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Rymaille sur les plus célébres bibliothières de Paris*
par le gyrovague simpliste
M. DC. XLIX

Ad turbam in excellentissimo horto Palatii Aurelianensis deambulantem.
Rabbinus odit, amat, punit, conservat, honorat,
Nequitiam, pacem, crimina, jura, probos.

 

 

 

 

 

 

 

(1) La bibliothèque de la famille de Thou, sur laquelle on peut voir les travaux de M. Pichon et de M. Apollin Briquet. M. Le Roux de Lincy doit aussi publier tout un livre sur ce sujet. (A. M.)
(2) Gilbert Gaulmin, l'orientaliste

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(3) Fondeur de caractères. C'est son aïeul qui a gravé, à Venise, les types hébraïques et rabbiniques. (A. M.)
(4) L'art de Raymond Lulle, la recherche de la pierre philosophale. (A. M.)
(5) L'histoire des pierres. (A. M.)
(6) L'art de décrire les plantes.(A. M.)
(7) Ce qui se rapporte aux fleurs.(A. M.)
(8) Tulifanomanie
Tulipanomanie
Tulifantomanie
Tulipanthomanie
à ???infulare.
(9) de karuophyllou, clou de girofle.(A. M.)
(10) L'histoire des serpents. (A. M.)

 

a bibliothèque royale
Pour tout le monde est doctrinale ;
A celle Seguier, chancelier,
Pauvre et riche y vont estudier ;
Tous studieux ont un magazin
Chez le cardinal Mazarin ;
Le prince des doctes, Hardi,
A le moindre livre choisi ;
Saint-Germain, Saint-Victor,
Vallent bien plus que l'or ;
La scholastique de Sorbonne,
Des Jésuites, des Jacobins,
Des Cluni et des Bernardins,
Des Cordeliers , des Augustins,
Des Carmes et des Maturins,
Et celle de Navarre est bonne,
Mangot, Tou (1) l'Aisné et Gomin (2)
Fournissent le Zoar Rabbin ;
Chez le mercurial Bourdelot
Le Midrasch est chez Dufour,
Ferrier a Bereschith-Tannour ;
Spéculations aux Celestins,
Aux Chartreux, Aux Martinitins,
Aux Fuliants (sic), aux Carmelitins,
Aux Recolets et Capucins ;
Aux Minimes Mathématique ;
Vieille et nouvelle scholastique,
Les controverses chez Veron
Et chez Dartis le droict canon ;
Le droict civil chez Bicheteau,
Canon, civil, chez Raveneau,
Théologie et droict chez Corbin,
Moreau a toute la physique
Et Gassen tout la rhétorique,
Grammatiquailles chez Patin ;
L'alchymie est chez Du Hamel
Et la variété chez Mantel ;
Riolan a tout la médecine,
Tant grecque qu'arabe et latine,
Le Vasseur la philosophie
Et Bechet la cosmographie ;
L'astrologie est chez Morin ;
Antiquailles, Montmaur, Tarin ;
Des Mesme a tout la rareté
Et De Metz tout la propreté ;
La curiosité de Chambon
Est un ramas utile et bon ;
L'hébreu est chez Rabbi l'abbé,
Et tout l'arabe chez Le Bé (3) ;
Du Bois a le grec et latin
Et Scaron tout le baragoin ;
Le Vasi a tout l'art lullique (4)
Et Scuderitout l'art rymique,
Petavius la chronologie ;
Mezéré l'hystoriographie,
Orim la métallologie,
Tourne-Mer la lithographie (5),
Minéralogie, zoophytologie,
Ichtyologie, et ornithologie,
Blondel a la phytologie (6),
Les Morin ont l'anthologie (7)
Tulipanthomanie (8), caryophyllomanie (9)
Papillonomanie, et conchyoliomanie,
L'ophiologie (10) chez Robin,
L'encyclopédie chez Aulin ;
Les livres des Roches ont belle couverture,
Mais leur maistre n'en donne scienec ni lecture.
Tout rebut chez Breton-Villiers,
Au Pont-Neuf ma bibliotière.
AUX LIZARDS.
Dom Jacob, bibliotier,
Et Naudé grand ramassier,
Pourront faire un dictionnaire
Pour les docteurs de grammaire ;
Vaugelas pourra estudier
L'approbation par Le Vaier.

 

Présentation

Au temps des Mazarinades, il suffisait, pour vendre n'importe quoi, de l'imprimer in-4°, sur du papier à chandelle, et de le crier dans les rues ; les passants, qui s'attendaient à du Mazarin, achetaient tout ou à peu près, et M. Moreau, le catalogueur juré de touts ces pièces éphémères, a dû, par suite de la conformité d'époque, de format et de vente, donner place dans sa curieuse bibliographie à plus d'une pièce qui n'avait rien de politique, mais qui s'était publié et conservé avec les autres. C'était une spéculation du genre de celle qui a eu grand cours après 1848, la fabrication en grand de médailles archi-révolutionnaires, destinées à être cataloguées et gravées pour s'imposer de force aux collectionneurs. La Rymaille qu'on va lire n'a pas une importance plus réelle ; ce sont deux feuillets in-4°, un pour le titre et un pour les vers, si l'on peut donner ce nom à de méchantes lignes mal pensées et mal rmées, pour lesquelles l'auteur, ou plutôt l'imprimeur, ne s'est pas mis en grands frais ; il lui suffisait d'en tirer quelques patards, et il serait fort étonné que M. Colomb de Batines - en 1842, selon M. Moreau (n° 3550), - que M. Léon de Laborde, dans ses curieuses notes sur le palais Mazarin (p. 194-5), et qu'enfin cet Annuaire, qui la recueille à son tour à cause du titre, fassent à cette niaiserie, dont l'édition originale est presque une rareté, recommandation des plus suffisantes aux yeux de certains curieux, l'honneur de la réimprimer à deux siècles de distance.
En effet, bien qu'elle soit à peu près découpée dans le chapitre que le Père Jacob a, dans on Traité des plus célèbres bibliothèques, publié en 1644, consacré aux collections parisiennes, - et ce chapitre, comme aussi les vers de Marolles dans son bizarre volume de quatrains sur Paris, serait la meilleure annotation de la pièce de 1649, si elle méritait vraiment d'en avoit une,- la Rymaille ne se peut pas prendre pour un document bien sérieux ; le plus grand nombre de bibliothèques citées sont réelles ; mais n'est-ce pas une pure fantaisie poétique que de mettre les historiens, les poëtes et les burlesques chez Mézeary, chez Scudéry et chez Scarron ? Les noms appelaient trop naturellement la nature des livres qu'on pouvait leur attribuer.
L'auteur s'est caché sous le nom du Girouague, ou plutôt du Girovague, du Promeneur simpliste, du latin gyrus, cercle, conservé dans l'italien girare, et personne n'a dit son nom.
Il était certainement prêtre, puisque le nom même de Girovagues s'est appliqué à des religieux qui ne font partie d'aucune maison, et vont de monastère en monastère. De plus, il a demeuré à la Chartreuse de Paris, où il était peut-être attaché au parti de Gaston, car je ne vois pas d'autre moyen de rendre compte de la dédicace " à la foule qui se promène dans le beau jardin d'Orléans", c'est-à-dire du palais du Luxembourg. D'un autre côté, je verrais volontiers, dans cette pièce, l'oeuvre d'un hébraïsant ; la présence de caractères hébreux dans une note aussi pédante et aussi nécessaire que possible, la connaissance et la préoccupation évidente d'ouvrages hébraïques et de collections en cette langue, me le feraient supposer. Mais de là au nom il y a loin. Un distique, dans cette sorte de vers rapportés, auxquels Tabourot a consacré le 13e chapitre des Bigarrures, et venant, on ne sait trop pourquoi : " Rabbinus déteste la méchanceté, aime la paix, punit les crimes, conserve les droits, honore les gens de bien, " est une énigme encore plus qu'une épigraphe. Voir dans Rabbinus l'anagramme de Barbinus n'avacerait à rien, car en quoi le libraire Barbin satisferait-il à toutes ces conditions ?
J'y verrais plutôt la traduction du nom de cet abbé Rabbi, cité pour savoir tout l'hébreu ; s'il a réellement existé un abbé Rabbi, ce que je ne sais pas et ce que la postérité se passera de très-bien savoir au juste, ce serait lui ou un de ses amis qui aura broché la pièce pour y glisser ce nom et lui donner le plaisir d'être imprimé en illustre compagnie. En même temps si elle n'est pas contre le cardinal :

Tous studieux ont un magasin
Chez le cardinal Mazarin,

elle doit avoir été écrite, in cauda venenum, pour jouer un tour à l'abbé Des Roches et à M. le Ragois de Bretonvilliers, président de la Chambre des Comptes qui avait, en effet, une bibliothèque dans sa belle maison de la pointe de l'île Saint-Louis. Autrement, comment, à la fin, expliquer le lardon aussi peu correct que spirituel :

les livres Des Roches ont belle couverture
Mais leur maistre n'en donne science ny lecture ;

et le suivant :

Tout rebut chez Breton-Villiers,

qui ne sont nullement préparés par la sèche, et élogieuse banalité de toutes les mentions précédentes ? La pièce aurait alors été faite pour servir, sans en avoir l'air, une petite vanité et une petite vengeance personnelles, sentiments à peu près aussi honorables l'un que l'autre, surtout quand ils sont réunis, mais qu'on a beaucoup vus, et qui continuent à se porter à merveille.

Anatole de Montaiglon

 

© Textes Rares, 1998