| Curiosa | Page d'accueil. Home page | Adhésion


ÉPITRE DÉDICATOIRE

AUX BONS CHIEURS DE TOUT RANG, DE TOUT AGE, ET DE TOUT SEXE.
Vous qui chiez, et sans reprendre haleine
Pondez toujours les étrons par douzaine,
Heureux mortels, ne soyez point jaloux,
Si dans ces vers qu'avec fruit on va lire,
A bien des gens qui souffrent le martire,
Je veux apprendre à chier comme vous.
Pardonnez donc à mon audace,
Et daignez recevoir, sans vous faire prier,
La courte et l'humble dédicace
De LA CHÉZONOMIE OU DE L'ART DE CHIER.

AVERTISSEMENT.

Semblable à ces petits roquets qui singent les plus gros dogues et s'en vont par les rues toujours levant la cuisse contre les murs, je voudrais à l'exemple des meilleurs poètes du jour donner pour avant-garde à mon ouvrage un morceau d'éloquence, où j'étalerais bien de l'érudition. Mais outre que je ne me sens aucun talent pour la prose, je craindrais encore d'échouer dans mon entreprise par le défaut d'idées. Ce qu'un homme qui réunit le double avantage de bien écrire en prose et en vers eût sagement réservé pour un discours préliminaire, moi je l'ai tout bonnement fondu dans le cours de mon poëme et dans mes notes, de manière que mon cerveau est entièrement à sec. Je ne puis d'ailleurs entreprendre de plaider de nouveau la cause de la poésie didactique et descriptive : d'autres avant moi l'ont victorieusement défendue par de bonnes dissertations et sur-tout par d'excellens vers. Je me bornerai donc à ce court Avertissement qui dit moins par son peu d'étendue pourra plaire à la plupart des lecteurs. Je sais que c'est une nouveauté aujourd'hui de publier même le plus petit poëme sans un long discours préliminaire ; mais elle ne tirera pas à conséquence, et je veux bien qu'on dise de moi : S'il n'a pas fait comme les autres, c'est qu'il n'en a pas eu le talent.
Au reste je pourrais alléguer pour ma défense que ces discours pompeux sont tout-à-fait d'invention moderne : n'est-il pas constant qu'aucun des grands poètes anciens n'y a songé ? Il est vrai que depuis les savans y ont pourvu ; et vous ne voyez pas ce qu'on appelle une bonne édition soit d'Horace ou de Boileau, soit de Térence ou de Molière, qu'elle ne soit enrichie d'une dissertation profonde sur la vie et les écrits de l'auteur, outre une foule de scholies, de notes et de commentaires, où l'éditeur s'est plu non seulement à faire ressortir toutes les beautés de l'original, mais encore à lui en prêter mille fois plus qu'il n'aurait voulu en avoir, s'il avait été là pour s'en défendre. Est-ce pour échapper à cette surabondance de mérite, ou plutôt pour ne rien laisser à dire après eux, que les poètes du jour font des discours préliminaires ? Dans les deux cas je ne suis pas fâché d'être obligé de me taire. Si quelque jour on donne une bonne édition de mon Poëme, elle sera dûe à un savant laborieux, qui mettant à contribution tous les auteurs qui ont écrit en passant sur le même sujet, dédommagera la postérité des omissions que j'aurai faites, et si d'ailleurs il fait sentir quelques-unes de ces beautés délicates qui peuvent échapper au nez le plus fin, c'est une obligation de plus qu'on, lui aura. Je ne suis pas de ces auteurs, qui ont pris pour devise :
A la postérité ne laissons rien à dire.
Quoiqu'épuisée pour moi en ce moment, la matière que j'ai traitée n'en est pas moins inépuisable ; et j'aime à croire que mon ouvrage en fera naître encore d'autres du même genre ou à-peu-près. En attendant je desire qu'on goûte le mien, et qu'on me pardonne si j'y ai quelquefois parlé de moi. On sait que les communications sur un pareil sujet sont assez rares, et s'il eût été d'usage d'en converser dans le beau monde aussi souvent que de politique, j'aurais pu recueillir une foule d'anecdotes plus piquantes les unes que les autres, anecdotes qui eussent nécessairement exclu celles qui me sont personnelles. Mais ce qui est différé n'est pas perdu : mon ouvrage va faire ouvrir bien des petites bouches, même de grandes sur cette louable matière ; il m'en reviendra quelque chose, et alors j'en profiterai pour une nouvelle édition.

CHANT PREMIER.

Qu'Homère chante Achille et son courroux fougueux,
Virgile les combats et son héros pieux ;
Que Le Tasse avec pompe et non moins d'élégance
De la sainte cité chante la délivrance ;
Milton le faible Adam de son bonheur déclin
Perdant le paradis pour un fruit défendu ;
Que sur un autre ton, digne émule d'Horace
Boileau mette en beaux vers les secrets du Parnasse ;
Que le doux Saint-Lambert célèbre des saisons
Les frimas et les fleurs, les feux et les moissons ;
Que Delille à son tour, chantre des paysages,
Offre dans ses jardins un élysée aux sages ;
Que Voltaire en jouant récite les hauts faits
De la jeune beauté si fatale aux Anglais ;
Et qu'en fixant les loix d'un banquet agréable
Berchoux, moins que ses vers, nous fasse aimer la table
Moi qui ne suis près d'eux qu'un poëte crotté,
Moi qui vise pourtant à l'immortalité,
Je m'empare aujourd'hui du sujet qu'on me laisse,
Et sans trop consulter ma force ou ma faiblesse,
JE CHANTE L'ART HEUREUX, LE GRAND ART DE CHIER.


Des lecteurs vont peut-être à ce début grossier
M'accuser d'insolence, et bouchant leurs narines,
Croire que tout Paris fait vider ses latrines.
Heureusement aussi d'autres, en pareils cas,
Diront à ces messieurs qu'ils sont trop délicats.
Chier n'est-il donc pas un besoin de la vie ?
Puisqu'il faut que l'on mange, il faut bien que l'on chie
Hélas !! que le les plains, ceux-là dont le rectum
Ne peut jamais s'ouvrir sans quelque retentum ! ;
Malheureux constipés, consolez-vous d'avance ;
D'un sujet si nouveau respectez la licence:
J'en réponds, c'est à moi que bientôt vous devrez
L'avantage infini d'être moins resserrés.
Sans être un grand docteur, je dirai dans mon livre
Pour chier aisément, quel régime il faut suivre.
D'abord j'expliquerai quelle innovation
Amena parmi nous la CONSTIPATION
Quels excès la font naître, et comment nos faiblesses
Nous empêchent souvent de desserrer les fesses.
Après j'enseignerai quels sont les alimens
Qui produisent eu nous d'heureux relâchemens ;
Et quel est le point fixe où se tient la prudence
Quand on veut sans foirer chier avec aisance.
Ce n'est pas tout encore, et la digestion
Doit beaucoup à son tour fixer l'attention
Car il ne suffit pas d'avoir la panse pleine,
Il faut en digérant balayer la bedaine,
De la digestion, de ses heureux effets
Je vous apprendrai donc les utiles secrets ;
Je vous les dirai tous, et pour couronner l'œuvre,
Vous saurez comme on fait des étrons de manœuvre,
Des étrons bien tournés, ni trop mous, ni trop durs,
Et tels qu'on les admire au long de certains murs.
Vous saurez.... Mais déjà pourquoi donc tout vous dire ?
C'est méthodiquement que je dois vous instruire.
Eh ! ne dédaignez pas d'écouter mes conseils:
Certes ! vous n'en avez jamais lu de pareils.
Songez bien qu'il n'est pas de fumier où les merles,
Je veux dire les coqs, ne découvrent des perles ;
Et que quand la nature a besoin de secours,
L'art seul est son guid'âne et le sera toujours.

Pour donner plus de pompe à ces rimes nouvelles,
Invoquerai-je aussi les doctes immortelles,
Et le dieu qui préside au sommet d'Hélicon?
Daigneront-ils sourire au chantre de l'étron ?
Mais si la poésie est soeur de la peinture (1),
Et que son art consiste à rendre la nature
Quoi de plus naturel ? Et dût-il s'embrener,
A moi-même Apollon peut-il m'abandonner
N'a-t-il pas inspiré jadis certains poëtes,
Qui n'ont pas toujours eu la bouche et les mains nettes.

Oui, je pourrais nommer quelques auteurs fameux (2),
Dont le goût n'exclût point des passages merdeux.
Voyons-nous cependant les Muses infidèles
Cesser de nous offrir ces écrits pour modèles?

C'est pour suivre en cela les Grecs et les Latins,
Que parmi nos Français quelques esprits badins,
Bravant tous les caquets d'une aveugle censure,
Ont laissé des écrits, où la merde figure.
Et sans chercher plus loin, un chanoine, un curé (3)
Malgré la robe noire et le bonnet carré,
En ce genre ont laissé maintes historiettes
Qui de nos curieux garnissent les tablettes.
Il est de bons vivans, il est des amateurs
Qui le jour et la nuit dévorent ces auteurs.
Qu'ont-ils fait cependant qu'effleurer la matière ?
Et moi qui plus hardi l'embrasse toute entière,
Des Muses, des lecteurs je serais délaissé !
Non, puisque j'ai pour moi l'exemple du passé,
Je ne crains point d'écueil : je veux que mon ouvrage (4)
Des plus fins connaisseurs emporte le suffrage ;
Je veux qu'on le relise, après qu'on l'aura lu ;
Et si l'on trouve bon de s'en torcher le cul
J'y consens, mais pourvu que cent mille exemplaires
Soient achetés avant chez messieurs les libraires ;
Or cent mille c'est peu, s'il s'en débite autant
Que l'on compte de culs qui ne font que du vent.

Mais il est temps, au jour révélons nos lumières,
Et que ma bouche enfin débouche les derrières.
On fit l'Art de péter et l'Eloge du pet (5) :
Partant l'ART DE CHIER n'est pas plus indiscret.

Vous à qui les premiers je veux me faire entendre,
Vous qui restez souvent quinze jours sans rien rendre
Dont l'anus rétréci n'admet qu'en rechignant
Le canon recourbé de certain instrument,
Quand il faut détacher, délayer la matière,
Qui devrait aisément s'échapper par derrière:
Vous tous qui partagez ces rigoureux destins,
Quoi donc a pu lier ainsi vos intestins?
Eh ! vous le savez trop ; c'est votre intempérance,
C'est le soin de chercher avec trop de constance
Le séduisant poison, le funeste aliment
Que repoussait le plus votre tempérament.
De votre bouche, amis, vous fûtes les esclaves ;
Votre appétit glouton ne connut point d'entraves ;
Un mets simple à vos yeux n'a jamais eu d'appas,
Et tous les jours pour vous furent des mardis-gras.

Des peuples différens consultons l'origine:
Connurent-ils alors un art de la cuisine (6) ?
Ouvrons d'abord la Bible: on y verra qu'Adam
Avant qu'il fût tenté par l'infernal Satan,
Nonchalamment assis sur la verte pelouse,
Ne Mangeait que des fruits avec sa chère épouse,
Et ne touchait pas même aux belles pommes d'or,
Du romantique Eden mystérieux trésor.
Il y toucha depuis ...... Je n'en suis pas la cause.
Mais, selon moi, son cas devait sentir la rose,
Lorsqu'il n'était encor qu'un petit innocent.
Celui d'Eve, à coup sûr, était plus odorant,
Et devait exhaler le parfum de l'orange.
Après leur chute aussi, qu'ils perdirent au change !
Puisqu'ils ne prirent pas des alimens nouveaux,
Ils firent, il est vrai, des étrons aussi beaux ;
Mais leurs cas n'eurent plus la douce odeur des autres,
Et puèrent dès-lors presqu'autant que les nôtres.
Si de bien de fléaux le ciel les a frappés,
Du moins nos grands parens n'étaient pas constipés
Aloïse n'en dit pas un mot dans la Genèse.
Leurs fils long-temps après chièrent à leur aise
Le laitage, le miel étant leurs alimens,
Rien ne devait couler comme leurs excrémens.

Bientôt on se lassa d'avoir pour nourriture
Les mets délicieux offerts par la nature.
On versa sans pitié le sang des animaux,
Et le pasteur mangea la chair de ses agneaux.
Ces innovations nous devinrent fatales.
Dès-lors durent changer les matières fécales :
Ceux qui faisaient trop mou firent un peu plus dur,
Et le cas, le matin, ne fut pas sitôt mûr.

Jusques-là, j'en conviens, le mal est peu de chose ;
Mais il ne fit bientôt que croître avec la cause.
Noé le patriarche inventa la liqueur (7)
Qui réchauffe, ranime et réjouit le cœur,
Lorsque le besoin seul en indique l'usage ;
Et Noé le premier abusa du breuvage ;
Pour lui ce jus divin devenant un poison,
Lui ravit l'équilibre, ainsi que la raison.,
Ses enfans, ses neveux ensuite l'imitèrent
Et trouvant le vin bon à l'envi s'enivrèrent.
Pour exciter la soif bien moins que l'appétit,
Des mets du plus haut goût la mode s'établit.
Le mal vole, dit-on. Ces dangereux exemples
En cent lieux à Bacchus méritèrent des temples ;
Ce dieu n'y manqua point de sacrificateurs ;
Au rang des candidats étaient tous les buveurs
Qui d'un pas chancelant allaient pendant leur vie
De ribote -en ribote et d'orgie en orgie ;
Et qui par leurs excès réduits au petit tour,
Mettaient bien rarement quelques étrons au jour.

Je n'ai pas le dessein de passer en revue
De vingt peuples divers l'histoire saugrenue ;
Il en est deux pourtant dont la célébrité
De mon merdeux génie invoque l'équité.

Les Grecs dégénérés des héros-pleins de gloire (8)
Qui tenaient tour à tour l'épée et l'écumoire
Et chièrent dix ans sous les murs des Troyens,
De préparer leurs mets changèrent les moyens.
Dirai-je et croira-t-on qu'ils eurent la manie
D'envier à leurs dieux le nectar, l'ambroisie ?
Dédaignant les taureaux immolés aux autels,
Ils ne se doutaient pas, ces aveugles mortels (9),
Que ce qui fait en l'air foirer Jupiter même
Constipe les humains. Dans ce désordre extrême
Tous les mets avec art furent donc confondus
Et les vieux cuisiniers ne s'y connaissaient plus.
Ainsi de mille objets les mélanges bizarres
Rendirent les étrons et la merde plus rares ;
Mais grâce à leur brouet, les Lacédémoniens (10)
En faisaient de gros tas au nez des Athéniens.

Les Romains à leur tour, fatigués de conquêtes,
Imitèrent des Grecs les repas et les fêtes,
Il était loin le temps où les Fabricius
Vivaient si sobrement. Le fameux Lucullus
Qui sans sa gourmandise eût été si grand homme
Avec l'or de l'Asie introduisit dans Rome
Ce luxe des festins où de tout l'univers
Se trouvaient réunis les alimens divers,
En Europe où déjà régnaient tant de sottises
S'il se fût contenté d'apporter les cerises,
Ce héros des gourmands par eux toujours cité
Du grand art que je chante aurait bien mérité.
Mais avec sa cuisine il brûla les entrailles,
Et ROme ne vit plus au pied de ses murailles
Ces nombreux tas d'étrons dont l'énorme grosseur
Aux enfans de Carthage inspirait la terreur ;
A l'aspct de ces cas, se disaient-ils, quels hommes !
Par ceux que nous faisons voyons ce que nous sommes.
Ah ! si l'état Punique eût encore existé
Dans ces tems où la gueule avait tout infecté,
Où les soldats Romains vivant en sybarites

Faisaient, non sans effort, des crottes si petites,
Qu'on eût pris tous leurs cas pour des cas de marmots,
Didon n'eût pas en vain tenu tant de propos (11),
Et Rome aurait subi le destin de Carthage.



© Textes rares