'église, mais dans l'histoire des anciennes républiques : les enfants étaient des Lycurgue, des Gracchus, des Brutus. Carnot n'aimait pas ces démonstrations; il choisit pour son fils le nom d'un sage de l'Orient, qui n'a laissé que de belles poésies et des préceptes de morale : il l'appela Sadi. »
Peut-être le souvenir des Rosati et du Jardin des roses au bord de la Scarpe ne fut -il pas non plus étranger à son choix.
[NDLE :
Le frère aîné d'Hippolyte Carnot se prénommait Nicolas Léonard Sadi (1796-1832), il est considéré comme le père de la thermodynamique. Hyppolite eut un fils prénommé François Marie Sadi (1837-1894), plus connu sous le nom de Sadi Carnot et qui fut président de la république de 1887 à 1894]

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La Société des Rosatti
extrait de L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, 1866

Cette société, à laquelle M. Arthur Dinaux a consacré une notice détaillée dans les Archives du nord de la France, IIIe série, t.1, p. 64, tirait son nom d'un berceau de roses, sous lequel s'assembla pour la première fois, à Arras, le 12 juin 1778, une réunion anacréontique composée de magistrats, d'avocats, d'abbés, d'officiers du génie et de propriétaires de l'Artois. L'écrivain que nous venons de nommer la définit en disant: « C'était moins, sans doute qu'une académie littéraire, mais c'était certainement plus qu'une réunion bachique. » Parmi ses membres résidents ou correspondants, on peut citer : Legay, fondateur et chancelier de l'Ordre, mort juge d'instruction au tribunal de Béthune,Carnot, alors capitaine au corps royal du génie,- Beffroy de Reigny, dit le Cousin Jacques, -le poête érotique Bertin, - et enfin Maximilien de Robespierre, avocat à Arras, qui depuis... ; mais alors il sacrifiait aux Grâces, et l'un a conservé quelques- uns des vers que cet étrange épicurien, devenu depuis d'un rouge si foncé, compose sous l'invocation sacramentelle de la Rose. Voici le premier et le dernier couplet de ses Remerciements à la Société des Rosati, sur l'air : Résiste-moi, belle Aspasie:

Je vois l'épine avec la rose
Dans les bouquets que vous m'offrez,
Et lorsque vous me célébrez,
Vos vers découragent ma prose.
Tout ce qu'on m'a dit de charmant,
Messieurs, adroit de me confondre:
La Rose est votre compliment
L'Epine est la loi d'y répondre ....
. . . . . . . . . . . . .
A vos bontés, lorsque j'y pense,
Ma foi, je ne vois pas d'excès,
Et, le tableau de vos succès
Affaiblit ma reconnaissance.
Pour de semblables jardiniers
Le sacrifice est peu de chose ;
Quand on est si riche en lauriers,
On peut bien donner une Rose.

La dernière réunion de ce genre, dont on ait conservé la trace, eut lieu dans l'été de 1787 ; Robespierre alla pérorer à Paris, et les formes acerbes de Joseph Lebon remplacèrent dans l'Artois les banquets anacréontiques et les petits vers à l'eau de rose.

La Société des Rosati de Paris, sur laquelle porte plus particulièrement la question de M. Faucheux, fut une suite et une imitation de celle d'Arras. Elle florissait vers l'an V, et elle dura au moins jusqu'en l'un VIII. M. A. Dinaux affirme qu'aux travaux habituels de leurs anciens d'Arras, ils joignaient le passe-temps de couronner des rosières." D'un autre côté, Mérard de Saint-Just déclare nettement « qu'une femme admise dans la Société ne peut être appelée Rosière." Nous aimons à croire qu'il ne s'agit pas là d'une
incompatibilité morale, mais d'une simple question philologique. Quoi qu'il en soit, cette soci té comptait, parmi ses membres
du sexe masculin, outre Mérard de Saint-Just, déjà nommé, l'ex-génovéfin Mulot, le fécond Mercier de Compiègne, et enfin
Carnot, qui forme en quelque sorte le trait-d'union entre les deux Sociétés. On trouve, dans le Furet littéraire de l'an VIII,
p. 92, une Epitre au citoyen Carnot, Rosati d'Arras, et depuis membre du Dîrectoire exécutif, en lui envoyant son diplôme de Rosati de Paris.

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extrait de Lasteyrie Du Saillant, Robert-Charles, Bibliographie générale des travaux historiques et archéologiques publ. par les Sociétés savantes de la France. Tome IV, 1904

En 1778 fut fondée à Arras une Société des Rosati qui semble s'être proposé un but analogue à celui que poursuit depuis longtemps dans le Midi l'Académie des jeux floraux. Elle eut assez de succès pour susciter la fondation à Paris d'une association analogue qui florissait en l'an v; M. Tourneux a retrouvé un exemplaire d'un discours prononcé par Mulot dans une réunion des Rosati de Paris, tenue le 21 floréal an V (10 mai 1797).

Cette Société existait encore en 1800. Une notice lui a été consacrée par Victor Barbier en 1889. Après une assez longue éclipse, elle a été reconstituée par un groupe de littérateurs originaires de l'Artois, de la Picardie et de la Flandre. Elle a aujourd'hui des sections dans plusieurs villes du Nord, notamment à Amiens, Arras et Valenciennes. Elle a pour organe, depuis 1895, la Revue septentrionale dirigée par M. René Le Cholleux, "rénovateur des Rosati". Ses membres s'occupent principalement de poésie, et organisent entre compatriotes des réunions artistiques et littéraires. Je ne signale donc cette Société que pour mémoire.

 


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