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Poètes du XVIe siècle


Charles Fontaine
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CHARLES FONTAINE fut élève de Marot. Il lui montra toute sa vie beaucoup d'attachement et de reconnoissance. Il étoit né à Paris, le 13 juillet 1515. Son père, qui étoit un honnête négociant, et son oncle qu'on appeloit Jean Dugué, avocat au parlement de Paris, avoient fait tout ce qu'ils avoient pu pour le détourner de la poésie. Mais ce fut pour lui une passion insurmontable. Il voyagea beaucoup en Italie. Ensuite il se fixa à Lyon, où il se maria deux fois. Le second mariage lui ayant attiré un procès de la part des parens de sa première femme, il fut obligé de venir plaider à Paris, et il y fut retenu long-temps. Il sollicitoit ses juges en leur laissant pour cartes de visites, de petites pièces de vers. Il a fait un assez grand nombre d'ouvrages, des épîtres, des élégies, des épigrammes, des odes, la traduction du livre du Remède d'amour, d'Ovide, etc., on y trouve du naturel et de la sensibilité.


CHANT SUR LA NAISSANCE DE JEAN, SECOND FILS DE L'AUTEUR.

Mon petit-fils, qui n'as encor rien vu,
A ce matin ton pere te salue :
Viens-t'en, viens voir ce monde bien pourvu
D'honneurs et biens qui sont de grand value ;
Viens voir la paix en France descendue;
Viens voir François, notre roi et le tien,
Qui a la France ornée et défendue :
Viens voir le monde, où y a tant de bien.

Viens voir le monde, où y a tant de maux;
Viens vois ton pere en procès qui le mene ;
Viens voir ta mere en de plus grands travaux
Que quand son sein te portoit à grand'peine
Viens voir ta mere, à qui n'as laissé veine
Et bon repos ; viens voir ton pere aussi,
Qui a passé sa jeunesse soudaine,
Et à trente ans est en peine et souci.

Jean, petit Jean, viens voir ce tant beau monde,
Ce ciel d'azur, ces étoiles luisantes,
Ce soleil d'or, cette grand' terre ronde,
Cette ample mer, ces rivieres bruyantes,
Ce bel air vague, et ces nues courantes,
Ces beaux oiseaux, qui chantent à plaisir,
Ces poissons frais et ces bestes paissantes
Viens voir le tout à souhait et desir.

Viens voir le tout sans desir et souhait;
Viens voir le monde en divers troublements;
Viens voir le ciel, qui notre terre liait ;
Viens voir combat entre les éléments ;
Viens voir l'air plein de rudes soufflements,
De dure gresle et d'horribles tonnerres ;
Viens voir la terre en peine et tremblements ;
Viens voir la mer noyant villes et terres.

Enfant petit, petit et bel enfant,
Masle bien fait, chef-d'oeuvre de ton pere,
Enfant petit, en beauté triomphant,
La grand'liesse et joye de ta mere,
Le ris, l'ébat de ma jeune commere,
Et de ton pere aussi, certainement,
Le grand espoir, et l'attente prospere
Tu sois venu au monde heureusement.
Petit enfant, peux-tu le bien venu
Estre sur terre,
où tu n'apportes rien
Mais
tu viens comme un petit ver nu ?
Tu n'as ni drap, ni linge qui soit tien,
Or, ni argent, ai aucun bien terrien :
A pere et mere apportes seulement
Peine et souci, et voilà tout ton bien.
Petit enfant, tu viens bien pauvrement.

De ton honneur ne veuil plus estre chiche:
Petit enfant de grand bien jouissant,
Tu viens au monde aussi grand, aussi riche,
Comme le roi, et aussi florissant.
Ton héritage est le ciel splendissant ;
Tes serviteurs sont les anges sans vice ;
Ton trésorier, c'est le Dieu tout puissant ;
Grace divine est ta mere nourrice.

SUR LES PRÉSENTS.
EXTRAIT DE LA CONTRE-AMIE DE COUR

On a beau dire et beau dissimuler,
Femme qui prend ne peut plus
reculer.
Car Penses-tu que les jeunes et vieux
Te font ainsi présent pour tes beaux yeux ?

Certes ainsi que le juge qui prend,
Contre le droit, il offense et méprend,
Et sa constance et sentence il renverse.
Justice vend et justice n'exerce :
Ni plus ni moins, c'est lin point arresté ;
Fille qui prend, vous vend sa chasteté.
Pareillement, tout ainsi que les mains,
Par qui souvent passent des deniers maints,
Se vont souillant et amassent ordure,
Ni plus ni moins la pensée plus pure
Se souille enfin, et par présents reçus
Maints nobles coeurs sont souillés et deçus :
Et qui reçoit les présents quon lui donne,
Avec le temps recevra la personne.
Philippes dit, tout lieu, tout domicile,
Tout fort chasteau est à prendre facile,
Où peut entrer un asne chargé d'or ;
L'ennemi entre où entre son trésor,
Ni plus ni moins que sous belle herbe verte
Gist en secret la couleuvre couverte,
Et sous le miel poison et malefice :
Sous les beaux dons en ce point gist le vice.
Et tout ainsi que l'on prend les oiseaux
Avec l'appast, les gluons et pipeaux,
Par l'or on prend les filles tant et plus ;
L'or est l'appast, le pipeau est la glus.

FABLE.
Le cerf cornu, et par mont et par val,
Gardoit jadis de paistre le cheval,
Et le chassoît hors des communs herbages
Tant qu'à la fin, pour fuir de tels outrages,
Pour se défendre, à l'homme se rendit.
Adonc le frein
premierement mordit .
Mais quand fut loin de son ennemi fier,
Lui glorieux, voulant tout défier,
Demeura pris,
et fat l'issue telle
Que frein aux dents, et au dos eut la selle.
Lors sur son dos l'homme d'armes monta,
Et de ses dents le dur frein ne jetta.
Ainsi est-il, en fuyant pauvreté :
Qui cherche l'or, trouve captivité.

DE L'AMOUR.
EXTRAIT DE LA CONTRE-AMIE DE COUR
Aimez, suivez l'Amour, gentes
fillettes :
C'est un grand dieu; soyez à lui sujettes.
N'en doutez point, Amour vous maintiendra
Heureusement, et tout bien vous viendra.
Amour est noble et plus fort que les rois ;
Les princes grands avec tout leur barnois
Sont tous contraints sous lui leur chef baisser,
Et son pouvoir haut et clair
confesser.
C'est le seul dieu qui les autres accorde ;
C'est le seul dieu de paix et de concorde ;
C'est celui dieu par qui fut fait ce monde,
Qui entretient
cette machine ronde ;
Car le soleil, les planetes, la lune,
Seroient çà-bas sans influence aucune,
Si par ses soins Amour, ce puissant dieu,
Ne leur faisoit regarder ce bas lieu,
Pour y produire, à notre utilité,
De
tous les biens une fertilité.
Les bleds, les vins, les arbres et les fruits,
Viennent de là, et par ce sont produits.

L'ARGENT DONNE DE LA SCIENCE.
En tout honneur et excellence,
Quiconque veut aller avant,
Quierre l'argent, non la science,
Les lettres n'aille poursuivant.
Pour faire un sçavant, la ressource
La plus certaine, c'est l'argent :
Aujourd'hui l'homme est fort sçavant,
Qui sçait force écus en sa bourse.

ÉLÉGIE SUR LE TRÉPAS DE RENÉ,
CINQUIEME ENFANT DE L'AUTEUR.

Dieu te gard donc, mon petit fils René!
Adieu mon fils aussitôt mort que né!
Dieu gard mon fils venant sur terre ronde!
Adieu mon fils départant de ce monde!
Tu n'as encor le lait bien savouré,
Tu n'as encor le tien pere honoré,
Tu ne connois ni peines ni liesses,
Et loin de nous, tu t'en vas et nous laisses.
Tu n'as encore une seule semaine,
Que tu
ne tu dépars de cette vie humaine.
Faut-il qu'en terre à tes yeux inconnue,
Soit ton départ si près de ta venue!

Petit enfant, qui t'a donné envie
De si soudain aller à l'autre vie?
Il semble à voir que tu connusses bien
Qu'en cette vie y a si peu de bien.
Petit enfant, je crois bien que tu as
Un autre pere au ciel, là où tu vas,
Lequel a fait que ton coeur le désire,
Quand le charnel laisses pour l'autre élire.
Puisque tu veux l'éternel bien choisir,
Laissé m'en as un merveilleux désir;
Et voudrois voir à ton exemple enfin,
Le Dieu qui jà t'a reçu dans son sein.

 

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